Le Rosier de Mme Husson. Guy de Maupassant

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Le Rosier de Mme Husson - Guy de Maupassant

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alors.

      Elle prit le livre, l’ouvrit et se mit à le parcourir avec un petit air étonné prouvant qu’elle ne lisait pas souvent de vers.

      Parfois, elle semblait attendrie, parfois elle souriait, mais d’un autre sourire qu’en lisant son journal.

      Soudain, je lui demandai:

      – Cela vous plaît-il?

      – Oui, mais j’aime ce qui est gai, moi, ce qui est très gai, je ne suis pas sentimentale.

      Et nous commençâmes à causer. J’appris qu’elle était femme d’un capitaine de dragons en garnison à Ajaccio et qu’elle allait rejoindre son mari.

      En quelques minutes, je devinai qu’elle ne l’aimait guère, ce mari! Elle l’aimait pourtant, mais avec réserve, comme on aime un homme qui n’a pas tenu grand’chose des espérances éveillées aux jours des fiançailles. Il l’avait promenée de garnison en garnison, à travers un tas de petites villes tristes, si tristes! Maintenant, il l’appelait dans cette île qui devait être lugubre. Non, la vie n’était pas amusante pour tout le monde. Elle aurait encore préféré demeurer chez ses parents, à Lyon, car elle connaissait tout le monde à Lyon. Mais il lui fallait aller en Corse maintenant. Le ministre, vraiment, n’était pas aimable pour son mari, qui avait pourtant de très beaux états de services.

      Et nous parlâmes des résidences qu’elle eût préférées. Je demandai:

      – Aimez-vous Paris?

      Elle s’écria:

      – Oh! monsieur, si j’aime Paris! Est-il possible de faire une pareille question? Et elle se mit à me parler de Paris avec une telle ardeur, un tel enthousiasme, une telle frénésie de convoitise que je pensai: «Voilà la corde dont il faut jouer».

      Elle adorait Paris, de loin, avec une rage de gourmandise rentrée, avec une passion exaspérée de provinciale, avec une impatience affolée d’oiseau en cage qui regarde un bois toute la journée, de la fenêtre où il est accroché.

      Elle se mit à m’interroger, en balbutiant d’angoisse; elle voulait tout apprendre, tout, en cinq minutes. Elle savait les noms de tous les gens connus, et de beaucoup d’autres encore dont je n’avais jamais entendu parler.

      – Comment est M. Gounod? Et M. Sardou? Oh! monsieur, comme j’aime les pièces de M. Sardou! Comme c’est gai, spirituel! Chaque fois que j’en vois une, je rêve pendant huit jours! J’ai lu aussi un livre de M. Daudet qui m’a tant plu! Sapho, connaissez-vous ça? Est-il joli garçon, M. Daudet? L’avez-vous vu? Et M. Zola, comment est-il? Si vous saviez comme Germinal m’a fait pleurer! Vous rappelez-vous le petit enfant qui meurt sans lumière? Comme c’est terrible! J’ai failli en faire une maladie. Ça n’est pas pour rire, par exemple! J’ai lu aussi un livre de M. Bourget, Cruelle énigme! J’ai une cousine qui a si bien perdu la tête de ce roman-là qu’elle a écrit à M. Bourget. Moi, j’ai trouvé ça trop poétique. J’aime mieux ce qui est drôle. Connaissez-vous M. Grévin? Et M. Coquelin? Et M. Damala? Et M. Rochefort? On dit qu’il a tant d’esprit! Et M. de Cassagnac? Il paraît qu’il se bat tous les jours?…

      …………………

      Au bout d’une heure environ, ses interrogations commençaient à s’épuiser; et ayant satisfait sa curiosité de la façon la plus fantaisiste, je pus parler à mon tour.

      Je lui racontai des histoires du monde, du monde parisien, du grand monde. Elle écoutait de toutes ses oreilles, de tout son coeur. Oh! certes, elle a dû prendre une jolie idée des belles dames, des illustres dames de Paris. Ce n’étaient qu’aventures galantes, que rendez-vous, que victoires rapides et défaites passionnées. Elle me demandait de temps en temps:

      – Oh! c’est comme ça, le grand monde?

      Je souriais d’un air malin:

      – Parbleu. Il n’y a que les petites bourgeoises qui mènent une vie plate et monotone par respect de la vertu, d’une vertu dont personne ne leur sait gré…

      Et je me mis à saper la vertu à grands coups d’ironie, à grands coups de philosophie, à grands coups de blague. Je me moquai avec désinvolture des pauvres bêtes qui se laissent vieillir sans avoir rien connu de bon, de doux, de tendre ou de galant, sans avoir jamais savouré le délicieux plaisir des baisers dérobés, profonds, ardents, et cela parce qu’elles ont épousé une bonne cruche de mari dont la réserve conjugale les laisse aller jusqu’à la mort dans l’ignorance de toute sensualité raffinée et de tout sentiment élégant.

      Puis, je citai encore des anecdotes, des anecdotes de cabinets particuliers, des intrigues que j’affirmais connues de l’univers entier. Et, comme refrain, c’était toujours l’éloge discret, secret, de l’amour brusque et caché, de la sensation volée comme un fruit, en passant, et oubliée aussitôt qu’éprouvée.

      La nuit venait, une nuit calme et chaude. Le grand navire, tout secoué par sa machine, glissait sur la mer, sous l’immense plafond du ciel violet, étoilé de feu.

      La petite femme ne disait plus rien. Elle respirait lentement et soupirait parfois. Soudain elle se leva:

      – Je vais me coucher, dit-elle, bonsoir, monsieur.

      Et elle me serra la main.

      Je savais qu’elle devait prendre le lendemain soir la diligence qui va de Bastia à Ajaccio à travers les montagnes, et qui reste en route toute la nuit. Je répondis:

      – Bonsoir, madame.

      Et je gagnai, à mon tour, la couchette de ma cabine.

      J’avais loué, dès le matin du lendemain, les trois places du coupé, toutes les trois pour moi tout seul.

      Comme je montais dans la vieille voiture qui allait quitter Bastia, à la nuit tombante, le conducteur me demanda si je ne consentirais point à céder un coin à une dame.

      Je demandai brusquement:

      – À quelle dame?

      – À la dame d’un officier qui va à Ajaccio.

      – Dites à cette personne que je lui offrirai volontiers une place.

      Elle arriva, ayant passé la journée à dormir, disait-elle. Elle s’excusa, me remercia et monta.

      Ce coupé était une espèce de boîte hermétiquement close et ne prenant jour que par les deux portes. Nous voici donc en tête-à-tête, là dedans. La voiture allait au trot, au grand trot; puis elle s’engagea dans la montagne. Une odeur fraîche et puissante d’herbes aromatiques entrait par les vitres baissées, cette odeur forte que la Corse répand autour d’elle, si loin que les marins la reconnaissent au large, odeur pénétrante comme la senteur d’un corps, comme une sueur de la terre verte imprégnée de parfums, que le soleil ardent a dégagés d’elle, a évaporés dans le vent qui passe.

      Je me remis à parler de Paris, et elle recommença à m’écouter avec une attention fiévreuse. Mes histoires devenaient hardies, astucieusement décolletées, pleines de mots voilés et perfides, de ces mots qui allument le sang.

      La nuit était tombée tout à fait. Je ne voyais plus rien, pas même la tache blanche que faisait tout à l’heure le visage de la jeune

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