Pauline, ou la liberté de l'amour. Dumur Louis
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– Ah! c'est bien: je te trouve encore à la maison, fit Réderic en entrant. Comment vas-tu?
– Et toi? Tu m'as l'air très satisfait de toi-même, aujourd'hui.
– Il y a de quoi. Je te conterai ça. Mais tu sortais, je crois?
– J'allais faire un tour sur le boulevard. Nous irons ensemble.
Une fois dehors, sur le trottoir, Réderic prit le bras de son ami.
– Eh bien! mon cher, c'est moi qui tiens de nouveau le haut du pavé.
– Le pavé, c'est Julienne? demanda Odon.
– C'est Julienne.
– Alors, ton rival? Sénéchal?
– Dégommé depuis hier.
– Il me semble que ces alternances de régime se produisent bien souvent! Le règne du sénateur n'a pas duré longtemps!
– Quinze jours. Et le mien commence, ou plutôt recommence: car, tu le sais, ce n'est pas la première fois que je suis au pouvoir.
– Ça t'amuse?
– Mon cher, que veux-tu? Si ce n'est pas cette femme, ce sera une autre! Nous en sommes tous réduits là.
– Tu n'es pas jaloux?
– Jaloux, non: mais irritable quand c'est moi qui suis mis au rancart.
– Comme hier! tu n'étais pas à toucher avec des pincettes.
– Tu t'en es aperçu? Eh oui, je l'avoue: la présence de ce glorieux de Sénéchal m'énervait. Mais qu'est-il arrivé? Au dernier entr'acte, comme j'étais venu prendre congé de l'artificieuse femme, elle me dit: «Comment, vous partez? Mais, je compte sur vous pour me reconduire chez moi.» – «Vraiment? dis-je, je croyais qu'à défaut de M. Chandivier cet honneur était réservé à M. Sénéchal.» – «Vous vous trompez, dit-elle: c'est vous qui me reconduirez.» A l'issue du spectacle, nous montons dans son coupé. Elle est plus adorable, plus féline, plus enveloppante que jamais. Je me laisse aller au charme que sécrète toute sa frivole personne. Ma mauvaise humeur fond à gros bouillons. Une fois chez elle: «Restez, m'ordonne-t-elle: mon mari est en partie fine, nous avons quelques heures à nous. Je veux aussi faire ma Francillon.» Je ne l'ai quittée qu'au petit jour. Elle a si bien fait «sa Francillon», comme elle dit, qu'il lui serait difficile, à elle, de venir crier: «Il en a menti!»
– Confidence pour confidence, dit Odon: je suis amoureux.
– Allons, bon! s'écria Réderic. Je croyais que les voyages t'avaient guéri.
– On peut guérir d'un amour: on ne guérit pas de l'amour.
– Est-ce alors la peine de changer?
– On ne change pas, on n'a pas l'intention de changer: on évolue.
– Ou plutôt l'on tourne, comme l'écureuil dans sa cage.
– Tu ne me demandes pas de qui je suis amoureux?
– Je le devine, répondit Réderic. On ne discute guère sur l'amour qu'avec les femmes qui l'inspirent. Or, hier, tu as discuté de manière à dessiller mes yeux d'observateur.
– Me suis-je fait remarquer?
– De moi seul: les autres étaient trop occupés de leurs petites intrigues.
– Et d'elle?
– Je l'espère pour toi, mais je crains que tu ne te sois mis en frais inutilement. Mme Facial est mariée depuis dix ans, et pendant tout ce temps, dans ce Paris aux yeux d'Argus, qui voit tout et qui invente ce qu'il ne voit pas, il n'a pas couru sur elle une seule de ces histoires dont les plus irréprochables savent mal se garder. Si elle était laide, passe encore: mais elle est jolie, quel miracle!
– Cette femme, dit Odon, a plus ému mon âme que mes sens. Il m'eût été pénible de penser qu'elle pût être mêlée à quelque mauvaise et banale aventure. On ne médit pas d'elle: tant mieux! Le principal mérite d'une femme n'est-il pas dans cette image pure d'elle-même qu'elle dresse dans les esprits? Elle prédispose ainsi à l'adoration. Rien de matériel ne s'attache à sa personne. Elle peut s'idéaliser sans peine, et, lorsqu'elle provoque l'amour, c'est dans ce qu'il a de noble, de consolant, de saint. L'homme qui a déjà beaucoup aimé réclame de plus en plus l'amour qui élève.
– Ton cas est grave, mon ami. T'imagines-tu que tu trouveras chez cette femme ce que tu n'as pas rencontré chez les autres: le désintéressement, la loyauté, le dévouement? Et fût-elle une exception, n'oublies-tu pas qu'elle n'est ni une vierge, ni un ange, mais une femme mariée et une mère, et qu'elle connaît les turpitudes et les douleurs de la chair? La poésie est morte, et ce n'est ni toi, ni Mme Facial qui la ressusciterez.
– Pessimiste! Sache que je ne demande à la femme que d'aimer, et cela suffit. L'amour transforme la créature terrestre en incarnation de Dieu. L'amour, c'est justement la poésie. Le corps, les sens, les baisers perdent leur ignominie de choses matérielles pour ne plus être que des instruments d'expression de l'idéal. N'y a-t-il pas une différence essentielle entre l'acte charnel de deux véritables amants et l'accouplement brutal dont il est dit: Omne animal post coïtum triste? Je ne prétends pas nier la nature; mais je pense que par l'amour la nature se transfigure au point de devenir le signe du divin. Une femme peut n'être plus vierge de corps: si elle n'a pas encore aimé, elle est plus vierge que la petite fille de dix ans qui verse des larmes de désespoir sur la mort de son oiseau. Mieux que ça: je crois que chaque nouvel amour redonne une virginité à la femme. Y a-t-il, en effet, deux amours qui soient comparables? A toute évolution du cœur, n'éprouve-t-on pas des sentiments inédits, dont on n'avait auparavant aucune idée, ne semble-t-il pas que l'on découvre d'autres horizons exceptionnels, n'est-on pas transformé de telle façon que l'on croit n'être plus le même? L'amour est un grand thaumaturge qui opère continuellement le prodige de la résurrection.
– A ce compte-là, fit Réderic, il n'y a besoin que d'un peu d'imagination pour voir dans les simples mortelles la fine fleur des séraphins du paradis. Je t'envie.
– C'est si vrai, ce que je te dis, que rien qu'à l'idée de la possibilité de cet amour je me sens régénéré. Et Dieu sait si j'ai déjà vécu! Eh bien, mon cœur est tout neuf: ou plutôt, j'ai un nouveau cœur, prêt à fonctionner.
– Après avoir balayé de la place les décombres des anciens cœurs brisés!
– Tu plaisantes, mais c'est cela: quelques tessons à enlever, et il ne reste que le nouveau cœur battant de jeunesse et d'espérance.
– Tu es heureux, soupira Réderic. Moi je garde toujours la même vieille sacoche pleine de trous, de déchirures, d'affaissements, et les raccommodages que j'en tente ne font qu'emporter d'autres morceaux.
– C'est que tu ne crois pas à l'amour, dit Odon.
– Comment, je n'y crois pas? Ah! j'y crois, malheureusement, j'y crois et j'en souffre. Mais, pour moi, l'amour est une passion malfaisante, un vice comme le tabac, l'alcool ou la morphine, dont on ne peut plus se passer, une fois qu'on s'y livre, et dont on meurt empoisonné. L'amour me cause des joies du même ordre que celles de l'ivresse, joies malsaines accompagnées de réveils écœurants.