La Comédie humaine - Volume 01. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 01 - Honore de Balzac

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du loup. Elle se haranguait elle-même et se traçait d'admirables plans de conduite; elle concevait mille stratagèmes de coquetterie; elle parlait même à son mari, retrouvant, loin de lui, toutes les ressources de cette éloquence vraie qui n'abandonne jamais les femmes; puis, en songeant au regard fixe et clair de Théodore, elle tremblait déjà. Quand elle demanda si monsieur était chez lui, la voix lui manqua. En apprenant qu'il ne reviendrait pas dîner, elle éprouva un mouvement de joie inexplicable. Semblable au criminel qui se pourvoit en cassation contre son arrêt de mort, un délai, quelque court qu'il pût être, lui semblait une vie entière. Elle plaça le portrait dans sa chambre, et attendit son mari en se livrant à toutes les angoisses de l'espérance. Elle pressentait trop bien que cette tentative allait décider de tout son avenir, pour ne pas frissonner à toute espèce de bruit, même au murmure de sa pendule qui semblait appesantir ses terreurs en les lui mesurant. Elle tâcha de tromper le temps par mille artifices. Elle eut l'idée de faire une toilette qui la rendit semblable en tout point au portrait. Puis, connaissant le caractère inquiet de son mari, elle fit éclairer son appartement d'une manière inusitée, certaine qu'en rentrant la curiosité l'amènerait chez elle. Minuit sonna, quand, au cri du jockei, la porte de l'hôtel s'ouvrit. La voiture du peintre roula sur le pavé de la cour silencieuse.

      — Que signifie cette illumination? demanda Théodore d'une voix joyeuse en entrant dans la chambre de sa femme.

      Augustine saisit avec adresse un moment si favorable, elle s'élança au cou de son mari et lui montra le portrait. L'artiste resta immobile comme un rocher. Ses yeux se dirigèrent alternativement sur Augustine et sur la toile accusatrice. La timide épouse, demi-morte, épiait le front changeant, le front terrible de son mari. Elle en vit par degrés les rides expressives s'amonceler comme des nuages; puis, elle crut sentir son sang se figer dans ses veines, quand, par un regard flamboyant et d'une voix profondément sourde, elle fut interrogée.

      — Où avez-vous trouvé ce tableau?

      — La duchesse de Carigliano me l'a rendu.

      — Vous le lui avez demandé?

      — Je ne savais pas qu'il fût chez elle.

      La douceur ou plutôt la mélodie enchanteresse de la voix de cet ange eût attendri des Cannibales, mais non un artiste en proie aux tortures de la vanité blessée.

      — Cela est digne d'elle, s'écria l'artiste d'une voix tonnante. Je me vengerai! dit-il en se promenant à grands pas. Elle en mourra de honte: je la peindrai! oui, je la représenterai sous les traits de Messaline sortant à la nuit du palais de Claude.

      — Théodore! dit une voix mourante.

      — Je la tuerai.

      — Mon ami!

      — Elle aime ce petit colonel de cavalerie, parce qu'il monte bien à cheval...

      — Théodore!

      — Eh! laissez-moi, dit le peintre à sa femme avec un son de voix qui ressemblait presque à un rugissement.

      Il serait odieux de peindre toute cette scène à la fin de laquelle l'ivresse de la colère suggéra à l'artiste des paroles et des actes qu'une femme, moins jeune qu'Augustine, aurait attribués à la démence.

      Sur les huit heures du matin, le lendemain, madame Guillaume surprit sa fille pâle, les yeux rouges, la coiffure en désordre, tenant à la main un mouchoir trempé de pleurs, contemplant sur le parquet les fragments épars d'une toilette déchirée et les morceaux d'un grand cadre doré mis en pièce. Augustine, que la douleur rendait presque insensible, montra ces débris par un geste empreint de désespoir.

      — Et voilà peut-être une grande perte, s'écria la vieille régente du Chat-qui-pelote. Il était ressemblant, c'est vrai; mais j'ai appris qu'il y a sur le boulevard un homme qui fait des portraits charmants pour cinquante écus.

      — Ah, ma mère!

      — Pauvre petite, tu as bien raison! répondit madame Guillaume qui méconnut l'expression du regard que lui jeta sa fille. Va, mon enfant, l'on n'est jamais si tendrement aimé que par sa mère. Ma mignonne, je devine tout; mais viens me confier tes chagrins, je te consolerai. Ne t'ai-je pas déjà dit que cet homme-là était un fou! Ta femme de chambre m'a conté de belles choses... Mais c'est donc un véritable monstre!

      Augustine mit un doigt sur ses lèvres pâlies, comme pour implorer de sa mère un moment de silence. Pendant cette terrible nuit, le malheur lui avait fait trouver cette patiente résignation qui, chez les mères et chez les femmes aimantes, surpasse, dans ses effets, l'énergie humaine et révèle peut-être dans le cœur des femmes l'existence de certaines cordes que Dieu a refusées à l'homme.

      Une inscription gravée sur un cippe du cimetière Montmartre indiquait que madame de Sommervieux était morte à vingt-sept ans. Un poëte, ami de cette timide créature, voyait, dans les simples lignes de son épitaphe, la dernière scène d'un drame. Chaque année, au jour solennel du 2 novembre, il ne passait jamais devant ce jeune marbre sans se demander s'il ne fallait pas des femmes plus fortes que ne l'était Augustine pour les puissantes étreintes du génie.

      — Les humbles et modestes fleurs, écloses dans les vallées, meurent peut-être, se disait-il, quand elles sont transplantées trop près des cieux, aux régions où se forment les orages, où le soleil est brûlant.

Maffliers; octobre 1829.

      LE BAL DE SCEAUX

A HENRI DE BALZAC, Son frère Honoré.

      Le comte de Fontaine, chef de l'une des plus anciennes familles du Poitou, avait servi la cause des Bourbons avec intelligence et courage pendant la guerre que les Vendéens firent à la république. Après avoir échappé à tous les dangers qui menacèrent les chefs royalistes durant cette orageuse époque de l'histoire contemporaine, il disait gaiement: — Je suis un de ceux qui se sont fait tuer sur les marches du trône! Cette plaisanterie n'était pas sans quelque vérité pour un homme laissé parmi les morts à la sanglante journée des Quatre-Chemins. Quoique ruiné par des confiscations, ce fidèle Vendéen refusa constamment les places lucratives que lui fit offrir l'empereur Napoléon. Invariable dans sa religion aristocratique, il en avait aveuglément suivi les maximes quand il jugea convenable de se choisir une compagne. Malgré les séductions d'un riche parvenu révolutionnaire qui mettait cette alliance à haut prix, il épousa une demoiselle de Kergarouët sans fortune, mais dont la famille est une des plus vieilles de la Bretagne.

      La Restauration surprit monsieur de Fontaine chargé d'une nombreuse famille. Quoiqu'il n'entrât pas dans les idées du généreux gentilhomme de solliciter des grâces, il céda néanmoins aux désirs de sa femme, quitta son domaine, dont le revenu modique suffisait à peine aux besoins de ses enfants et vint à Paris. Contristé de l'avidité avec laquelle ses anciens camarades faisaient curée des places et des dignités constitutionnelles, il allait retourner à sa terre, lorsqu'il reçut une lettre ministérielle, par laquelle une Excellence assez connue lui annonçait sa nomination au grade de maréchal-de-camp, en vertu de l'ordonnance qui permettait aux officiers des armées catholiques de compter les vingt premières années inédites du règne de Louis XVIII comme années de service. Quelques jours après, le Vendéen reçut encore, sans aucune sollicitation et d'office, la croix de l'ordre de la Légion-d'Honneur et celle de Saint-Louis. Ébranlé dans sa résolution par ces grâces successives qu'il crut devoir au souvenir du monarque, il ne se contenta plus de mener sa famille, comme il l'avait

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