Au bord de la Bièvre. Alfred Delvau

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Au bord de la Bièvre - Alfred Delvau

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d'où l'on revient seul!

      Où l'on a la moitié du cœur prise dans l'ombre

      Et la moitié du corps prise dans un linceul!

      O pays de Tempé! tout peuplé de bergères

      Qui mènent des troupeaux de cœurs paître l'amour;

      Eldorados, Edens, demeures des chimères,

      On vous attend vingt ans, – on vous possède un jour!

      Pays charmeurs et doux, j'ai franchi vos murailles,

      J'ai, dans vos sentiers verts, effeuillé mes printemps;

      J'ai dormi dans vos bras, chimères sans entrailles,

      Et vous m'avez versé vos filtres irritants…

      Et cætera, pantoufle! Quand on rime sa douleur on ne souffre plus! Quand on raconte ses amours on n'aime plus. J'en suis là. Il s'est fait un apaisement subit dans mon cœur et dans mon esprit. J'ai repris possession de moi-même, – je m'appartiens! Qui que ce soit qui ait fait cela, préparé cela, amené cela, je l'en remercie et je m'en applaudis. Le résultat est si bon, si plein de santé, si prometteur de joies véritables, que je ne sais vraiment pas si j'ai fait quelque chose pour mériter qu'il soit.

      J'oublie mes années d'oubli. Je me redresse assoupli, retrempé, rajeuni, sur le seuil de cette vie familiale, si pleine de calme et de recueillement.

      J'ai à faire amende honorable et je la fais gaiement. J'ai été fou, vaniteux, puéril, fanfaron. C'est bien. Je dépose ma vieille défroque de jeune homme, sans cris de colère, sans lamentation, sans reproches et sans regrets. J'ai trop gagné à la transformation qui s'est opérée en moi pour être tenté de regarder avec la moindre amertume ce qui a précédé ce moment. D'ailleurs, les regrets et les reproches m'ont toujours semblé chose parfaitement absurde, parce que parfaitement inutile.

      Adieu paniers! vendanges sont faites! J'ai mordu aux grappes de l'amour; j'ai rougi mes lèvres de son sang divin; je me suis grisé avec toutes les liqueurs fortes des passions et des chimères. Je me garderai bien, aujourd'hui que je suis dégrisé, de bafouer et d'anathématiser mes ivresses d'autrefois, de rougir de moi-même, de me montrer au doigt, de me faire une morale ridicule, – que je n'écouterais pas. Je suis plus respectueux devant mes ivresses que Cham devant Noé, – je passe devant elles sans les réveiller, de peur de les attrister…

      Le logement que j'habite est situé dans un quartier pour lequel j'ai une prédilection particulière. Je suis peut-être le seul qui ait pour lui cette prédilection: c'est le faubourg Saint-Marceau!

      Peu de gens, – de ceux qui sont partis d'où je suis parti, – de la cuve d'un tanneur, – et qui ont traversé dans leurs pérégrinations diverses les couches les plus élevées de la vie matérielle et morale, – consentiraient à revenir vers ces humbles sentiers tout empuantis, où se sont essayés leurs premiers pas; ou, s'ils le faisaient, ils s'y feraient voiturer dans une baignoire pleine d'eau de Cologne, – de peur des asphyxies.

      Moi, loin de redouter les inconvénients attachés à mon faubourg Saint-Marceau, je les aime et je les recherche. On aime toujours son nid, nid de torchis, de mousse, de sable ou de duvet.

      Je ne suis pas né pour rien en plein faubourg Saint-Marceau, entre la rue Mouffetard et le marché aux chevaux, sur les bords de cette peu poétique rivière de Bièvre, dont les naïades sont des blanchisseuses et les tritons des mégissiers. Mon enfance ne s'est pas passée pour rien sur la berge de ce ruisseau noir, à écouter les bruits discordants et tapageurs des battoirs et des marteaux; sur les montagnes de tannée élevées dans la cour de la maison paternelle, à contempler les motteux piétinant sur leurs petits cercles noirs, et travaillant pour les chaufferettes des portières et les cheminées des pauvres ménages.

      Si la Bièvre puait un peu, – maintenant que je la sens à distance, je dirais presque qu'elle ne puait pas du tout, – les montagnes de tan sentaient bon, très-bon même. Que de dépouilles de chênes, – revêtus encore de leur aubier, – j'ai vu jeter dans ces grandes fosses humides où j'avais si peur de me laisser choir! Pauvres chênes! Et quelle cruelle chose que l'industrie qui écorche vifs des bœufs et des arbres pour chausser les pieds des générations humaines! Vous ne pouvez donc pas marcher pieds nus, tas de pieds plats! La nature ne vous a pas fait ces pieds-là pour les emprisonner dans des bottes… Des bottes! mon premier désir de jeune homme, comme la culotte avait été ma première aspiration d'enfant; je n'ai pas le droit d'en médire.

      Oui, j'aime ce quartier que fuient comme peste les gens du bel air, qui ne savent pas ce qui est bon et sain, et qui préfèrent les odeurs douteuses de leurs quartiers commerçants aux parfums gaulois de ce quartier travailleur.

      J'aime ce quartier dont je connais chaque rue, chaque carrefour, chaque cul-de-sac, chaque maison, chaque borne, presque chaque pavé. J'ai vagué, petit polisson morveux, loque au derrière, cheveux blonds au vent, le visage purpuriné, dans tous les chemins qui aboutissaient à la maison paternelle, méconnaissable, hélas! aujourd'hui! Ces souvenirs d'enfance sont un peu les mêmes partout et chez tous; il n'est pas un enfant duquel on ne puisse dire ce que Rabelais dit de Gargantua: «Tousiours se veaultroyt par les fanges, se mascaroyt le nez, se chauffouroyt le visaige, acculoyt ses soliers, baisloyt souuent aux mousches… pissoyt sur ses soliers… se mouschoyt à ses manches… Il pissoyt contre le soleil, battoyt à froid, songeoyt creux… se gratoyt où ne lui demangeoyt point… se chatouilloyt pour se faire rire… battoyt les buissons sans prendre les osillons, et croyoit que vessies feussent lanternes…»

      Mais à côté de ces détails communs à tous, il y en a d'autres particuliers à chacun; il y a des souvenirs simples, petits et calmes, qui n'ont de saveur et de poésie que pour celui qui les a.

      Ces souvenirs-là ne disparaissent qu'avec vous. Et certes, bien que je n'aie pas encore atteint l'âge où l'on récapitule sa vie comme on récapitule les dépenses faites, lorsqu'on a à solder son compte définitif, j'ai cependant un copieux bagage de souvenirs…

      Eh! bien, parmi ceux-là qui, touffus et obscurs, obstruent les avenues de ma cervelle et les sentiers de mon cœur, il en est quelques-uns, drageons noueux et vivaces qui s'écartent du tronc principal et s'épandent le plus sur ma vie pensée de tous les jours. Ceux-là me sont précieux, et quoiqu'affaiblissants et énervants comme tout ce qui porte à l'attendrissement, je ne les repousse pas, je ne les arrache pas lorsqu'ils font saillie sur mes autres pensées plus viriles et plus sérieuses. Ce sont les xéranthèmes du cœur.

      Je ne les arrache pas, au contraire, je les arrose. C'est un défaut que je condamne chez les autres et auquel je rebrousse fortement le nez lorsque je le vois poindre dans les discours ou dans la conduite des gens que j'aime; mais je me laisse volontiers envahir par cette mélancolie, – bien inoffensive après tout, – des choses disparues. Je raille brutalement, dans la vie vulgaire, les rêveurs et les poëtes dont je trouve tout haut l'influence désastreuse, pernicieuse, immorale, en ce qu'ils provoquent au suicide moral sans cesse entrepris et jamais réussi, – ce qui fait qu'on passe son temps à mourir. Mais tout bas je les lis et je les remercie des heures noires qu'ils suppriment sur le cadran de mon existence quotidienne.

      Je suis un grand faiseur de romans. Je dépense un temps absurde à édifier des châteaux de cartes et à procréer des chimères. Mais ces romans me permettent quelquefois d'ignorer l'histoire, de l'oublier pendant quelque temps; mais ces chimères amusent les appétifs maladifs de mon esprit, et, quoique viande creuse, lui servent de pâture suffisante; mais ces châteaux de cartes abritent dans les jours de brouillards et de pluie les susceptibilités frileuses et les délicatesses peureuses de mon individu.

      L'homme est double, il n'a pas besoin d'être gris pour se dédoubler. C'est un bonheur qui n'est pas donné à tout le monde, c'est une faculté

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