La dame de Monsoreau — Tome 3. Dumas Alexandre
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Tous deux reconnurent le comte; et, devinant qu'ils allaient sans doute, par leur présence, tirer Diane d'un grand embarras, ils s'approchèrent vivement.
Madame de Saint-Luc fit une grande révérence à M. de Monsoreau; Saint-Luc lui tendit cordialement la main. Tous trois échangèrent quelques compliments; puis Saint-Luc, poussant sa femme au bras du comte, prit celui de Diane.
On s'achemina vers la maison.
On dînait à neuf heures, au manoir de Méridor: c'était une vieille coutume du temps du bon roi Louis XII, qu'avait conservée le baron dans toute son intégrité.
M. de Monsoreau se trouva placé entre Saint-Luc et sa femme; Diane, éloignée de son mari par une habile manoeuvre de son amie, était placée, elle, entre Saint-Luc et le baron.
La conversation fut générale. Elle roula tout naturellement sur l'arrivée du frère du roi à Angers et sur le mouvement que cette arrivée allait opérer dans la province.
Monsoreau eût bien voulu la conduire sur d'autres sujets; mais il avait affaire à des convives rétifs: il en fut pour ses frais.
Ce n'est pas que Saint-Luc refusât le moins du monde de lui répondre; tout au contraire. Il cajolait le mari furieux avec un charmant esprit, et Diane, qui, grâce au bavardage de Saint-Luc, pouvait garder le silence, remerciait son ami par des regards éloquents.
— Ce Saint-Luc est un sot, qui bavarde comme un geai, se dit le comte; voilà l'homme duquel j'extirperai le secret que je désire savoir, et cela par un moyen ou par un autre.
M. de Monsoreau ne connaissait pas Saint-Luc, étant entré à la cour juste comme celui-ci en sortait.
Et, sur cette conviction, il se mit à répondre au jeune homme de façon à doubler la joie de Diane et à ramener la tranquillité sur tous les points.
D'ailleurs, Saint-Luc faisait de l'oeil des signes à madame de Monsoreau, et ces signes voulaient visiblement dire:
— Soyez tranquille, madame, je mûris un projet.
Nous verrons dans le chapitre suivant quel était le projet de M. de Saint-Luc.
CHAPITRE V
LE PROJET DE M. DE SAINT-LUC
Le repas fini, Monsoreau prit son nouvel ami par le bras, et, l'emmenant hors du château:
— Savez-vous, lui dit-il, que je suis on ne peut plus heureux de vous avoir trouvé ici, moi que la solitude de Méridor effrayait d'avance!
— Bon! dit Saint-Luc, n'avez-vous pas votre femme? Quant a moi, avec une pareille compagne, il me semble que je trouverais un désert trop peuplé.
— Je ne dis pas non, répondit Monsoreau en se mordant les lèvres.
Cependant...
— Cependant quoi?
— Cependant je suis fort aise* de vous avoir rencontré ici.
— Monsieur, dit Saint-Luc en se nettoyant les dents avec une petite épée d'or, vous êtes, en vérité, fort poli; car je ne croirai jamais que vous ayez un seul instant pu craindre l'ennui avec une pareille femme et en face d'une si riche nature.
— Bah! dit Monsoreau, j'ai passé la moitié de ma vie dans les bois.
— Raison de plus pour ne pas vous y ennuyer, dit Saint-Luc; il me semble que plus on habite les bois, plus on les aime. Voyez donc quel admirable parc. Je sais bien, moi, que je serai désespéré lorsqu'il me faudra le quitter. Malheureusement j'ai peur que ce ne soit bientôt.
— Pourquoi le quitteriez-vous?
— Eh! monsieur, l'homme est-il maître de sa destinée? C'est la feuille de l'arbre que le vent détache et promène par la plaine et par les vallons, sans qu'il sache lui-même où il va. Vous êtes heureux, vous.
— Heureux, de quoi?
— De demeurer sous ces magnifiques ombrages.
— Oh! dit Monsoreau, je n'y demeurerai probablement pas longtemps non plus.
— Bah! qui peut dire cela? Je crois que vous vous trompez, moi.
— Non, fit Monsoreau; non, oh! je ne suis pas si fanatique que vous de la belle nature, et je me défie, moi, de ce parc que vous trouvez si beau.
— Plaît-il? fit Saint-Luc.
— Oui, répéta Monsoreau.
— Vous vous défiez de ce parc, avez-vous dit; et à quel propos?
— Parce qu'il ne me paraît pas sûr.
— Pas sûr! en vérité! dit Saint-Luc étonné. Ah! je comprends: à cause de l'isolement, voulez-vous dire?
— Non. Ce n'est point précisément à cause de cela; car je présume que vous voyez du monde à Méridor?
— Ma foi non! dit Saint-Luc avec une naïveté parfaite, pas une âme.
— Ah! vraiment?
— C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire.
— Comment, de temps en temps, vous ne recevez pas quelque visite?
— Pas depuis que j'y suis, du moins.
— De cette belle cour qui est à Angers, pas un gentilhomme ne se détache de temps en temps?
— Pas un.
— C'est impossible!
— C'est comme cela cependant.
— Ah! fi donc, vous calomniez les gentilshommes angevins.
— Je ne sais pas si je les calomnie; mais le diable m'emporte si j'ai aperçu la plume d'un seul.
— Alors, j'ai tort sur ce point.
— Oui, parfaitement tort. Revenons donc à ce que vous disiez d'abord, que le parc n'était pas sûr. Est-ce qu'il y a des ours?
— Oh! non pas.
— Des loups?
— Non plus.
— Des voleurs?
— Peut-être. Dites-moi, mon cher monsieur, madame de Saint-Luc est fort jolie, à ce qu'il m'a paru.
— Mais oui.
— Est-ce