La Comédie humaine – Volume 03. Honore de Balzac

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La Comédie humaine – Volume 03 - Honore de Balzac

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salon, où les sonnettes furent violemment tirées. Il eut peur de revoir le comte, et retrouva l'usage de ses jambes pour déguerpir et gagner l'escalier; mais, à la porte des appartements, il se heurta dans les valets qui s'empressaient de venir prendre les ordres de leur maître.

      – Voilà comme sont tous ces grands seigneurs, se dit-il enfin quand il fut dans la rue à la recherche d'un cabriolet, ils vous engagent à parler, vous y invitent par des compliments; vous croyez les amuser, point du tout! Ils vous font des impertinences, vous mettent à distance et vous jettent même à la porte sans se gêner. Enfin, j'étais fort spirituel; je n'ai rien dit qui ne fût sensé, posé, convenable. Ma foi, il me recommande d'avoir plus de circonspection, je n'en manque pas. Hé! diantre, je suis notaire et membre de ma chambre. Bah! c'est une boutade d'ambassadeur, rien n'est sacré pour ces gens-là. Demain il m'expliquera comment je n'ai fait chez lui que des bêtises et dit que des sottises. Je lui demanderai raison; c'est-à-dire je lui en demanderai la raison. Au total, j'ai tort, peut-être… Ma foi, je suis bien bon de me casser la tête! Qu'est-ce que cela me fait?

      Le notaire revint chez lui, et soumit l'énigme à sa notaresse en lui racontant de point en point les événements de la soirée.

      – Mon cher Crottat, Son Excellence a eu parfaitement raison en te disant que tu n'avais fait que des sottises et dit que des bêtises.

      – Pourquoi?

      – Mon cher, je te le dirais, que cela ne t'empêcherait pas de recommencer ailleurs demain. Seulement, je te recommande encore de ne jamais parler que d'affaires en société.

      – Si tu ne veux pas me le dire, je le demanderai demain à…

      – Mon Dieu, les gens les plus niais s'étudient à cacher ces choses-là, et tu crois qu'un ambassadeur ira te les dire! Mais, Crottat, je ne t'ai jamais vu si dénué de sens.

      – Merci, ma chère!

      V

      LES DEUX RENCONTRES

      Un ancien officier d'ordonnance de Napoléon, que nous appellerons seulement le marquis ou le général, et qui sous la restauration fit une haute fortune, était venu passer les beaux jours à Versailles, où il habitait une maison de campagne située entre l'église et la barrière de Montreuil, sur le chemin qui conduit à l'avenue de Saint-Cloud. Son service à la cour ne lui permettait pas de s'éloigner de Paris.

      Élevé jadis pour servir d'asile aux passagères amours de quelque grand seigneur, ce pavillon avait de très-vastes dépendances. Les jardins au milieu desquels il était placé l'éloignaient également à droite et à gauche des premières maisons de Montreuil et des chaumières construites aux environs de la barrière; ainsi, sans être par trop isolés, les maîtres de cette propriété jouissaient, à deux pas d'une ville, de tous les plaisirs de la solitude. Par une étrange contradiction, la façade et la porte d'entrée de la maison donnaient immédiatement sur le chemin, qui, peut-être autrefois, était peu fréquenté. Cette hypothèse paraît vraisemblable si l'on vient à songer qu'il aboutit au délicieux pavillon bâti par Louis XV pour mademoiselle de Romans, et qu'avant d'y arriver, les curieux reconnaissent, çà et là, plus d'un casino dont l'intérieur et le décor trahissent les spirituelles débauches de nos aïeux, qui, dans la licence dont on les accuse, cherchaient néanmoins l'ombre et le mystère.

      Par une soirée d'hiver, le marquis, sa femme et ses enfants se trouvèrent seuls dans cette maison déserte. Leurs gens avaient obtenu la permission d'aller célébrer à Versailles la noce de l'un d'entre eux; et, présumant que la solennité de Noël, jointe à cette circonstance, leur offrirait une valable excuse auprès de leurs maîtres, ils ne faisaient pas scrupule de consacrer à la fête un peu plus de temps que ne leur en avait octroyé l'ordonnance domestique. Cependant, comme le général était connu pour un homme qui n'avait jamais manqué d'accomplir sa parole avec une inflexible probité, les réfractaires ne dansèrent pas sans quelques remords quand le moment du retour fut expiré. Onze heures venaient de sonner, et pas un domestique n'était arrivé. Le profond silence qui régnait sur la campagne permettait d'entendre, par intervalles, la bise sifflant à travers les branches noires des arbres, mugissant autour de la maison, ou s'engouffrant dans les longs corridors. La gelée avait si bien purifié l'air, durci la terre et saisi les pavés, que tout avait cette sonorité sèche dont les phénomènes nous surprennent toujours. La lourde démarche d'un buveur attardé, ou le bruit d'un fiacre retournant à Paris, retentissaient plus vivement et se faisaient écouter plus loin que de coutume. Les feuilles mortes, mises en danse par quelques tourbillons soudains, frissonnaient sur les pierres de la cour de manière à donner une voix à la nuit, quand elle voulait devenir muette. C'était enfin une de ces âpres soirées qui arrachent à notre égoïsme une plainte stérile en faveur du pauvre ou du voyageur, et nous rendent le coin du feu si voluptueux. En ce moment, la famille réunie au salon ne s'inquiétait ni de l'absence des domestiques, ni des gens sans foyer, ni de la poésie dont étincelle une veillée d'hiver. Sans philosopher hors de propos, et confiants en la protection d'un vieux soldat, femme et enfants se livraient aux délices qu'engendre la vie intérieure quand les sentiments n'y sont pas gênés, quand l'affection et la franchise animent les discours, les regards et les jeux.

      Le général était assis, ou, pour mieux dire, enseveli dans une haute et spacieuse bergère, au coin de la cheminée, où brillait un feu nourri qui répandait cette chaleur piquante, symptôme d'un froid excessif au dehors. Appuyée sur le dos du siége et légèrement inclinée, la tête de ce brave père restait dans une pose dont l'indolence peignait un calme parfait, un doux épanouissement de joie. Ses bras, à moitié endormis, mollement jetés hors de la bergère, achevaient d'exprimer une pensée de bonheur. Il contemplait le plus petit de ses enfants, un garçon à peine âgé de cinq ans, qui demi-nu, se refusait à se laisser déshabiller par sa mère. Le bambin fuyait la chemise ou le bonnet de nuit avec lequel la marquise le menaçait parfois; il gardait sa collerette brodée, riait à sa mère quand elle l'appelait, en s'apercevant qu'elle riait elle-même de cette rébellion enfantine; il se remettait alors à jouer avec sa sœur, aussi naïve, mais plus malicieuse, et qui parlait déjà plus distinctement que lui, dont les vagues paroles et les idées confuses étaient à peine intelligibles pour ses parents. La petite Moïna, son aînée de deux ans, provoquait par des agaceries déjà féminines d'interminables rires, qui partaient comme des fusées et semblaient ne pas avoir de cause; mais à les voir tous deux se roulant devant le feu, montrant sans honte leurs jolis corps potelés, leurs formes blanches et délicates, confondant les boucles de leurs chevelures noire et blonde, heurtant leurs visages roses, où la joie traçait des fossettes ingénues, certes un père et surtout une mère comprenaient ces petites âmes, pour eux déjà caractérisées, pour eux déjà passionnées. Ces deux anges faisaient pâlir par les vives couleurs de leurs yeux humides, de leurs joues brillantes, de leur teint blanc, les fleurs du tapis moelleux, ce théâtre de leurs ébats, sur lequel ils tombaient, se renversaient, se combattaient, se roulaient sans danger. Assise sur une causeuse à l'autre coin de la cheminée, en face de son mari, la mère était entourée de vêtements épars et restait, un soulier rouge à la main, dans une attitude pleine de laisser-aller. Son indécise sévérité mourait dans un doux sourire gravé sur ses lèvres. Agée d'environ trente-six ans, elle conservait encore une beauté due à la rare perfection des lignes de son visage, auquel la chaleur, la lumière et le bonheur prêtaient en ce moment un éclat surnaturel. Souvent elle cessait de regarder ses enfants pour reporter ses yeux caressants sur la grave figure de son mari; et parfois, en se rencontrant, les yeux des deux époux échangeaient de muettes jouissances et de profondes réflexions. Le général avait un visage fortement basané. Son front large et pur était sillonné par quelques mèches de cheveux grisonnants. Les mâles éclairs de ses yeux bleus, la bravoure inscrite dans les rides de ses joues flétries, annonçaient qu'il avait acheté par de rudes travaux le ruban rouge qui fleurissait la boutonnière de son habit. En ce moment les innocentes joies exprimées par ses deux enfants se reflétaient sur sa physionomie

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