Salammbô. Gustave Flaubert

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Salammbô - Gustave  Flaubert

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leurs combats, leurs voyages et les chasses de leurs pays. Ils imitaient le cri des bêtes féroces, leurs bonds. Puis vinrent les immondes gageures ; ils s’enfonçaient la tête dans les amphores, et restaient à boire, sans s’interrompre, comme des dromadaires altérés. Un Lusitanien, de taille gigantesque, portant un homme au bout de chaque bras, parcourait les tables tout en crachant du feu par les narines. Des Lacédémoniens qui n’avaient point ôté leurs cuirasses sautaient d’un pas lourd. Quelques-uns s’avançaient comme des femmes en faisant des gestes obscènes ; d’autres se mettaient nus pour combattre, au milieu des coupes, à la façon des gladiateurs, et une compagnie de Grecs dansait autour d’un vase où l’on voyait des nymphes, pendant qu’un nègre tapait avec un os de boeuf sur un bouclier d’airain.

      Tout à coup, ils entendirent un chant plaintif, un chant fort et doux, qui s’abaissait et remontait dans les airs comme le battement d’ailes d’un oiseau blessé.

      C’était la voix des esclaves dans l’ergastule. Des soldats, pour les délivrer, se levèrent d’un bond et disparurent.

      Ils revinrent, chassant au milieu des cris, dans la poussière, une vingtaine d’hommes que l’on distinguait à leur visage plus pâle. Un petit bonnet de forme conique, en feutre noir, couvrait leur tête rasée ; ils portaient tous des sandales de bois et faisaient un bruit de ferrailles comme des chariots en marche.

      Ils arrivèrent dans l’avenue des cyprès, où ils se perdirent parmi la foule, qui les interrogeait. L’un d’eux était resté à l’écart, debout. A travers les déchirures de sa tunique on apercevait ses épaules rayées par de longues balafres. Baissant le menton, il regardait autour de lui avec méfiance et fermait un peu ses paupières dans l’éblouissement des flambeaux ; mais quand il vit que personne de ces gens armés ne lui en voulait, un grand soupir s’échappa de sa poitrine : il balbutiait, il ricanait sous les larmes claires qui lavaient sa figure ; puis il saisit par les anneaux un canthare tout plein, le leva droit en l’air au bout de ses bras d’où pendaient des chaînes, et alors regardant le ciel et toujours tenant la coupe, il dit :

      – «Salut d’abord à toi, Baal-Eschmoûn libérateur, que les gens de ma patrie appellent Esculape ! et à vous, Génies des fontaines, de la lumière et des bois ! et à vous, Dieux cachés sous les montagnes et dans les cavernes de la terre ! et à vous, hommes forts aux armures reluisantes, qui m’avez délivré !»

      Puis il laissa tomber la coupe et conta son histoire. On le nommait Spendius. Les Carthaginois l’avaient pris à la bataille des Egineuses, et parlant grec, ligure et punique, il remercia encore une fois les Mercenaires ; il leur baisait les mains ; enfin, il les félicita du banquet, tout en s’étonnant de n’y pas apercevoir les coupes de la Légion sacrée. Ces coupes, portant une vigne en émeraude sur chacune de leurs six faces en or, appartenaient à une milice exclusivement composée des jeunes patriciens, les plus hauts de taille. C’était un privilège, presque un honneur sacerdotal ; aussi rien dans les trésors de la République n’était plus convoité des Mercenaires. Ils détestaient la Légion à cause de cela, et on en avait vu qui risquaient leur vie pour l’inconcevable plaisir d’y boire. Donc ils commandèrent d’aller chercher les coupes. Elles étaient en dépôt chez les Syssites, compagnies de commerçants qui mangeaient en commun. Les esclaves revinrent. A cette heure, tous les membres des Syssites dormaient.

      – «Qu’on les réveille !» répondirent les Mercenaires.

      Après une seconde démarche, on leur expliqua qu’elles étaient enfermées dans un temple.

      – «Qu’on l’ouvre !» répliquèrent-ils.

      Et quand les esclaves, en tremblant, eurent avoué qu’elles étaient entre les mains du général Giscon, ils s’écrièrent :

      – «Qu’il les apporte !»

      Giscon, bientôt, apparut au fond du jardin dans une escorte de la Légion sacrée. Son ample manteau noir, retenu sur sa tête à une mitre d’or constellée de pierres précieuses, et qui pendait tout à l’entour jusqu’aux sabots de son cheval, se confondait, de loin, avec la couleur de la nuit. On n’apercevait que sa barbe blanche, les rayonnements de sa coiffure et son triple collier à larges plaques bleues qui lui battait sur la poitrine.

      Les soldats, quand il entra, le saluèrent d’une grande acclamation, tous criant :

      – «Les coupes ! Les coupes !»

      Il commença par déclarer que, si l’on considérait leur courage, ils en étaient dignes. La foule hurla de joie, en applaudissant.

      Il le savait bien, lui qui les avait commandés là-bas et qui était revenu avec la dernière cohorte sur la dernière galère !

      – «C’est vrai ! c’est vrai !» , disaient-ils.

      Cependant, continua Giscon, la République avait respecté leurs divisions par peuples, leurs coutumes, leurs cultes ; ils étaient libres dans Carthage ! Quant aux vases de la Légion sacrée, c’était une propriété particulière. Tout à coup, près de Spendius, un Gaulois s’élança par-dessus les tables et courut droit à Giscon, qu’il menaçait en gesticulant avec deux épées nues.

      Le général, sans s’interrompre, le frappa sur la tête de son lourd bâton d’ivoire : le Barbare tomba. Les Gaulois hurlaient, et leur fureur, se communiquant aux autres, allait emporter les légionnaires. Giscon haussa les épaules en les voyant pâlir. Il songeait que son courage serait inutile contre ces bêtes brutes, exaspérées. Il valait mieux plus tard s’en venger dans quelque ruse ; donc il fit signe à ses soldats et s’éloigna lentement. Puis, sous la porte, se tournant vers les Mercenaires, il leur cria qu’ils s’en repentiraient.

      Le festin recommença. Mais Giscon pouvait revenir et, cernant le faubourg qui touchait aux derniers remparts, les écraser contre les murs. Alors ils se sentirent seuls malgré leur foule ; et la grande ville qui dormait sous eux, dans l’ombre, leur fit peur, tout à coup, avec ses entassements d’escaliers, ses hautes maisons noires et ses vagues dieux encore plus féroces que son peuple. Au loin, quelques fanaux glissaient sur le port, et il y avait des lumières dans le temple de Khamon. Ils se souvinrent d’Hamilcar. Où était-il ? Pourquoi les avoir abandonnés, la paix conclue ? Ses dissensions avec le Conseil n’étaient sans doute qu’un jeu pour les perdre. Leur haine inassouvie retombait sur lui : et ils le maudissaient s’exaspérant les uns les autres par leur propre colère. A ce moment-là, il se fit un rassemblement sous les platanes. C’était pour voir un nègre qui se roulait en battant le sol avec ses membres, la prunelle fixe, le cou tordu, l’écume aux lèvres. Quelqu’un cria qu’il était empoisonné. Tous se crurent empoisonnés. Ils tombèrent sur les esclaves ; une clameur épouvantable s’éleva, et un vertige de destruction tourbillonna sur l’armée ivre. Ils frappaient au hasard, autour d’eux, ils brisaient, ils tuaient : quelques-uns lancèrent des flambeaux dans les feuillages ; d’autres, s’accoudant sur la balustrade des lions, les massacrèrent à coups de flèches ; les plus hardis coururent aux éléphants, ils voulaient leur abattre la trompe et manger de l’ivoire.

      Cependant des frondeurs baléares qui, pour piller plus commodément, avaient tourné l’angle du palais, furent arrêtés par une haute barrière faite en jonc des Indes. Ils coupèrent avec leurs poignards les courroies de la serrure et se trouvèrent alors sous la façade qui regardait Carthage, dans un autre jardin rempli de végétations taillées. Des lignes de fleurs blanches, toutes se suivant une à une, décrivaient sur la terre couleur d’azur de longues paraboles, comme des fusées d’étoiles. Les buissons, pleins de ténèbres, exhalaient des odeurs chaudes, mielleuses. Il y avait des troncs d’arbre barbouillés de cinabre, qui ressemblaient à des colonnes sanglantes. Au milieu, douze piédestaux de cuivre portaient chacun une grosse boule de verre,

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