Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

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Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre

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des yeux furibonds; l'abbé, pas de bêtises!

      – Oh! mon Dieu! qu'a donc votre pupille? demanda madame Denis tout effrayée.

      Heureusement, au moment où l'abbé, assez embarrassé de répondre à la question de madame Denis, cherchait un honnête faux-fuyant pour lui faire prendre le change sur l'exclamation du chevalier, la porte s'ouvrit, les deux demoiselles Denis entrèrent en rougissant, et, s'écartant à droite et à gauche, firent chacune une révérence de menuet.

      – Eh bien! mesdemoiselles, dit madame Denis en affectant un air sévère, qu'est-ce que cela? Qui vous a donné la permission de quitter votre chambre?

      – Maman, répondit une voix que le chevalier, à ses notes grêles, crut reconnaître pour celle de mademoiselle Émilie, nous vous demandons bien pardon si nous avons fait une faute, et nous sommes prêtes à rentrer chez nous.

      – Mais, maman, dit une autre voix qu'à ses tons graves le chevalier jugea devoir appartenir à mademoiselle Athénaïs, nous avions cru qu'il était convenu que nous entrerions au dessert.

      – Allons, venez, mesdemoiselles, puisque vous voilà. Il serait ridicule maintenant que vous vous en allassiez. D'ailleurs, ajouta madame Denis en faisant asseoir Athénaïs entre elle et Brigaud, et Émilie entre elle et le chevalier, des jeunes personnes sont toujours bien, n'est-ce pas, l'abbé, toutefois qu'elles sont sous l'aile de leur mère?

      Et madame Denis présenta à ses filles une assiette de bonbons, dans laquelle elles prirent du bout des doigts et avec une modestie qui faisait honneur à la bonne éducation qu'elles avaient reçue, mademoiselle Émilie une praline et mademoiselle Athénaïs un diablotin.

      Le chevalier, pendant le discours et l'action de madame Denis, avait eu le temps d'examiner ses filles. Mademoiselle Émilie était une grande et sèche personne de vingt-deux à vingt-trois ans, qui, disait-on, jouissait d'une ressemblance parfaite avec feu M. Denis son père, avantage qui ne suffisait pas, à ce qu'il paraît, pour lui mériter dans le cœur maternel une part d'affection égale à celle que madame Denis ressentait pour ses deux autres enfants. Aussi, la pauvre Émilie, toujours craignant de faire mal et d'être grondée, était-elle restée d'une gaucherie native, que les leçons réitérées de son maître de danse n'avaient pu faire disparaître. Quant à mademoiselle Athénaïs, c'était, tout à l'opposé de sa sœur, une petite boulotte, rouge et rondelette, qui, grâce à ses seize ou dix-sept ans, avait ce que l'on appelle vulgairement la beauté du diable. Celle-là ne ressemblait ni à monsieur ni à madame Denis, singularité qui avait fort exercé les mauvaises langues de la rue Saint-Martin avant que madame Denis vendit son fonds de draps et vint habiter la maison qu'elle et son mari avaient achetée, des bénéfices de la communauté, rue du Temps-Perdu.

      Malgré cette absence d'homogénéité avec ses parents, mademoiselle Athénaïs n'en était pas moins la favorite déclarée de madame sa mère, ce qui lui donnait toute l'assurance qui manquait à la pauvre Émilie. En bonne personne, qu'elle était, Athénaïs profitait toujours de cette faveur, il faut le dire à sa louange, pour excuser les prétendues fautes de sa sœur aînée. Au reste, le chevalier, qui, en sa qualité de dessinateur, était physionomiste, crut remarquer du premier coup d'œil, entre le visage de mademoiselle Athénaïs et celui de l'abbé Brigaud, certaines lignes analogues qui, jointes à une singulière ressemblance dans la taille, auraient pu, à la rigueur, guider les curieux à la recherche de la paternité, si cette recherche n'était point sagement interdite par nos lois.

      Les deux sœurs, quoiqu'il fût à peine onze heures du matin, étaient habillées comme pour aller à un bal, et portaient à leur cou, à leurs bras et à leurs oreilles, tout ce qu'elles possédaient de bijoux.

      Cette apparition, si conforme à l'idée que d'Harmental s'était faite d'avance des filles de son hôtesse, fut pour lui une nouvelle source de réflexions. Puisque les demoiselles Denis étaient si bien ce qu'elles devaient être, c'est-à-dire en si parfaite harmonie avec leur état et leur éducation, pourquoi Bathilde, qui paraissait d'une condition à peine égale à la leur, était-elle visiblement aussi distinguée qu'elles étaient vulgaires? D'où venait, entre jeunes filles de la même classe et du même âge, cette immense différence physique et morale? Il fallait qu'il y eût là-dessous quelque secret étrange, qu'un jour ou l'autre le chevalier connaîtrait sans doute.

      Un second appel, que le pied de l'abbé Brigaud adressa au pied de d'Harmental, lui fit comprendre que ses réflexions pouvaient être parfaitement justes, mais que le moment qu'il avait choisi pour s'y livrer était souverainement déplacé. En effet madame Denis avait pris un air de dignité si significatif, que d'Harmental jugea qu'il n'y avait pas un instant à perdre s'il voulait effacer dans l'esprit de son hôtesse, la mauvaise impression que sa distraction avait produite.

      – Madame, lui dit-il aussitôt de l'air le plus gracieux qu'il pût prendre, ce que j'ai l'honneur de voir de votre famille me donne un bien vif désir de la connaître tout entière. Est-ce que monsieur votre fils n'est point quelque part dans la maison, et n'aurai-je pas le plaisir de lui être présenté?

      – Monsieur, répondit madame Denis, à qui une si aimable interpellation avait rendu toute sa grâce, mon fils est chez maître Joulu, son procureur, et, à moins que ses courses l'amènent dans le quartier, il est peu probable qu'il ait ce matin l'honneur de faire votre connaissance.

      – Parbleu! mon cher pupille, dit l'abbé Brigaud en étendant la main du côté de la porte, vous êtes comme feu Aladin, et il suffit, à ce qu'il paraît, que vous exprimiez un désir pour que ce désir soit accompli.

      En effet, au moment même, on entendit retentir dans l'escalier la chanson de monsieur de Marlborough, qui à cette époque, avait tout le charme de la nouveauté et la porte s'étant ouverte sans aucune annonce préalable, on vit paraître sur le seuil un gros garçon à face réjouie, qui avait beaucoup des airs de mademoiselle Athénaïs.

      – Bon, bon, bon! dit le nouvel arrivant en croisant ses bras, et en considérant l'intérieur habituel de sa famille augmenté de l'abbé Brigaud et du chevalier d'Harmental. Pas gênée, la mère Denis! Elle envoie Boniface chez son procureur avec un morceau de pain et de fromage, elle lui dit: Va, mon ami, prends garde aux indigestions; et en son absence, elle donne noces et festins! Heureusement que ce pauvre Boniface a bon nez. Il repasse par la rue Montmartre, il a pris le vent, et il a dit: Qu'est-ce que ça sent donc là-bas, rue du Temps-Perdu, n° 5? Alors il est venu, et le voilà!

      Place pour un!

      Et joignant l'action au récit, Boniface traîna une chaise de la porte à la table, et s'assit entre l'abbé Brigaud et le chevalier.

      – Monsieur Boniface, dit madame Denis en essayant de prendre un air sévère, ne voyez-vous pas bien qu'il y a ici des étrangers?

      – Des étrangers? dit Boniface en prenant un plat sur la table et en le mettant devant lui. Et où sont-ils ces étrangers? Est-ce vous, papa Brigaud? est-ce monsieur Raoul? Eh bien! il n'est pas un étranger, lui, c'est un locataire.

      Et s'emparant d'un de ces couverts qu'on met sur la table pour servir, il se mit à officier de manière à rassurer sur le temps perdu ceux qui avaient pris les devants.

      – Pardieu! madame Denis, dit le chevalier, je vois avec plaisir que je suis beaucoup plus avancé que je ne le croyais, car je ne savais pas avoir l'honneur d'être connu de monsieur Boniface.

      – Ça serait drôle, si je ne vous connaissais pas, dit le clerc de procureur, la bouche pleine; c'est vous qu'avez ma chambre.

      – Comment! madame Denis, dit d'Harmental, vous me laissez ignorer que j'ai l'honneur de succéder dans mon logement à l'héritier présomptif de votre

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