Robinson Crusoe. I. Defoe Daniel

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Robinson Crusoe. I - Defoe Daniel

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ainsi engagé et établi, qui n'avais qu'à poursuivre, comme j'avais commencé, pendant trois ou quatre ans encore, et qu'à faire venir d'Angleterre mes autres cent livres sterling restant, pour être alors, avec cette petite addition, à peu près possesseur de trois ou quatre mille livres, qui accroîtraient encore chaque jour; mais pour moi, dis-je, penser à un pareil voyage, c'était la plus absurde chose dont un homme placé en de semblables circonstances pouvait se rendre coupable.

      Mais comme j'étais né pour être mon propre destructeur, il me fut aussi impossible de résister à cette offre, qu'il me l'avait été de maîtriser mes premières idées vagabondes lorsque les bons conseils de mon père échouèrent contre moi. En un mot, je leur dis que j'irais de tout mon cœur s'ils voulaient se charger de conduire ma plantation durant mon absence, et en disposer ainsi que je l'ordonnerais si je venais à faire naufrage. Ils me le promirent, et ils s'y engagèrent par écrit ou par convention, et je fis un testament formel, disposant de ma plantation et de mes effets, en cas de mort, et instituant mon légataire universel, le capitaine de vaisseau qui m'avait sauvé la vie, comme je l'ai narré plus haut, mais l'obligeant à disposer de mes biens suivant que je l'avais prescrit dans mon testament, c'est-à-dire qu'il se réserverait pour lui-même une moitié de leur produit, et que l'autre moitié serait embarquée pour l'Angleterre.

      Bref, je pris toutes précautions possibles pour garantir mes biens et entretenir ma plantation. Si j'avais usé de moitié autant de prudence à considérer mon propre intérêt, et à me former un jugement de ce que je devais faire ou ne pas faire, je ne me serais certainement jamais éloigné d'une entreprise aussi florissante; je n'aurais point abandonné toutes les chances probables de m'enrichir, pour un voyage sur mer où je serais exposé à touts les hasards communs; pour ne rien dire des raisons que j'avais de m'attendre à des infortunes personnelles.

      Mais j'étais entraîné, et j'obéis aveuglément à ce que me dictait mon goût plutôt que ma raison. Le bâtiment étant équipé convenablement, la cargaison fournie et toutes choses faites suivant l'accord, par mes partenaires dans ce voyage, je m'embarquai à la maleheure13, le 1er septembre, huit ans après, jour pour jour, qu'à Hull, je m'étais éloigné de mon père et de ma mère pour faire le rebelle à leur autorité, et le fou quant à mes propres intérêts.

      Notre vaisseau, d'environ cent vingt tonneaux, portait six canons et quatorze hommes, non compris le capitaine, son valet et moi. Nous n'avions guère à bord d'autre cargaison de marchandises, que des clincailleries14 convenables pour notre commerce avec les Nègres, tels que des grains de collier15, des morceaux de verre, des coquilles, de méchantes babioles, surtout de petits miroirs, des couteaux, des ciseaux, des cognées et autres choses semblables.

      Le jour même où j'allai à bord, nous mîmes à la voile, faisant route au Nord le long de notre côte, dans le dessein de cingler vers celle d'Afrique, quand nous serions par les dix ou onze degrés de latitude septentrionale; c'était, à ce qu'il paraît, la manière de faire ce trajet à cette époque. Nous eûmes un fort bon temps, mais excessivement chaud, tout le long de notre côte jusqu'à la hauteur du cap Saint-Augustin, où, gagnant le large, nous noyâmes la terre et portâmes le cap, comme si nous étions chargés pour l'île Fernando-Noronha; mais, tenant notre course au Nord-Est quart Nord, nous laissâmes à l'Est cette île et ses adjacentes. Après une navigation d'environ douze jours, nous avions doublé la ligne et nous étions, suivant notre dernière estime, par les sept degrés vingt-deux minutes de latitude Nord, quand un violent tourbillon ou un ouragan nous désorienta entièrement. Il commença du Sud-Est, tourna à peu près au Nord-Ouest, et enfin se fixa au Nord-Est, d'où il se déchaîna d'une manière si terrible, que pendant douze jours de suite nous ne fîmes que dériver, courant devant lui et nous laissant emporter partout où la fatalité et la furie des vents nous poussaient. Durant ces douze jours, je n'ai pas besoin de dire que je m'attendais à chaque instant à être englouti; au fait, personne sur le vaisseau n'espérait sauver sa vie.

      Dans cette détresse, nous eûmes, outre la terreur de la tempête, un de nos hommes mort de la calenture, et un matelot et le domestique emportés par une lame. Vers le douzième jour, le vent mollissant un peu, le capitaine prit hauteur, le mieux qu'il put, et estima qu'il était environ par les onze degrés de latitude Nord, mais qu'avec le cap Saint-Augustin il avait vingt-deux degrés de différence en longitude Ouest; de sorte qu'il se trouva avoir gagné la côte de la Guyane, ou partie septentrionale du Brésil, au-delà du fleuve des Amazones, vers l'Orénoque, communément appelé la Grande Rivière. Alors il commença à consulter avec moi sur la route qu'il devait prendre, car le navire faisait plusieurs voies d'eau et était tout-à-fait désemparé. Il opinait pour rebrousser directement vers les côtes du Brésil.

      J'étais d'un avis positivement contraire. Après avoir examiné avec lui les cartes des côtes maritimes de l'Amérique, nous conclûmes qu'il n'y avait point de pays habité où nous pourrions relâcher avant que nous eussions atteint l'archipel des Caraïbes. Nous résolûmes donc de faire voile vers la Barbade, où nous espérions, en gardant la haute mer pour éviter l'entrée du golfe du Mexique, pouvoir aisément parvenir en quinze jours de navigation, d'autant qu'il nous était impossible de faire notre voyage à la côte d'Afrique sans des secours, et pour notre vaisseau et pour nous-mêmes.

      Dans ce dessein, nous changeâmes de route, et nous gouvernâmes Nord-Ouest quart Ouest, afin d'atteindre une de nos îles anglaises, où je comptais recevoir quelque assistance. Mais il en devait être autrement; car, par les douze degrés dix-huit minutes de latitude, nous fûmes assaillis par une seconde tempête qui nous emporta avec la même impétuosité vers l'Ouest, et nous poussa si loin hors de toute route fréquentée, que si nos existences avaient été sauvées quant à la mer, nous aurions eu plutôt la chance d'être dévorés par les Sauvages que celle de retourner en notre pays.

      En ces extrémités, le vent soufflait toujours avec violence, et à la pointe du jour un de nos hommes s'écria: Terre! À peine nous étions-nous précipités hors de la cabine, pour regarder dans l'espoir de reconnaître en quel endroit du monde nous étions, que notre navire donna contre un banc de sable: son mouvement étant ainsi subitement arrêté, la mer déferla sur lui d'une telle manière, que nous nous attendîmes touts à périr sur l'heure, et que nous nous réfugiâmes vers le gaillard d'arrière, pour nous mettre à l'abri de l'écume et des éclaboussures des vagues.

      Il serait difficile à quelqu'un qui ne se serait pas trouvé en une pareille situation, de décrire ou de concevoir la consternation d'un équipage dans de telles circonstances. Nous ne savions, ni où nous étions, ni vers quelle terre nous avions été poussés, ni si c'était une île ou un continent, ni si elle était habitée ou inhabitée. Et comme la fureur du vent était toujours grande, quoique moindre, nous ne pouvions pas même espérer que le navire demeurerait quelques minutes sans se briser en morceaux, à moins que les vents, par une sorte de miracle, ne changeassent subitement. En un mot, nous nous regardions les uns les autres, attendant la mort à chaque instant, et nous préparant touts pour un autre monde, car il ne nous restait, rien ou que peu de chose à faire en celui-ci. Toute notre consolation présente, tout notre réconfort, c'était que le vaisseau, contrairement à notre attente, ne se brisait pas encore, et que le capitaine disait que le vent commençait à s'abattre. Bien que nous nous apperçûmes en effet que le vent s'était un peu appaisé, néanmoins notre vaisseau ainsi échoué sur le sable, étant trop engravé pour espérer de le remettre à flot, nous étions vraiment dans une situation horrible, et il ne nous restait plus qu'à songer à sauver notre vie du mieux que nous pourrions. Nous avions un canot à notre poupe avant la tourmente, mais d'abord il s'était défoncé à force de heurter contre le gouvernail du navire, et, ensuite, ayant rompu ses amarres, il avait été englouti ou emporté au loin à la dérive; nous ne pouvions donc pas compter sur lui. Nous avions bien encore une chaloupe à bord, mais la mettre à la mer était chose difficile; cependant il n'y avait pas à tergiverser, car nous nous imaginions à chaque minute que le vaisseau

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<p>13</p>

Mauvaise heure, heure défavorable. (Note du correcteur – ELG.)

<p>14</p>

Quincailleries. (Note du correcteur – ELG.)

<p>15</p>

Ici, Saint-Hyacinthe, confondant encore bead avec bed, a traduit tels que des matelas.