Quatrevingt treize. Victor Hugo
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Le comte du Boisberthelot donna à demi-voix des ordres à La Vieuville qui descendit dans la batterie, puis le capitaine saisit sa longue-vue et vint se placer à l’arrière à côté du pilote.
Tout l’effort de Gacquoil était de maintenir la corvette debout au flot; car, prise de côté par le vent et par la mer, elle eût inévitablement chaviré.
– Pilote, dit le capitaine, où sommes-nous?
– Sur les Minquiers.
– De quel côté?
– Du mauvais.
– Quel fond?
– Roche criarde.
– Peut-on s’embosser?
– On peut toujours mourir, dit le pilote.
Le capitaine dirigea sa lunette d’approche vers l’ouest et examina les Minquiers; puis il la tourna vers l’est et considéra les voiles en vue.
Le pilote continua, comme se parlant à lui-même:
– C’est les Minquiers. Cela sert de reposoir à la mouette rieuse quand elle s’en va de Hollande et au grand goëland à manteau noir.
Cependant le capitaine avait compté les voiles.
Il y avait bien en effet huit navires correctement disposés et dressant sur l’eau leur profil de guerre. On apercevait au centre la haute stature d’un vaisseau à trois ponts.
Le capitaine questionna le pilote:
– Connaissez-vous ces voiles?
– Certes! répondit Gacquoil.
– Qu’est-ce?
– C’est l’escadre.
– De France?
– Du diable.
Il y eut un silence. Le capitaine reprit:
– Toute la croisière est-elle là?
– Pas toute.
En effet, le 2 avril, Valazé avait annoncé à la Convention que dix frégates et six vaisseaux de ligne croisaient dans la Manche. Ce souvenir revint à l’esprit du capitaine.
– Au fait, dit-il, l’escadre est de seize bâtiments. Il n’y en a ici que huit.
– Le reste, dit Gacquoil, traîne par là-bas sur toute la côte, et espionne.
Le capitaine, tout en regardant à travers sa longue-vue, murmura:
– Un vaisseau à trois ponts, deux frégates de premier rang, cinq de deuxième rang.
– Mais moi aussi, grommela Gacquoil, je les ai espionnés.
– Bons bâtiments, dit le capitaine. J’ai un peu commandé tout cela.
– Moi, dit Gacquoil, je les ai vus de près. Je ne prends pas l’un pour l’autre. J’ai leur signalement dans la cervelle.
Le capitaine passa sa longue-vue au pilote.
– Pilote, distinguez-vous bien le bâtiment de haut bord?
– Oui, mon commandant, c’est le vaisseau la Côte-d’Or.
– Qu’ils ont débaptisé, dit le capitaine. C’était autrefois les États-de-Bourgogne. Un navire neuf. Cent vingt-huit canons.
Il tira de sa poche un carnet et un crayon, et écrivit sur le carnet le chiffre 128.
Il poursuivit:
– Pilote, quelle est la première voile à bâbord?
– C’est l’Expérimentée.
– Frégate de premier rang. Cinquante-deux canons. Elle était en armement à Brest il y a deux mois.
Le capitaine marqua sur son carnet le chiffre 52.
– Pilote, reprit-il, quelle est la deuxième voile à bâbord?
– La Dryade.
– Frégate de premier rang. Quarante canons de dix-huit. Elle a été dans l’Inde. Elle a une belle histoire militaire.
Et il écrivit au-dessous du chiffre 52 le chiffre 40; puis, relevant la tête:
– À tribord, maintenant.
– Mon commandant, ce sont toutes des frégates de second rang. Il y en a cinq.
– Quelle est la première à partir du vaisseau?
– La Résolue.
– Trente-deux pièces de dix-huit. Et la seconde?
– La Richemont.
– Même force. Après?
– L’Athée.
– Drôle de nom pour aller en mer. Après?
– La Calypso.
– Après?
– La Preneuse.
– Cinq frégates de trente-deux chaque.
Le capitaine écrivit au-dessous des premiers chiffres, 160.
– Pilote, dit-il, vous les reconnaissez bien?
– Et vous, répondit Gacquoil, vous les connaissez bien, mon commandant. Reconnaître est quelque chose, connaître est mieux.
Le capitaine avait l’oeil fixé sur son carnet et additionnait entre ses dents.
– Cent vingt-huit, cinquante-deux, quarante, cent soixante.
En ce moment La Vieuville remontait sur le pont.
– Chevalier, lui cria le capitaine, nous sommes en présence de trois cent quatre-vingts pièces de canon.
– Soit, dit La Vieuville.
– Vous revenez de l’inspection, La Vieuville; combien décidément