Une page d'amour. Emile Zola

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Une page d'amour - Emile Zola

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un instant, ce fut un bruit rapide de voix flûtées.

      – Que vous êtes aimables!.. Je ne vous vois jamais…

      – Nous venons pour cette loterie, vous savez?

      – Parfaitement, parfaitement.

      – Oh! nous ne pouvons nous asseoir. Nous avons encore vingt maisons à faire.

      – Voyons, vous n'allez pas vous sauver.

      Et les deux dames finirent par se poser au bord d'un canapé. Alors, les voix flûtées repartirent, plus aiguës.

      – Hein? hier, au Vaudeville?

      – Oh! Superbe!

      – Vous savez qu'elle se dégrafe et qu'elle rabat ses cheveux. Tout l'effet est là.

      – On prétend qu'elle avale quelque chose pour devenir verte.

      – Non, non, les mouvements sont calculés… Mais il fallait les trouver d'abord.

      – C'est prodigieux.

      Les deux dames s'étaient levées. Elles disparurent. Le salon retomba dans sa paix chaude. Sur la cheminée, des jacinthes exhalaient un parfum très-pénétrant. Un instant, on entendit venir du jardin la violente querelle d'une bande de moineaux qui s'abattaient sur une pelouse. Madame Deberle, avant de se rasseoir, alla tirer le store de tulle brodé d'une fenêtre, en face d'elle; et elle reprit sa place, dans l'or plus doux du salon.

      – Je vous demande pardon, dit-elle, on est envahi…

      Et, très-affectueuse, elle causa posément avec Hélène. Elle paraissait connaître en partie son histoire, sans doute par les bavardages de la maison, qui lui appartenait. Avec une hardiesse pleine de tact, et où semblait entrer beaucoup d'amitié, elle lui parla de son mari, de cette mort affreuse dans un hôtel, l'hôtel du Var, rue de Richelieu.

      – Et vous débarquiez, n'est-ce pas? Vous n'étiez jamais venue à Paris… Ce doit être atroce, ce deuil chez des inconnus, au lendemain d'un long voyage, et lorsqu'on ne sait encore où poser le pied. Hélène hochait la tête lentement. Oui, elle avait passé des heures bien terribles. La maladie qui devait emporter son mari s'était brusquement déclarée, le lendemain de leur arrivée, au moment où ils allaient sortir ensemble. Elle ne connaissait pas une rue, elle ignorait même dans quel quartier elle se trouvait; et, pendant huit jours, elle était restée enfermée avec le moribond, entendant Paris entier gronder sous sa fenêtre, se sentant seule, abandonnée, perdue, comme au fond d'une solitude. Lorsque, pour la première fois, elle avait remis les pieds sur le trottoir, elle était veuve. La pensée de cette grande chambre nue, emplie de bouteilles à potion, et où les malles n'étaient pas même défaites, lui donnait encore un frisson.

      – Votre mari, m'a-t-on dit, avait presque le double de votre âge? demanda madame Deberle d'un air de profond intérêt, pendant que mademoiselle Aurélie tendait les deux oreilles, pour ne rien perdre.

      – Mais non, répondit Hélène, il avait à peine six ans de plus que moi.

      Et elle se laissa aller à conter l'histoire de son mariage, en quelques phrases: le grand amour que son mari avait conçu pour elle, lorsqu'elle habitait avec son père, le chapelier Mouret, la rue des Petites-Maries, à Marseille; l'opposition entêtée de la famille Grandjean, une riche famille de raffineurs, que la pauvreté de la jeune fille exaspérait; et des noces tristes et furtives, après les sommations légales, et leur vie précaire, jusqu'au jour où un oncle, en mourant, leur avait légué dix mille francs de rente environ. C'était alors que Grandjean, qui nourrissait une haine contre Marseille, avait décidé qu'ils viendraient s'installer à Paris.

      – A quel âge vous êtes-vous donc mariée? demanda encore madame Deberle.

      – A dix-sept ans.

      – Vous deviez être bien belle.

      La conversation tomba. Hélène n'avait point paru entendre.

      – Madame Manguelin, annonça le valet.

      Une jeune femme parut, discrète et gênée. Madame Deberle se leva à peine. C'était une de ses protégées qui venait la remercier d'un service. Elle resta au plus quelques minutes, et se retira, avec une révérence.

      Alors, madame Deberle reprit l'entretien, en parlant de l'abbé Jouve, que toutes deux connaissaient. C'était un humble desservant de Notre-Dame-de-Grâce, la paroisse de Passy; mais sa charité faisait de lui le prêtre le plus aimé et le plus écouté du quartier.

      – Oh! une onction! murmura-t-elle avec une mine dévote.

      – Il a été très-bon pour nous, dit Hélène. Mon mari l'avait connu autrefois, à Marseille… Dès qu'il a su mon malheur, il s'est chargé de tout. C'est lui qui nous a installées à Passy.

      – N'a-t-il pas un frère? demanda Juliette.

      – Oui, sa mère s'était remariée… M. Rambaud connaissait également mon mari… Il a fondé, rue de Rambuteau, une grande spécialité d'huiles et de produits du Midi, et il gagne, je crois, beaucoup d'argent.

      Puis, elle ajouta avec gaieté:

      – L'abbé et son frère sont toute ma cour.

      Jeanne, qui s'ennuyait sur le bord de sa chaise, regardait sa mère d'un air d'impatience. Son fin visage de chèvre souffrait, comme si elle eût regretté tout ce qu'on disait là; et elle semblait, par instants, flairer les parfums lourds et violents du salon, jetant des coups d'oeil obliques sur les meubles, méfiante, avertie de vagues dangers par son exquise sensibilité. Puis, elle reportait ses regards sur sa mère avec une adoration tyrannique.

      Madame Deberle s'aperçut du malaise de l'enfant.

      – Voilà, dit-elle, une petite demoiselle qui s'ennuie d'être raisonnable comme une grande personne… Tenez, il y a des livres d'images sur ce guéridon.

      Jeanne alla prendre un album; mais ses regards, par-dessus le livre, se coulaient vers sa mère, d'une façon suppliante. Hélène, gagnée par le milieu de bonne grâce où elle se trouvait, ne bougeait pas; elle était de sang calme et restait volontiers assise, pendant des heures. Pourtant, comme le valet annonçait coup sur coup trois dames, madame Berthier, madame de Guiraud et madame Levasseur, elle crut devoir se lever. Mais madame Deberle s'écria:

      – Restez donc, il faut que je vous montre mon fils.

      Le cercle s'élargissait devant la cheminée. Toutes ces dames parlaient à la fois. Il y en avait une qui se disait cassée; et elle racontait que, depuis cinq jours, elle ne s'était pas couchée avant quatre heures du matin. Une autre se plaignait amèrement des nourrices; on n'en trouvait plus une qui fût honnête. Puis, la conversation tomba sur les couturières. Madame Deberle soutint qu'une femme ne pouvait pas bien habiller; il fallait un homme. Cependant, deux dames chuchotaient à demi-voix, et comme un silence se faisait, on entendit trois ou quatre mots: toutes se mirent à rire, en s'éventant d'une main languissante.

      – Monsieur Malignon, annonça le domestique.

      Un grand jeune homme entra, mis très-correctement. Il fut salué par de légères exclamations. Madame Deberle, sans se lever, lui tendit la main, en disant:

      – Eh bien! hier, au Vaudeville?

      – Infect!

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