Georges. Dumas Alexandre
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Georges - Dumas Alexandre страница 20
Deux fois il leva le pistolet sur Georges, et deux fois il le baissa. C'était contre toutes les règles du duel; mais à chaque fois, Georges se contenta de lui dire:
– Prenez votre temps, Monsieur; prenez votre temps.
À la troisième, il eut honte de lui-même et fit feu.
Il y eut un moment d'angoisse terrible parmi les témoins. Mais, aussitôt le coup parti, Georges se tourna successivement à gauche et à droite, et, saluant ces deux messieurs, pour leur indiquer qu'il n'était pas blessé:
– Eh bien, Monsieur, dit-il à son adversaire, vous voyez bien que j'avais raison, et que, quand on tire sur un homme, on est moins sûr de son coup que lorsqu'on tire sur une plaque.
– C'est bien, Monsieur, j'avais tort, répondit l'adversaire de Georges. Tirez à votre tour.
– Moi, dit Georges en ramassant son chapeau qu'il avait posé à terre, et en tendant son pistolet au garçon du tir, moi, tirer sur vous? Pourquoi faire?
– Mais c'est votre droit, Monsieur, s'écria son adversaire et je ne souffrirai pas qu'il en soit autrement. D'ailleurs, je suis curieux de voir comment vous tirez vous-même.
– Pardon, Monsieur, dit Georges avec son imperturbable sang-froid, entendons-nous, s'il vous plaît. Je n'ai pas dit que je vous toucherais, moi. J'ai dit que vous ne me toucheriez pas; vous ne m'avez pas touché. J'avais raison; voilà tout.
Et, quelque prétexte que pût lui donner son adversaire, quelques instances qu'il fît pour qu'il tirât à son tour, Georges remonta dans son cabriolet et reprit le chemin de la barrière de l'Étoile en répétant à son ami:
– Eh bien, ne te l'avais-je pas dit, que cela faisait une différence de tirer sur une poupée ou de tirer sur un homme?
Georges était content de lui, car il était sûr de son courage.
Ces trois aventures firent du bruit et posèrent admirablement Georges dans le monde. Deux ou trois coquettes se firent un point d'honneur de subjuguer le moderne Caton; et, comme il n'avait aucun motif pour leur résister, il fut bientôt un jeune homme à la mode. Mais, au moment où on le croyait le plus enchaîné par ses bonnes fortunes, comme le moment qu'il s'était fixé lui-même pour ses voyages était arrivé, un beau matin Georges prit congé de ses maîtresses en leur envoyant à chacune un cadeau royal, et partit pour Londres.
À Londres, Georges se fit présenter partout et fut partout bien reçu. Il eut des chevaux, des chiens et des coqs; il fit battre les uns et courir les autres, tint tous les paris offerts, gagna et perdit des sommes folles avec un sang-froid tout aristocratique; bref, au bout d'un an, il quitta Londres avec le renom d'un parfait gentleman, comme il avait quitté Paris avec la réputation d'un charmant cavalier; ce fut pendant ce séjour dans la capitale de la Grande-Bretagne qu'il rencontra lord Murrey, mais, comme nous l'avons dit, sans lier autrement connaissance avec lui.
C'était l'époque où les voyages en Orient commençaient à devenir à la mode. Georges visita successivement la Grèce, la Turquie, l'Asie Mineure, la Syrie et l'Égypte. Il fut présenté à Méhemet-Ali, au moment où Ibrahim-Pacha allait faire son expédition du Saïd. Il accompagna le fils du vice-roi, combattit sous ses yeux et reçut de lui un sabre d'honneur et deux chevaux arabes, choisis parmi les plus beaux de son haras.
Georges revint en France par l'Italie. L'expédition d'Espagne se préparait. Georges accourut à Paris et demanda à servir comme volontaire: sa demande lui fut accordée. Georges prit place dans les rangs du premier bataillon de marche et se trouva constamment à l'avant-garde.
Malheureusement, contre toute attente, les Espagnols ne tenaient pas, et cette campagne, qu'on avait cru d'abord devoir être si acharnée, n'était guère autre chose, en somme, qu'une promenade militaire. Au Trocadéro, cependant, les choses changèrent de face, et l'on vit qu'il faudrait enlever de force ce dernier boulevard de la révolution péninsulaire.
Le régiment auquel Georges s'était joint n'était pas désigné pour l'assaut; Georges changea de régiment et passa aux grenadiers. La brèche pratiquée et le signal de l'escalade donné, Georges s'élança à la tête de la colonne d'attaque et entra le troisième dans le fort.
Son nom fut cité à l'ordre de l'armée, et il reçut, des mains du duc d'Angoulême, la croix de la Légion d'honneur, et, de la main de Ferdinand VII, la croix de Charles III. Georges n'avait pour but que d'obtenir une distinction. Georges en avait obtenu deux. L'orgueilleux jeune homme fut au comble de la joie.
Il pensa alors que le moment était venu de retourner à l'île de France: tout ce qu'il avait espéré en rêve s'était accompli, tout ce qu'il avait désiré atteindre était dépassé: il n'avait plus rien à faire en Europe. Sa lutte avec la civilisation était finie, sa lutte avec la barbarie allait commencer. C'était une âme pleine d'orgueil qui ne se serait pas consolée de dépenser dans un bonheur européen les forces précieusement amassées pour un combat interne: tout ce qu'il avait fait depuis dix ans, c'était pour dépasser ses compatriotes mulâtres et blancs, et pouvoir tuer à lui seul le préjugé qu'aucun homme de couleur n'avait encore osé combattre. Peu lui importait, à lui, l'Europe et ses cent cinquante millions d'habitants; peu lui importait la France et ses trente-trois millions d'hommes; peu lui importait députation ou ministère, république ou royauté. Ce qu'il préférait au reste du monde, ce qui le préoccupait avant toute chose, c'était son petit coin de terre, perdu sur la carte comme un grain de sable au fond de la mer. C'est qu'il y avait pour lui, sur ce petit coin de terre, un grand tour de force à exécuter, un grand problème à résoudre. Il n'avait qu'un souvenir: celui d'avoir subi; il n'avait qu'une espérance: celle de s'imposer.
Sur ces entrefaites, le Leycester relâcha à Cadix. Le Leycester allait à l'île de France, où il devait rester en station. Georges demanda son admission à bord de ce noble bâtiment, et, recommandé qu'il était au capitaine par les autorités françaises et espagnoles, il l'obtint. Puis la véritable cause de cette faveur fut, disons-le, que lord Murrey apprit que celui qui sollicitait ce passage était un indigène de l'île de France: or, lord Murrey n'était pas fâché d'avoir quelqu'un qui, pendant une traversée de quatre mille lieues, pût lui donner d'avance ces mille petits renseignements politiques et moraux qu'il est si important qu'un gouverneur ait précautionneusement amassés avant de mettre le pied dans son gouvernement.
On a vu comment Georges et lord Murrey s'étaient peu à peu rapprochés l'un de l'autre et comment ils en étaient arrivés à un certain point de liaison en abordant à Port-Louis.
On a vu encore comment Georges, tout fils pieux et dévoué qu'il était pour son père, n'était arrivé qu'après une de ces longues épreuves qui lui étaient familières à se faire reconnaître de lui. La joie du vieillard fut d'autant plus grande qu'il comptait moins sur ce retour: puis l'homme qui était revenu différait tellement de l'homme attendu, que, tout en cheminant vers Moka, le père ne pouvait se lasser de regarder le fils, s'arrêtant de temps en temps devant lui comme en contemplation, et, à chaque fois, le vieillard serrait le jeune homme sur son cœur avec tant d'effusion, qu'à chaque fois Georges, malgré cette puissance sur lui-même qu'il affectait, sentait les larmes lui venir aux yeux.
Après trois heures de marche, on arriva à la plantation; à un quart d'heure de la maison, Télémaque avait pris les devants, de sorte qu'en arrivant, Georges et son père trouvèrent tous les nègres qui les attendaient avec une joie mêlée de crainte: car ce jeune homme qu'ils n'avaient vu qu'enfant, c'était un nouveau maître qui leur arrivait, et ce maître, que serait-il?
Ce retour était donc une question capitale de bonheur