Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau

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Monsieur Lecoq - Emile  Gaboriau

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retentit.

      – Eh ! s’écria l’inspecteur de la sûreté, c’est à la Poivrière.

      Cette dénomination bizarre disait à elle seule et la signification du lieu qu’elle désignait, et quelles pratiques le fréquentaient d’habitude.

      Dans la langue imagée qui a cours du côté du Montparnasse, on dit qu’un buveur est « poivre » quand il a laissé sa raison au fond des pots. De là le sobriquet de « voleurs au poivrier, » donné aux coquins dont la spécialité est de dévaliser les pauvres ivrognes inoffensifs.

      Ce nom, cependant, n’éveillant aucun souvenir dans l’esprit des agents :

      – Comment ! ajouta Gévrol, vous ne connaissez pas le cabaret de chez la mère Chupin, là-bas, à droite… Au galop, et gare aux billets de parterre !

      Donnant l’exemple, il s’élança dans la direction indiquée, ses hommes le suivirent, et en moins d’une minute, ils arrivèrent à une masure sinistre d’aspect, bâtie au milieu de terrains vagues.

      C’était bien de ce repaire que partaient les cris, ils avaient redoublé et avaient été suivis de deux coups de feu.

      La maison était hermétiquement close, mais par des ouvertures en forme de cœur, pratiquées aux volets, filtraient des lueurs rougeâtres comme celles d’un incendie.

      Un des agents se précipita vers une des fenêtres, et s’enlevant à la force des poignets, il essaya de voir par les découpures ce qui se passait à l’intérieur.

      Gévrol, lui, courut à la porte.

      – Ouvrez !… commanda-t-il, en frappant rudement. Pas de réponse.

      Mais on distinguait très bien les trépignements d’une lutte acharnée, des blasphèmes, un râle sourd et par intervalles des sanglots de femme.

      – Horrible !… fit l’agent cramponné au volet, c’est horrible !

      Cette exclamation décida Gévrol.

      – Au nom de la loi !… cria-t-il une troisième fois.

      Et personne ne répondant, il recula, prit du champ, et d’un coup d’épaule qui avait la violence d’un coup de bélier, il jeta bas la porte.

      Alors fut expliqué l’accent d’épouvante de l’agent qui avait collé son œil aux découpures des volets.

      La salle basse de la Poivrière présentait un tel spectacle, que tous les employés de la sûreté et Gévrol lui-même demeurèrent un moment cloués sur place, glacés d’une indicible horreur.

      Tout, dans le cabaret, trahissait une lutte acharnée, une de ces sauvages « batteries » qui trop souvent ensanglantent les bouges des barrières.

      Les chandelles avaient dû être éteintes dès le commencement de la bagarre, mais un grand feu clair de planches de sapin illuminait jusqu’aux moindres recoins.

      Tables, verres, bouteilles, ustensiles de ménage, tabourets dépaillés, tout était renversé, jeté pêle-mêle, brisé, piétiné, haché menu.

      Près de la cheminée, en travers, deux hommes étaient étendus à terre, sur le dos, les bras en croix, immobiles. Un troisième gisait au milieu de la pièce.

      À droite, dans le fond, sur les premières marches d’un escalier conduisant à l’étage supérieur, une femme était accroupie. Elle avait relevé son tablier sur sa tête, et poussait des gémissements inarticulés.

      En face, dans le cadre d’une porte de communication grande ouverte, un homme se tenait debout, roide et blême, ayant devant lui, comme un rempart, une lourde table de chêne.

      Il était d’un certain âge, de taille moyenne, et portait toute sa barbe.

      Son costume, qui était celui des déchargeurs de bateaux du quai de la Gare, était en lambeaux et tout souillé de boue, de vin et de sang.

      Celui-là certainement était le meurtrier.

      L’expression de son visage était atroce. La folie furieuse flamboyait dans ses yeux, et un ricanement convulsif contractait ses traits. Il avait au cou et à la joue deux blessures qui saignaient abondamment.

      De sa main droite, enveloppée d’un mouchoir à carreaux, il tenait un revolver à cinq coups, dont il dirigeait le canon vers les agents.

      – Rends-toi !… lui cria Gévrol.

      Les lèvres de l’homme remuèrent ; mais, en dépit d’un visible effort, il ne put articuler une syllabe.

      – Ne fais pas le malin, continua l’inspecteur de la sûreté, nous sommes en force, tu es pincé ; ainsi, bas les armes !…

      – Je suis innocent, prononça l’homme d’une voix rauque.

      – Naturellement, mais cela ne nous regarde pas.

      – J’ai été attaqué, demandez plutôt à cette vieille ; je me suis défendu, j’ai tué, j’étais dans mon droit !

      Le geste dont il appuya ces paroles était si menaçant, qu’un des agents, resté à demi dehors, attira violemment Gévrol à lui, en disant :

      – Gare, Général ! méfiez-vous !… Le revolver du gredin a cinq coups et nous n’en avons entendu que deux.

      Mais l’inspecteur de la Sûreté, inaccessible à la crainte, repoussa son subordonné et s’avança de nouveau, en poursuivant du ton le plus calme :

      – Pas de bêtises, mon gars, crois-moi, si ton affaire est bonne, ce qui est possible, après tout, ne la gâte pas.

      Une effrayante indécision se lut sur les traits de l’homme. Il tenait au bout du doigt la vie de Gévrol ; allait-il presser la détente ?

      Non. Il lança violemment son arme à terre en disant :

      – Venez donc me prendre !

      Et se retournant, il se ramassa sur lui-même, pour s’élancer dans la pièce voisine, pour fuir par quelque issue connue de lui.

      Gévrol avait deviné ce mouvement. Il bondit en avant, lui aussi, les bras étendus, mais la table l’arrêta.

      – Ah !… cria-t-il, le misérable nous échappe.

      Déjà le sort du misérable était fixé.

      Tandis que Gévrol parlementait, un des agents – celui de la fenêtre – avait tourné la maison et y avait pénétré par la porte de derrière.

      Quand le meurtrier prit son élan, il se précipita sur lui, il l’empoigna à la ceinture, et avec une vigueur et une adresse surprenantes, le repoussa.

      L’homme voulut se débattre, résister ; en vain. Il avait perdu l’équilibre, il chancela et bascula par-dessus la table qui l’avait protégé, en murmurant assez haut pour que tout le monde pût l’entendre :

      – Perdu ! C’est les Prussiens qui arrivent.

      Cette

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