Sapho. Alphonse Daudet

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Sapho - Alphonse  Daudet

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fait, ajouta-t-il, je ne t’ai jamais demandé… Pourquoi t’es-tu fâchée ?… Pour deux vers de La Gournerie ?…

      Elle eut le même froncement de sourcils qu’au bal, puis un geste de tête :

      – Des bêtises !… n’en parlons plus…

      Et les bras autour de lui :

      –C’est que j’avais un peu peur, moi aussi… j’essayais de me sauver, de me reprendre… mais je n’ai pas pu, je ne pourrai jamais…

      – Oh ! jamais.

      – Tu verras.

      Il se contenta de répondre avec le sourire sceptique de son âge, sans s’arrêter à l’accent passionné, presque menaçant, dont lui fut jeté ce « tu verras… ». Cette étreinte de femme était si douce, si soumise ; il croyait fermement n’avoir qu’un geste à faire pour se dégager…

      Même à quoi bon se dégager ?… Il était si bien dans le dorlotement de cette chambre voluptueuse, si délicieusement étourdi par cette haleine en caresse sur ses paupières qui battaient, lourdes de sommeil, pleines de visions fuyantes, bois rouillés, prés, meules ruisselantes, toute leur journée d’amour à la campagne…

      Au matin, il fut réveillé en sursaut par la voix de Machaume criant au pied du lit, sans le moindre mystère :

      – Il est là… il veut vous parler…

      – Comment ! il veut ?… Je ne suis donc plus chez moi !… tu l’as donc laissé entrer…

      Furieuse, elle bondit, s’échappa de la chambre, à moitié nue, la batiste ouverte :

      – Ne bouge pas, m’ami… je reviens…

      Mais il ne l’attendit pas et ne sentit tranquille que lorsqu’il fut levé à son tour, et vêtu, ses pieds solides dans ses bottes.

      Tout en ramassant ses vêtements dans la chambre hermétiquement close où la veilleuse éclairait encore le désordre du petit souper, il entendait le bruit d’un débat terrible étouffé par les tentures du salon. Une voix d’homme, irritée d’abord, puis implorante, dont les éclats s’écrasaient en sanglots, en larmoyantes faiblesses, alternait avec une autre voix qu’il ne reconnut pas tout de suite, dure et rauque, chargée de haine et de mots ignobles arrivant jusqu’à lui comme d’une dispute de brasserie de filles.

      Tout ce luxe amoureux en était souillé, dégradé d’un éclaboussement de taches sur de la soie ; et la femme salie aussi, au niveau d’autres qu’il avait méprisées auparavant.

      Elle rentra haletante, tordant d’un beau geste sa chevelure répandue :

      – Est-ce bête un homme qui pleure !…

      Puis le voyant debout, habillé, elle eut un cri de rage :

      – Tu t’es levé !… recouche-toi… tout de suite… Je le veux…

      Subitement radoucie, et l’enlaçant du geste et de la voix :

      – Non, non… ne pars pas… tu ne peux pas t’en aller comme ça… D’abord je suis sûre que tu ne reviendrais plus.

      – Mais si… Pourquoi donc ?…

      – Jure que tu n’es pas fâché, que tu viendras encore… oh ! c’est que je te connais.

      Il jura ce qu’elle voulut, mais ne se recoucha pas malgré ses supplications et l’assurance réitérée qu’elle était chez elle, libre de sa vie, de ses actes. À la fin elle sembla se résigner à le voir partir, et l’accompagna jusqu’à la porte, n’ayant plus rien de la faunesse en délire, bien humble au contraire, cherchant à se faire pardonner.

      Une longue et profonde caresse d’adieu les retint dans l’antichambre.

      « Alors… quand ?… » lui demandait-elle, les yeux tout au fond des yeux. Il allait répondre, mentir sans doute, dans sa hâte d’être dehors, quand un coup de sonnette l’arrêta. Machaume sortit de sa cuisine, mais Fanny lui fit signe : « Non… n’ouvre pas… » Et ils restaient là, tous les trois, immobiles, sans parler.

      On entendit une plainte étouffée, puis le froissement d’une lettre glissée sous la porte, et des pas qui descendaient lentement.

      – Quand je te disais que j’étais libre… tiens !…

      Elle passa à son amant la lettre qu’elle venait d’ouvrir, une pauvre lettre d’amour, bien basse, bien lâche, crayonnée en hâte sur une table de café et dans laquelle le malheureux demandait grâce pour sa folie du matin, reconnaissait n’avoir aucun droit sur elle que celui qu’elle voudrait bien lui laisser, priait à deux mains jointes qu’on ne l’exilât pas sans retour, promettant d’accepter tout, résigné à tout… mais ne pas la perdre, mon Dieu ! ne pas la perdre…

      « Crois-tu !… » dit-elle avec un mauvais rire ; et ce rire acheva de lui barrer le cœur qu’elle voulait conquérir. Jean la trouva cruelle. Il ne savait pas encore que la femme qui aime n’a d’entrailles que pour son amour, toutes ses forces vives de charité, de bonté, de pitié, de dévouement absorbées au profit d’un être, d’un seul.

      « Tu as bien tort de te moquer… cette lettre est horriblement belle et navrante… » et tout bas, d’une voix grave, en lui tenant les mains :

      – Voyons… pourquoi le chasses-tu ?…

      – Je n’en veux plus… Je ne l’aime pas.

      – Pourtant c’était ton amant… Il t’a fait ce luxe où tu vis, où tu as toujours vécu, qui t’est nécessaire.

      – M’ami, dit-elle avec son accent de franchise, quand je ne te connaissais pas, je trouvais tout cela très bien… Maintenant c’est une fatigue, une honte ; j’en avais le cœur qui me levait… Oh ! je sais, tu vas me dire que toi ce n’est pas sérieux, que tu ne m’aimes pas… Mais ça, j’en fais mon affaire… Que tu le veuilles ou non, je te forcerai bien de m’aimer.

      Il ne répondit pas, convint d’un rendez-vous pour le lendemain, et se sauva, laissant quelques louis à Machaume, le fond de sa bourse d’étudiant, en paiement de la terrine. Pour lui, c’était fini maintenant. De quel droit troubler cette existence de femme, et que pouvait-il lui offrir en échange de ce qu’il lui faisait perdre ?

      Il lui écrivit cela, le jour même, aussi doucement, aussi sincèrement qu’il put, mais sans lui avouer que de leur liaison, de ce caprice léger et aimable, il avait senti se dégager tout à coup quelque chose de violent, de malsain, en entendant après sa nuit d’amour ces sanglots d’amant trompé qui alternaient avec son rire à elle et ses jurons de blanchisseuse.

      Dans ce grand garçon, poussé loin de Paris, en pleine garrigue provençale, il y avait un peu de la rudesse paternelle, et toutes les délicatesses, toutes les nervosités de sa mère à laquelle il ressemblait comme un portrait. Et pour le défendre contre les entraînements du plaisir s’ajoutait encore l’exemple d’un frère de son père, dont les désordres, les folies avaient à demi ruiné leur famille et mis l’honneur du nom en péril.

      L’oncle Césaire !

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