Salammbô. Gustave Flaubert

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Salammbô - Gustave  Flaubert

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terrain remonta, et les habitations se rapprochèrent. Ils tournaient dans les rues étroites, au milieu des ténèbres. Des lambeaux de sparterie fermant les portes battaient contre les murs. Sur une place, des chameaux ruminaient devant des tas d’herbes coupées. Puis ils passèrent sous une galerie que recouvraient des feuillages. Un troupeau de chiens aboya. Mais l’espace tout à coup s’élargit, et ils reconnurent la face occidentale de l’Acropole. Au bas de Byrsa s’étalait une longue masse noire : c’était le temple de Tanit, ensemble de monuments et de jardins, de cours et d’avant-cours, bordé par un petit mur de pierres sèches. Spendius et Mâtho le franchirent.

      Cette première enceinte renfermait un bois de platanes, par précaution contre la peste et l’infection de l’air. Çà et là étaient disséminées des tentes où l’on vendait pendant le jour des pâtes épilatoires, des parfums, des vêtements, des gâteaux en forme de lune, et des images de la Déesse avec des représentations du temple, creusées dans un bloc d’albâtre.

      Ils n’avaient rien à craindre, car les nuits où l’astre ne paraissait pas on suspendait tous les rites : cependant Mâtho se ralentissait ; il s’arrêta devant les trois marches d’ébène qui conduisaient à la seconde enceinte.

      – «Avance !» dit Spendius.

      Des grenadiers, des amandiers, des cyprès et des myrtes, immobiles comme des feuillages de bronze, alternaient régulièrement ; le chemin, pavé de cailloux bleus, craquait sous les pas, et des roses épanouies pendaient en berceau sur toute la longueur de l’allée. Ils arrivèrent devant un trou ovale, abrité par une grille. Alors, Mâtho, que ce silence effrayait, dit à Spendius :

      – «C’est ici qu’on mélange les Eaux douces avec les Eaux amères.»

      – «J’ai vu tout cela» , reprit l’ancien esclave, «en Syrie, dans la ville de Maphug» ; et, par un escalier de six marches d’argent, ils montèrent dans la troisième enceinte.

      Un cèdre énorme en occupait le milieu. Ses branches les plus basses disparaissaient sous des brides d’étoffes et des colliers qu’y avaient appendus les fidèles. Ils firent encore quelques pas, et la façade du temple se déploya.

      Deux longs portiques, dont les architraves reposaient sur des piliers trapus, flanquaient une tour quadrangulaire, ornée à sa plate-forme par un croissant de lune. Sur les angles des portiques et aux quatre coins de la tour s’élevaient des vases pleins d’aromates allumés. Des grenades et des coloquintes chargeaient les chapiteaux. Des entrelacs, des losanges, des lignes de perles s’alternaient sur les murs, et une haie en filigrane d’argent formait un large demi-cercle devant l’escalier d’airain qui descendait du vestibule.

      Il y avait à l’entrée, entre une stèle d’or et une stèle d’émeraude, un cône de pierre ; Mâtho, en passant à côté, se baisa la main droite.

      La première chambre était très haute ; d’innombrables ouvertures perçaient sa voûte ; en levant la tête on pouvait voir les étoiles. Tout autour de la muraille, dans des corbeilles de roseau, s’amoncelaient des barbes et des chevelures, prémices des adolescences ; et, au milieu de l’appartement circulaire, le corps d’une femme sortait d’une gaine couverte de mamelles. Grasse, barbue, et les paupières baissées, elle avait l’air de sourire, en croisant ses mains sur le bord de son gros ventre, – poli par les baisers de la foule.

      Puis ils se retrouvèrent à l’air libre, dans un corridor transversal, où un autel de proportions exiguës s’appuyait contre une porte d’ivoire. On n’allait point au-delà : les prêtres seuls pouvaient l’ouvrir ; car un temple n’était pas un lieu de réunion pour la multitude, mais la demeure particulière d’une divinité.

      – «L’entreprise est impossible» , disait Mâtho. «Tu n’y avais pas songé ! Retournons !» Spendius examinait les murs.

      Il voulait le voile, non qu’il eût confiance en sa vertu (Spendius ne croyait qu’à l’Oracle), mais persuadé que les Carthaginois, s’en voyant privés, tomberaient dans un grand abattement. Pour trouver quelque issue, ils firent le tour par-derrière.

      On apercevait, sous des bosquets de térébinthe, des édicules de forme différente. Çà et là un phallus de pierre se dressait, et de grands cerfs erraient tranquillement, poussant de leurs pieds fourchus des pommes de pin tombées.

      Ils revinrent sur leurs pas entre deux longues galeries qui s’avançaient parallèlement. De petites cellules s’ouvraient au bord. Des tambourins et des cymbales étaient accrochés du haut en bas de leurs colonnes de cèdre. Des femmes dormaient en dehors des cellules, étendues sur des nattes. Leurs corps, tout gras d’onguents, exhalaient une odeur d’épices et de cassolettes éteintes ; elles étaient si couvertes de tatouages, de colliers, d’anneaux, de vermillon et d’antimoine, qu’on les eût prises, sans le mouvement de leur poitrine, pour des idoles ainsi couchées par terre. Des lotus entouraient une fontaine, où nageaient des poissons pareils à ceux de Salammbô ; puis au fond, contre la muraille du temple, s’étalait une vigne dont les sarments étaient de verre et les grappes d’émeraude : les rayons des pierres précieuses faisaient des jeux de lumière, entre les colonnes peintes, sur les visages endormis.

      Mâtho suffoquait dans la chaude atmosphère que rabattaient sur lui les cloisons de cèdre. Tous ces symboles de la fécondation, ces parfums, ces rayonnements, ces haleines l’accablaient. A travers les éblouissements mystiques, il songeait à Salammbô. Elle se confondait avec la Déesse elle-même, et son amour s’en dégageait plus fort, comme les grands lotus qui s’épanouissaient sur la profondeur des eaux.

      Spendius calculait quelle somme d’argent il aurait autrefois gagnée à vendre ces femmes ; et, d’un coup d’oeil rapide, il pesait en passant les colliers d’or.

      Le temple était, de ce côté comme de l’autre, impénétrable. Ils revinrent derrière la première chambre. Pendant que Spendius cherchait, furetait, Mâtho, prosterné devant la porte, implorait Tanit. Il la suppliait de ne point permettre ce sacrilège. Il tâchait de l’adoucir avec des mots caressants, comme on fait à une personne irritée. Spendius remarqua au-dessus de la porte une ouverture étroite.

      – «Lève-toi !» dit-il à Mâtho, et il le fit s’adosser contre le mur, tout debout. Alors, posant un pied dans ses mains, puis un autre sur sa tête, il parvint jusqu’à la hauteur du soupirail, s’y engagea et disparut. Puis Mâtho sentit tomber sur son épaule une corde à noeuds, celle que Spendius avait enroulée autour de son corps avant de s’engager dans les citernes ; et s’y appuyant des deux mains, bientôt il se trouva près de lui dans une grande salle pleine d’ombre.

      De pareils attentats étaient une chose extraordinaire. L’insuffisance des moyens pour les prévenir témoignait assez qu’on les jugeait impossibles. La terreur, plus que les murs, défendait les sanctuaires. Mâtho, à chaque pas, s’attendait à mourir.

      Cependant, une lueur vacillait au fond des ténèbres ; ils s’en rapprochèrent. C’était une lampe qui brûlait dans une coquille sur le piédestal d’une statue, coiffée du bonnet des Cabires. Des disques en diamant parsemaient sa longue robe bleue, et des chaînes, qui s’enfonçaient sous les dalles, l’attachaient au sol par les talons. Mâtho retint un cri. Il balbutiait : «Ah ! la voilà ! la voilà ! …» Spendius prit la lampe afin de s’éclairer.

      – «Quel impie tu es !» murmura Mâtho. Il le suivait pourtant.

      L’appartement où ils entrèrent n’avait rien qu’une peinture noire représentant une autre femme. Ses jambes montaient jusqu’au haut de la muraille. Son corps occupait le plafond tout entier. De son nombril pendait à un fil un oeuf énorme, et elle retombait sur l’autre

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