La dame de Monsoreau — Tome 2. Dumas Alexandre
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Ce n'était pas une précaution inutile; plus contrit que jamais, Gorenflot s'approcha de son ami et murmura ces paroles mélancoliques:
— S'il était éveillé, il ne me refuserait pas un écu; mais son sommeil m'est sacré... et je vais le prendre.
A ces mots, frère Gorenflot, qui, après être demeuré un certain temps assis, venait de s'agenouiller, se pencha à son tour vers Chicot et fouilla délicatement dans la poche du dormeur.
Chicot ne jugea point à propos, malgré l'exemple donné par son compagnon, de faire appel à son démon familier, et le laissa fouiller à son aise dans l'une et l'autre poche de son pourpoint.
— C'est singulier, dit le moine, rien dans les poches. Ah! dans le chapeau peut-être.
Tandis que le moine se mettait en quête, Chicot vidait sa bourse dans sa main, et la remettait vide et plate dans la poche de son haut-de-chausses.
— Rien dans le chapeau, dit le moine, cela m'étonne. Mon ami Chicot, qui est un fou plein de raison, ne sort cependant jamais sans argent. Ah! vieux Gaulois, ajouta-t-il avec un sourire qui fendait sa bouche jusqu'aux oreilles, j'oubliais tes braies.
Et, glissant sa main dans les chausses de Chicot, il en retira la bourse vide.
— Jésus! murmura-t-il, et l'écot, qui le payera?
Cette pensée produisit sur le moine une profonde impression, car il se mit aussitôt sur ses jambes, et, d'un pas encore un peu aviné, mais cependant rapide, il se dirigea vers la porte, traversa la cuisine sans lier conversation avec l'hôte, malgré les avances que celui-ci lui faisait, et s'enfuit.
Alors Chicot remit son argent dans sa bourse, sa bourse dans sa poche, et, s'accoudant contre la fenêtre, que mordait déjà un rayon de soleil, il oublia Gorenflot dans une méditation profonde.
Cependant le frère quêteur, sa besace sur l'épaule, poursuivait son chemin avec une mine composée qui pouvait paraître aux passants du recueillement, et qui n'était que de la préoccupation, car Gorenflot cherchait un de ces magnifiques mensonges de moine en goguette ou de soldat attardé, mensonge dont le fond est toujours le même, tandis que la trame se brode capricieusement selon l'imagination du menteur.
Du plus loin que frère Gorenflot aperçut les portes du couvent, elles lui parurent plus sombres encore que de coutume, et il tira de fâcheux indices de la présence de plusieurs moines conversant sur le seuil et regardant tour à tour avec inquiétude vers les quatre points cardinaux.
Mais, à peine eut-il débouché de la rue Saint-Jacques, qu'un grand mouvement opéré par les frères au moment même où ils l'aperçurent lui donna une des plus horribles frayeurs qu'il eût éprouvées de sa vie.
— C'est de moi qu'ils parlent, dit-il; ils me désignent, ils m'attendent; on m'a cherché cette nuit; mon absence a fait scandale; je suis perdu!
Et la tête lui tourna; une folle idée de fuir lui vint à l'esprit; mais plusieurs religieux venaient déjà à sa rencontre; on le poursuivrait indubitablement. Frère Gorenflot se rendait justice, il n'était pas taillé pour la course; il serait rejoint, garrotté, traîné au couvent; il préféra la résignation.
Il s'avança donc, l'oreille basse, vers ses compagnons, qui semblaient hésiter à venir lui parler.
— Hélas! dit Gorenflot, ils font semblant de ne plus me connaître, je suis une pierre d'achoppement.
Enfin l'un d'eux se hasarda, et, allant à Gorenflot:
— Pauvre cher frère! dit-il.
Gorenflot poussa un soupir et leva les yeux au ciel.
— Vous savez que le prieur vous attend, dit un autre.
— Ah! mon Dieu!
— Oh! mon Dieu, oui, ajouta un troisième, il a dit qu'aussitôt rentré au couvent on vous conduisît près de lui.
— Voilà ce que je craignais, dit Gorenflot. Et, plus mort que vif, il entra dans le couvent, dont la porte se referma sur lui.
— Ah! c'est vous! s'écria le frère portier, venez vite, vite, le révérend prieur Joseph Foulon vous demande.
Et le frère portier, prenant Gorenflot par la main, le conduisit ou plutôt le traîna jusque dans la chambre du prieur.
Là aussi les portes se refermèrent.
Gorenflot baissa les yeux, craignant de rencontrer le regard courroucé de l'abbé; il se sentait seul, abandonné de tout le monde, en tête-tête avec un supérieur qui devait être irrité, et irrité justement.
— Ah! c'est vous enfin! dit l'abbé.
— Mon révérend... balbutia le moine.
— Que d'inquiétudes vous nous avez données! dit le prieur.
— C'est trop de bontés, mon père, reprit Gorenflot, qui ne comprenait rien à ce ton indulgent auquel il ne s'attendait pas.
— Vous avez craint de rentrer après la scène de cette nuit, n'est-ce pas?
— J'avoue que je n'ai point osé rentrer, dit le moine, dont le front distillait une sueur glacée.
— Ah! cher frère, cher frère, dit l'abbé, c'est bien jeune et bien imprudent ce que vous avez fait là.
— Laissez-moi vous expliquer, mon père...
— Et qu'avez-vous besoin de m'expliquer? Votre sortie...
— Je n'ai pas besoin de vous expliquer, dit Gorenflot, tant mieux, car j'étais embarrassé de le faire.
— Je le comprends à merveille. Un moment d'exaltation, l'enthousiasme vous a entraîné; l'exaltation est une vertu sainte; l'enthousiasme est un sentiment sacré; mais les vertus outrées deviennent presque vices, les sentiments les plus honorables, exagérés, sont répréhensibles.
— Pardon, mon père, dit Gorenflot; mais, si vous comprenez, je ne comprends pas bien, moi. De quelle sortie parlez-vous?
— De celle que vous avez faite cette nuit.
— Hors du couvent? demanda timidement le moine.
— Non pas, dans le couvent.
— J'ai fait une sortie dans le couvent, moi?
— Oui, vous.
Gorenflot se gratta le bout du nez. Il commençait à comprendre qu'il jouait aux propos interrompus.
— Je suis aussi bon catholique que vous; mais cependant votre audace m'a épouvanté.
— Mon audace! dit Gorenflot, j'ai donc été bien audacieux?
— Plus qu'audacieux, mon fils; vous avez été téméraire.
— Hélas!