La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume 07. Scènes de la vie de Province - Tome 03 - Honore de Balzac

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vivement sentie ici que chez vous... mieux, ajouta-t-il en faisant allusion à du Bousquier.

      Après quelques paroles d'oraison funèbre où chacun fit sa phrase, le chevalier prit galamment le bras de madame du Bousquier et le mit sur le sien, le pressa fort adorablement et l'emmena dans l'embrasure d'une fenêtre.

      — Êtes-vous heureuse au moins? dit-il avec une voix paternelle.

      — Oui, dit-elle en baissant les yeux.

      En entendant ce oui, madame de Troisville, la fille de la princesse Sherbellof et la vieille marquise de Castéran vinrent se joindre au chevalier, accompagnées de mademoiselle de Gordes. Toutes allèrent se promener dans le jardin en attendant le dîner, sans que madame du Bousquier, hébétée par la douleur, se fût aperçue que les dames et le chevalier menaient une petite conspiration de curiosité. «Nous la tenons, sachons le mot de l'énigme?» était une phrase écrite dans les regards que ces personnes se jetèrent.

      — Pour que votre bonheur fût complet, dit mademoiselle Armande, il vous faudrait des enfants, un beau garçon comme mon neveu...

      Une larme roula dans les yeux de madame du Bousquier.

      — J'ai entendu dire que vous étiez la seule coupable en cette affaire, que vous aviez peur d'une grossesse? dit le chevalier.

      — Moi, dit-elle naïvement, j'achèterais un enfant par cent années d'enfer.

      Sur la question ainsi posée, il s'émut une discussion conduite avec une excessive délicatesse par madame la vicomtesse de Troisville et la vieille marquise de Castéran qui entortillèrent si bien la pauvre vieille fille qu'elle livra, sans s'en douter, les secrets de son ménage. Mademoiselle Armande avait pris le bras du chevalier et s'était éloignée, afin de laisser les trois femmes causer mariage. Madame du Bousquier fut alors désabusée des mille déceptions de son mariage; et comme elle était restée bestiote, elle amusa ses confidentes par de délicieuses naïvetés. Quoique dans le premier moment le mensonger mariage de mademoiselle Cormon fît rire toute la ville bientôt initiée aux manœuvres de du Bousquier, néanmoins madame du Bousquier gagna l'estime et la sympathie de toutes les femmes. Tant que mademoiselle Cormon avait couru sus au mariage sans réussir à se marier, chacun se moquait d'elle; mais quand chacun apprit la situation exceptionnelle où la plaçait la sévérité de ses principes religieux, tout le monde l'admira. Cette pauvre madame du Bousquier remplaça cette bonne demoiselle Cormon. Le chevalier rendit ainsi pour quelque temps du Bousquier odieux et ridicule, mais le ridicule finit par s'affaiblir; et, quand chacun eut dit son mot sur lui, la médisance se lassa. Puis à cinquante-sept ans, le muet républicain semblait à beaucoup de personnes avoir droit à la retraite. Cette circonstance envenima la haine que du Bousquier portait à la maison de Gordes à un tel point, qu'elle le rendit impitoyable au jour de la vengeance, Madame du Bousquier reçut l'ordre de ne jamais mettre le pied dans cette maison. Par représailles du tour que lui avait joué le chevalier de Valois, du Bousquier, qui venait de créer le Courrier de l'Orne, y fit insérer l'annonce suivante:

      «Il sera délivré une inscription de mille francs de rente à la personne qui pourra démontrer l'existence d'un monsieur de Pombreton, avant, pendant ou après l'émigration.»

      Quoique son mariage fût essentiellement négatif, madame du Bousquier y vit des avantages: ne valait-il pas mieux encore s'intéresser à l'homme le plus remarquable de la ville, que de vivre seule? Du Bousquier était encore préférable aux chiens, aux chats, aux serins qu'adorent les célibataires; il portait à sa femme un sentiment plus réel et moins intéressé que ne l'est celui des servantes, des confesseurs, et des capteurs de successions. Plus tard, elle vit dans son mari l'instrument de la colère céleste, car elle reconnut des péchés innombrables dans tous ses désirs de mariage; elle se regarda comme justement punie ainsi des malheurs qu'elle avait causés à madame Granson, et de la mort anticipée de son oncle. Obéissant à cette religion qui ordonne de baiser les verges avec lesquelles on administre la correction, elle vantait son mari, elle l'approuvait publiquement; mais, au confessionnal ou le soir dans ses prières, elle pleurait souvent en demandant pardon à Dieu des apostasies de son mari qui pensait le contraire de ce qu'il disait, qui souhaitait la mort de l'aristocratie et de l'Église, les deux religions de la maison Cormon. Trouvant en elle-même tous ses sentiments froissés et immolés, mais forcée par le devoir à faire le bonheur de son époux, à ne lui nuire en rien, et attachée à lui par une indéfinissable affection que peut-être l'habitude engendra, sa vie était un contre-sens perpétuel. Elle avait épousé un homme dont elle haïssait la conduite et les opinions, mais dont elle devait s'occuper avec une tendresse obligée. Souvent elle était aux anges quand du Bousquier mangeait ses confitures, quand il trouvait le dîner bon; elle veillait à ce que ses moindres désirs fussent satisfaits. S'il oubliait la bande de son journal sur une table; au lieu de la jeter, madame disait: — René, laissez cela, monsieur ne l'a pas mis là sans intention. Du Bousquier allait-il en voyage, elle s'inquiétait du manteau, du linge; elle prenait pour son bonheur matériel les plus minutieuses précautions. S'il allait au Prébaudet, elle consultait le baromètre dès la veille pour savoir s'il ferait beau. Elle épiait ses volontés dans son regard, à la manière d'un chien qui, tout en dormant, entend et voit son maître. Si le gros du Bousquier, vaincu par cet amour ordonné, la saisissait par la taille, l'embrassait sur le front, et lui disait: — Tu es une bonne femme! des larmes de plaisir venaient aux yeux de la pauvre créature. Il est probable que du Bousquier se croyait obligé à des dédommagements qui lui conciliaient le respect de Rose-Marie-Victoire, car la vertu catholique n'ordonne pas une dissimulation aussi complète que le fut celle de madame du Bousquier. Mais souvent la sainte femme restait muette en entendant les discours que tenaient chez elle les gens haineux qui se cachaient sous les opinions royalistes-constitutionnelles. Elle frémissait en prévoyant la perte de l'Église; elle risquait parfois un mot stupide, une observation que du Bousquier coupait en deux par un regard. Les contrariétés de cette existence ainsi tiraillée finirent par hébéter madame du Bousquier, qui trouva plus simple et plus digne de concentrer son intelligence sans la produire au dehors, en se résignant à mener une vie purement animale. Elle eut alors une soumission d'esclave, et regarda comme une œuvre méritoire d'accepter l'abaissement dans lequel la mit son mari. L'accomplissement des volontés maritales ne lui causa jamais le moindre murmure. Cette brebis craintive chemina dès lors dans la voie que lui traça le berger; elle ne quitta plus le giron de l'Église, et se livra aux pratiques religieuses les plus sévères, sans penser ni à Satan, ni à ses pompes, ni à ses œuvres. Elle offrit ainsi la réunion des vertus chrétiennes les plus pures, et du Bousquier devint certes l'un des hommes les plus heureux du royaume de France et de Navarre.

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