Les français au pôle Nord. Boussenard Louis,

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Les français au pôle Nord - Boussenard Louis,

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très énergique, qui me brûle les lèvres.

      «Je voudrais cependant le connaître pour qualifier le rôle de l'Allemagne vis-à-vis de la France, car l'Alsace-Lorraine est un bijou de prix…

      – Sériakoff!..

      – Eh! mon cher, voici la seconde fois que vous criez mon nom d'une façon toute bizarre…

      «On dirait l'éternuement d'un chat qui a une arête dans le gosier.

      «Si mes paroles vous sont désagréables, dites-le.

      «L'Angleterre produit le meilleur acier du monde, et avec un peu de bonne volonté, nous pourrions trouver une jolie paire de lames pour nous faire la barbe demain matin.»

      Très pâle, mais calme et résolu, Pregel allait riposter par un mot susceptible de rendre toute conciliation impossible.

      Sir Arthur Leslie, en bon Anglais amateur de sport, flairant une rencontre dont il serait le témoin obligé, n'avait pas fait un geste pour arrêter la querelle naissante.

      Du reste, le digne gentleman était un peu gris, et cela l'amusait, de voir ses convives s'asticoter. Fidèle à la politique de son pays qui consiste à faire battre les autres pour en tirer profit ou distraction, il attendait l'intervention du Français.

      Elle ne se fit pas attendre.

      «Messieurs, dit-il en développant lentement sa stature de géant, permettez-moi de vous mettre d'accord, en ma qualité de principal intéressé, ou tout au moins d'assumer les responsabilités d'une affaire dont je suis la cause occasionnelle.»

      Pregel et Sériakoff voulurent l'interrompre et protester.

      «Je vous en prie, messieurs, laissez-moi parler; vous jugerez ensuite et ferez ce que la raison commandera.

      «Si la France a de tout temps été, comme on le répète encore, assez riche pour payer sa gloire, elle ne l'était pas moins pour payer sa défaite.

      «Elle a soldé sans récriminer les milliards conquis et n'eût conservé des jours sombres de l'année maudite qu'un souvenir dont l'amertume se fût bientôt atténuée, si on ne lui eût imposé une atroce mutilation.

      «Vous, Anglais, vous, Russes, lui avez-vous tenu rancune de ses victoires et vous a-t-elle haïs pour ses défaites?

      «Jamais! Car si elle a été magnanime aux jours de succès, vous lui avez épargné, après ses revers, la suprême honte et l'affreuse douleur du démembrement.

      «Et vous semblez étonnés, vous, Allemands, si après avoir si cruellement pesé sur elle de tout le poids de vos victoires, elle conserve un souvenir amer de sa mutilation!

      «En présence de ce lambeau de sa chair brutalement arraché, devant cette plaie incurable qui saigne toujours à son flanc, vous vous dites: «C'est extraordinaire! on ne nous aime pas en France, et on pense toujours à la revanche…»

      «Mettez-vous à ma place, vous, monsieur Pregel, que je regarde comme un patriote, et dites-moi ce que vous penseriez de nous, si nous acceptions de gaîté de cœur cette clause lugubre imposée par vos plénipotentiaires.

      «Ne demandez donc pas notre amitié, parce que cette amitié serait absurde; ne demandez pas davantage l'oubli, parce que cet oubli serait monstrueux.

      «Et surtout, ne trouvez pas étrange si l'on se recueille là-bas, à l'occident des Vosges.

      «Aussi, avant de songer au superflu, nous devons préparer le nécessaire. Ce superflu, c'est pour nous cette gloire que procurent les expéditions périlleuses dont nous nous abstenons, au grand regret de votre compatriote meinherr Ebermann; le nécessaire, c'est le souci de notre sécurité.

      «En ces temps de triple alliance, où le vieux dicton: si vis pacem para bellum transforme l'Europe en un formidable camp retranché, notre défense nationale a besoin de tous ses moyens. Elle exige qu'aucune unité, même la plus infime, ne soit distraite au profit d'une œuvre étrangère à notre régénération.

      «Nous restons chez nous, monsieur! Et jusqu'à nouvel ordre, notre pôle Nord, c'est l'Alsace-Lorraine.

      – Bravo! s'écrie le Russe enthousiasmé, bravo! mon vaillant Français.

      – Mon cher d'Ambrieux, dit à son tour sir Arthur Leslie, vous parlez en gentleman et en patriote.

      «Croyez à ma vive sympathie et à ma profonde estime.»

      Pregel, ne trouvant rien à répondre, s'inclina courtoisement.

      «Cependant, continua d'Ambrieux de sa voix vibrante, ce que notre gouvernement, sollicité par de si graves intérêts, ne peut pas, ne doit pas entreprendre, un simple particulier aurait peut-être la faculté de le tenter.

      «Somme toute, il n'y a pas, que je sache, péril en la demeure, et en cas de conflit immédiat, ce ne serait toujours qu'un volontaire de moins.

      «Monsieur Pregel, voulez-vous accepter un défi?

      – Monsieur d'Ambrieux, répondit l'Allemand, sans entrer dans des considérations d'ordre purement sentimental que j'admets et respecte chez vos concitoyens, j'accepte votre défi, à la condition toutefois qu'il ne doive susciter aucun incident capable de mettre aux prises nos gouvernements.

      – Je l'entends bien ainsi.

      «Je possède une fortune considérable… Vous aussi, peut-être.

      «Du reste, peu importe!

      «Vous pourrez, en invoquant le précédent de la Germania et de la Hansa, trouver un appui que ne vous refuseront pas vos compatriotes, surtout quand ils sauront qu'il s'agit de répondre au défi d'un Français.

      – Que voulez-vous dire?

      – Que je veux équiper à mes frais un navire et le conduire là-bas, sur la route du Pôle.

      «… Je vous propose d'en faire autant, et d'accepter un rendez-vous, au milieu de l'Enfer de Glace.

      «Au lieu de faire, comme à la National Gallery, de la géographie en chambre, nous nous élancerons, à travers l'inconnu, cherchant à devancer ceux qui nous ont précédés sur la voie douloureuse, et luttant à armes égales chacun pour la gloire de notre patrie.

      «Acceptez-vous?

      – J'accepte, monsieur, répondit gravement Pregel sans hésiter.

      «Votre proposition est trop belle pour que j'en décline le périlleux honneur, et ce ne sera pas de ma faute, je vous le jure, si là-bas le drapeau allemand ne s'avance pas plus loin que le pavillon français.

      – Plus la lutte sera vive, plus l'honneur sera grand pour le vainqueur et je vous assure que, de mon côté, je ferai tout au monde pour assurer le triomphe de l'étendard aux trois couleurs.

      – Monsieur, vous avez ma parole.

      – Je vous engage la mienne.

      – Quand voulez-vous partir?

      – Mais, de suite, si vous ne voyez nul inconvénient à ce départ précipité.

      – Aucun.

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