Michel Strogoff. Jules Verne

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Michel Strogoff - Jules  Verne

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ils sont forcés d’abandonner le fleuve pour la rivière, dont ils doivent alors remonter le cours jusqu’à Perm. Donc, tout compte établi, et bien que sa machine fût puissante, le Caucase ne devait pas faire plus de seize verstes à l’heure. En réservant une heure d’arrêt à Kazan, le voyage de Nijni-Novgorod à Perm devait donc durer soixante à soixante-deux heures environ.

      Ce steam-boat, d’ailleurs, était fort bien aménagé, et les passagers, suivant leur condition ou leurs ressources, y occupaient trois classes distinctes. Michel Strogoff avait eu soin de retenir deux cabines de première classe, de sorte que sa jeune compagne pouvait se retirer dans la sienne et s’isoler quand bon lui semblait.

      Le Caucase était très encombré de passagers de toutes catégories. Un certain nombre de trafiquants asiatiques avaient jugé bon de quitter immédiatement Nijni-Novgorod. Dans la partie du steam-boat réservée à la première classe se voyaient des Arméniens en longues robes et coiffés d’espèces de mitres, – des Juifs, reconnaissables à leurs bonnets coniques, – de riches Chinois dans leur costume traditionnel, robe très large, bleue, violette ou noire, ouverte devant et derrière, et recouverte d’une seconde robe à larges manches dont la coupe rappelle celle des popes, – des Turcs, qui portaient encore le turban national, – des Indous, à bonnet carré, avec un simple cordon pour ceinture, et dont quelques-uns, plus spécialement désignés sous le nom de Shikarpouris, tiennent entre leurs mains tout le trafic de l’Asie centrale, – enfin des Tartares, chaussés de bottes agrémentées de soutaches multicolores, et la poitrine plastronnée de broderies. Tous ces négociants avaient dû entasser dans la cale et sur le pont leurs nombreux bagages, dont le transport devait leur coûter cher, car, réglementairement, ils n’avaient droit qu’à un poids de vingt livres par personne.

      À l’avant du Caucase étaient groupés des passagers plus nombreux, non seulement des étrangers, mais aussi des Russes, auxquels l’arrêté ne défendait pas de regagner les villes de la province.

      Il y avait là des moujiks, coiffés de bonnets ou de casquettes, vêtus d’une chemise à petits carreaux sous leur vaste pelisse, et des paysans du Volga, pantalon bleu fourré dans leurs bottes, chemise de coton rose serrée par une corde, casquette plate ou bonnet de feutre. Quelques femmes, vêtues de robes de cotonnade à fleurs, portaient le tablier à couleurs vives et le mouchoir à dessins rouges sur la tête. C’étaient principalement des passagers de troisième classe, que, très heureusement, la perspective d’un long voyage de retour ne préoccupait pas. En somme, cette partie du pont était fort encombrée. Aussi les passagers de l’arrière ne s’aventuraient-ils guère parmi ces groupes très mélangés, dont la place était marquée sur l’avant des tambours.

      Cependant, le Caucase filait de toute la vitesse de ses aubes entre les rives du Volga. Il croisait de nombreux bateaux auxquels des remorqueurs faisaient remonter le cours du fleuve et qui transportaient toutes sortes de marchandises à Nijni-Novgorod. Puis passaient des trains de bois, longs comme ces interminables files de sargasses de l’Atlantique, et des chalands chargés à couler bas, noyés jusqu’au plat-bord. Voyage inutile à présent, puisque la foire venait d’être brusquement dissoute à son début.

      Les rives du Volga, éclaboussées par le sillage du steam-boat, se couronnaient de volées de canards qui fuyaient en poussant des cris assourdissants. Un peu plus loin, sur ces plaines sèches, bordées d’aunes, de saules, de trembles, s’éparpillaient quelques vaches d’un rouge foncé, des troupeaux de moutons à toison brune, de nombreuses agglomérations de porcs et de porcelets blancs et noirs. Quelques champs, semés de maigre sarrasin et de seigle, s’étendaient jusqu’à l’arrière-plan de coteaux à demi cultivés, mais qui, en somme, n’offraient aucun point de vue remarquable. Dans ces paysages monotones, le crayon d’un dessinateur, en quête de quelque site pittoresque, n’eût rien trouvé à reproduire.

      Deux heures après le départ du Caucase, la jeune Livonienne, s’adressant à Michel Strogoff, lui dit :

      – Tu vas à Irkoutsk, frère ?

      – Oui, sœur, répondit le jeune homme. Nous faisons tous les deux la même route. Par conséquent, partout où je passerai, tu passeras.

      – Demain, frère, tu sauras pourquoi j’ai quitté les rives de la Baltique pour aller au-delà des monts Ourals.

      – Je ne te demande rien, sœur.

      – Tu sauras tout, répondit la jeune fille, dont les lèvres ébauchèrent un triste sourire. Une sœur ne doit rien cacher à son frère. Mais aujourd’hui, je ne pourrais !… La fatigue, le désespoir m’avaient brisée !

      – Veux-tu reposer dans ta cabine ? demanda Michel Strogoff.

      – Oui… oui… et demain…

      – Viens donc…

      Il hésitait à finir sa phrase, comme s’il eût voulu l’achever par le nom de sa compagne, qu’il ignorait encore.

      – Nadia, dit-elle en lui tendant la main.

      – Viens, Nadia, répondit Michel Strogoff, et use sans façon de ton frère Nicolas Korpanoff.

      Et il conduisit la jeune fille à la cabine qui avait été retenue pour elle sur le salon de l’arrière.

      Michel Strogoff revint sur le pont, et, avide des nouvelles qui pouvaient peut-être modifier son itinéraire, il se mêla aux groupes de passagers, écoutant, mais ne prenant point part aux conversations. D’ailleurs, si le hasard faisait qu’il fût interrogé et dans l’obligation de répondre, il se donnerait pour le négociant Nicolas Korpanoff, que le Caucase reconduisait à la frontière, car il ne voulait pas que l’on pût se douter qu’une permission spéciale l’autorisait à voyager en Sibérie.

      Les étrangers que le steam-boat transportait ne pouvaient évidemment parler que des événements du jour, de l’arrêté et de ses conséquences. Ces pauvres gens, à peine remis des fatigues d’un voyage à travers l’Asie centrale, se voyaient forcés de revenir, et s’ils n’exhalaient pas hautement leur colère et leur désespoir, c’est qu’ils ne l’osaient. Une peur, mêlée de respect, les retenait. Il était possible que des inspecteurs de police, chargés de surveiller les passagers, fussent secrètement embarqués à bord du Caucase, et mieux valait tenir sa langue, l’expulsion, après tout, étant encore préférable à l’emprisonnement dans une forteresse. Aussi, parmi ces groupes, ou l’on se taisait, ou les propos s’échangeaient avec une telle circonspection, qu’on ne pouvait guère en tirer quelque utile renseignement.

      Mais si Michel Strogoff n’eut rien à apprendre de ce côté, si même les bouches se fermèrent plus d’une fois à son approche, – car on ne le connaissait pas, – ses oreilles furent bientôt frappées par les éclats d’une voix peu soucieuse d’être ou non entendue.

      L’homme à la voix gaie parlait russe, mais avec un accent étranger, et son interlocuteur, plus réservé, lui répondait dans la même langue, qui n’était pas non plus sa langue originelle.

      – Comment, disait le premier, comment, vous sur ce bateau, mon cher confrère, vous que j’ai vu à la fête impériale de Moscou, et seulement entrevu à Nijni-Novgorod ?

      – Moi-même, répondit le second d’un ton sec.

      – Eh bien, franchement, je ne m’attendais pas à être immédiatement suivi par vous, et de si près !

      – Je ne vous suis pas, monsieur, je vous précède !

      – Précède !

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