Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome I (of 8). Gustave Flaubert
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Читать онлайн книгу Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome I (of 8) - Gustave Flaubert страница 23
Un jour, Emma fut prise tout à coup du besoin de voir sa petite fille, qui avait été mise en nourrice chez la femme du menuisier; et, sans regarder à l'almanach si les six semaines de la Vierge duraient encore, elle s'achemina vers la demeure de Rolet, qui se trouvait à l'extrémité du village, au bas de la côte, entre la grande route et les prairies.
Il était midi; les maisons avaient leurs volets fermés, et les toits d'ardoises, qui reluisaient sous la lumière âpre du ciel bleu, semblaient, à la crête de leurs pignons, faire pétiller des étincelles. Un vent lourd soufflait. Emma se sentait faible, en marchant; les cailloux du trottoir la blessaient; elle hésita si elle ne s'en retournerait pas chez elle, ou entrerait quelque part pour s'asseoir.
A ce moment, M. Léon sortit d'une porte voisine avec une liasse de papiers sous son bras. Il vint la saluer et se mit à l'ombre devant la boutique de L'Heureux, sous la tente grise qui avançait.
Mme Bovary dit qu'elle allait voir son enfant, mais qu'elle commençait à être lasse.
– Si?.. reprit Léon, n'osant poursuivre.
– Avez-vous affaire quelque part? demanda-t-elle.
Et sur la réponse du clerc, elle le pria de l'accompagner. Dès le soir cela fut connu dans Yonville, et Mme Tuvache, la femme du maire, déclara devant sa servante que Mme Bovary se compromettait.
Pour arriver chez la nourrice, il fallait, après la rue, tourner à gauche, comme pour gagner le cimetière, et suivre entre des maisonnettes et des cours un petit sentier que bordaient des troënes. Ils étaient en fleur et les véroniques aussi, les églantiers, les orties, et les ronces légères, qui s'élançaient des buissons. Par le trou des haies, on apercevait dans les masures quelque pourceau sur un fumier ou des vaches embricolées frottant leurs cornes contre le tronc des arbres. Tous les deux, côte à côte, ils marchaient doucement, elle s'appuyant sur lui et lui retenant son pas qu'il mesurait sur les siens; devant eux, un essaim de mouches voltigeait, en bourdonnant dans l'air chaud.
Ils reconnurent la maison, à un vieux noyer qui l'ombrageait. Basse et couverte de tuiles brunes, elle avait en dehors, sous la lucarne de son grenier, un chapelet d'oignons suspendu. Des bourrées, debout contre la clôture d'épines, entouraient un carré de laitues, quelques pieds de lavande et des pois à fleurs montés sur des rames. De l'eau sale coulait en s'éparpillant sur l'herbe; et il y avait à l'entour plusieurs guenilles indistinctes, des bas de tricot, une camisole d'indienne rouge, et un grand drap de toile épaisse, étalé en long sur la haie. Au bruit de la barrière, la nourrice parut, tenant sur son bras un enfant qui tétait. Elle tirait, de l'autre main, un pauvre marmot chétif, couvert de scrofules au visage, le fils d'un bonnetier de Rouen, que ses parents, trop occupés de leur négoce, laissaient à la campagne.
– Entrez, dit-elle, votre petite est là qui dort.
La chambre, au rez-de-chaussée, la seule du logis, avait au fond contre la muraille un large lit sans rideaux, tandis que le pétrin occupait le côté de la fenêtre, dont une vitre était raccommodée avec un soleil de papier bleu. Dans l'angle, derrière la porte, des brodequins à clous luisants étaient rangés sous la dalle du lavoir, près d'une bouteille pleine d'huile, qui portait une plume à son goulot; un Mathieu Lænsberg traînait sur la cheminée poudreuse, parmi des pierres à fusil, des bouts de chandelle et des morceaux d'amadou. Enfin la dernière superfluité de cet appartement était une Renommée soufflant dans des trompettes, image découpée sans doute à même quelque prospectus de parfumerie, et que six pointes à sabot clouaient au mur.
L'enfant d'Emma dormait à terre, dans un berceau d'osier. Elle la prit avec la couverture qui l'enveloppait, et se mit à chanter doucement, en se dandinant.
Léon se promenait dans la chambre; il lui semblait étrange de voir cette belle dame en robe de nankin tout au milieu de cette misère. Mme Bovary devint rouge; il se détourna, croyant que ses yeux peut-être avaient eu quelque impertinence. Puis elle recoucha la petite qui venait de vomir sur sa collerette. La nourrice aussitôt vint l'essuyer, protestant qu'il n'y paraîtrait pas.
– Elle m'en fait bien d'autres, disait-elle, et je ne suis occupée qu'à la rincer continuellement! Si vous aviez donc la complaisance de commander à Camus l'épicier qu'il me laisse prendre un peu de savon lorsqu'il m'en faut, ce serait même plus commode pour vous que je ne dérangerais pas.
– C'est bien! c'est bien! dit Emma. Au revoir, mère Rolet! Et elle sortit, en essuyant ses pieds sur le seuil.
La bonne femme l'accompagna jusqu'au bout de la cour, tout en parlant du mal qu'elle avait à se relever la nuit.
– J'en suis si rompue quelquefois que je m'endors sur ma chaise; aussi, vous devriez pour le moins me donner une petite livre de café moulu, qui me ferait un mois et que je prendrais le matin avec du lait.
Après avoir subi ses remerciements, Mme Bovary s'en alla, et elle était quelque peu avancée dans le sentier, lorsqu'à un bruit de sabots elle tourna la tête: c'était la nourrice!
– Qu'y a-t-il?
Alors la paysanne la tirant à l'écart, derrière un orme, se mit à lui parler de son mari qui, avec son métier et six francs par an que le capitaine…
Achevez plus vite, dit Emma.
– Eh bien! reprit la nourrice, poussant des soupirs entre chaque mot, j'ai peur qu'il ne se fasse une tristesse de me voir prendre du café toute seule; vous savez, les hommes…
– Puisque vous en aurez, répétait Emma, je vous en donnerai! Vous m'ennuyez!
– Hélas! ma pauvre chère dame, c'est qu'il a, par suite de ses blessures, des crampes terribles à la poitrine. Il dit même que le cidre l'affaiblit.
– Mais dépêchez-vous, mère Rolet!
– Donc, reprit celle-ci faisant une révérence, si ce n'était pas vous demander trop… – elle salua encore une fois, – quand vous voudrez, – et son regard suppliait, – un cruchon d'eau-de-vie, dit-elle enfin, et j'en frotterais les pieds de votre petite, qui les a tendres comme la langue.
Débarrassée de la nourrice, Emma reprit le bras de M. Léon. Elle marcha rapidement pendant quelque temps; puis elle se ralentit, et son regard, qu'elle promenait devant elle, rencontra l'épaule du jeune homme, dont la redingote avait un collet de velours noir. Ses cheveux châtains tombaient dessus, plats et bien peignés. Elle remarqua ses ongles qui étaient plus longs qu'on ne les portait à Yonville. C'était une des grandes occupations du clerc que de les entretenir; et il gardait, à cet usage, un canif tout particulier dans son écritoire.
Ils s'en revinrent à Yonville, en suivant le bord de l'eau. Dans la saison chaude, la berge plus élargie découvrait jusqu'à leur base les murs des jardins, qui avaient un escalier de quelques marches descendant à la rivière. Elle coulait sans bruit, rapide et froide à l'œil; de grandes herbes minces s'y courbaient ensemble, selon le courant qui les poussait, et, comme des chevelures vertes abandonnées, s'étalaient dans sa limpidité. Quelquefois, à la pointe des joncs ou sur la feuille des nénuphars, un insecte à pattes fines marchait ou se posait. Le soleil traversait d'un rayon les petits globules bleus des ondes qui se succédaient en se crevant; les vieux saules ébranchés miraient dans l'eau leur écorce grise; la prairie, au delà, semblait vide; c'était l'heure du dîner dans les fermes, et la jeune