Deux et deux font cinq. Alphonse Allais
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Émile Zola, autant que je puis me le rappeler, était représenté par mon ami Georges Moynet, avec lequel il a une vague analogie.
Quant à Bourget, son pâle sosie se trouvait être une manière de peintre hollandais dont j'ai oublié le nom et qui n'a pas dégrisé pendant les deux ou trois ans qu'il passa à Paris.
Et le reste à l'avenant.
Le malheur, c'est que le capitaine Flambeur avait meilleure mémoire que moi et me mettait parfois dans un cruel embarras.
–Tiens, s'écriait-il tout haut, voilà Pasteur qui entre!… Hé! Pasteur, un vermout avec nous, hein!
Régulièrement, Pasteur acceptait le vermout, à condition que ce fût une absinthe.
Pardon, Zola! Pardon, Bourget! Pardon, Pasteur! Et pardon tous les autres, littérateurs, poètes, peintres, savants, membres de l'Institut ou pas!
Un jour, au tout petit matin…
(Étions-nous déjà levés, ou si nous n'étions pas encore couchés? Cruelle énigme!)
Un jour, au tout petit matin, nous passions place Clichy, sur laquelle se dresse la statue du général Moncey (et non pas Monselet, comme prononce à tort ma femme de ménage).
Le piédestal de cette statue est garni d'un banc circulaire en granit, sur lequel des vagabonds s'étalent volontiers pour reposer leurs pauvres membres las.
Un nécessiteux dormait là, accablé de fatigue.
Son chapeau avait roulé à terre, un ancien chapeau chic, de chez Barjeau, mais devenu tout un poème de poussière de crasse.
Et, au fond du chapeau, luisaient encore, un peu éteintes, deux initiales: A. D.
–Tenez, capitaine Flambeur, regardez bien ce bonhomme-là. Je vous dirai tout à l'heure qui c'est.
–Qui est-ce?
–Alphonse Daudet.
–Alphonse Daudet!… Celui qui a fait Tartarin de Tarascon?
–Lui-même!
–C'est vrai, pourtant. Voilà son chapeau avec ses initiales… Ah! le pauvre bougre!… Mais il ne gagne donc pas d'argent?
–Si, il gagne beaucoup d'argent, mais, malheureusement, c'est un homme qui boit!
–C'est égal, c'est bien triste de voir un homme de cette valeur-là dans cette purée!
–Ah! oui, bien triste! Mais, pour moi, un homme qui boit n'est pas un homme intéressant.
–Je ne vous dis pas, mais… si on le réveillait pour lui payer à déjeuner?
–Gardez-vous-en bien! Daudet est malheureux, mais très fier.
Alors, très discrètement, le bon papa Flambeur tira une pièce de cent sous de son porte-monnaie et l'inséra dans la poche de l'auteur des Kamtchatka.
J'avais oublié cette histoire: il a fallu, pour me la rappeler, que le capitaine Flambeur me demandât, l'autre jour:
–Et Daudet?
ANTIBUREAUCRATIE
Ma jument baie cerise était atteinte de coqueluche, et mon alezan hors de service à la suite de chagrins d'amour. Quant à mes robustes percherons, impossible de compter sur eux, totalement abrutis qu'ils sont par la lecture à haute voix, devant eux, de la chronique d'un penseur bien personnel et profond.
D'autre part, je me trouvais dénué des deux francs nécessaires à la mobilisation d'un fiacre!
Alors, quoi?
Aller à pied, dites-vous?
J'aurais bien voulu vous y voir.
C'était loin, où j'allais, très loin, dans un endroit situé à une portée de fusil environ et deux encâblures du tonnerre de Dieu! je résolus donc de prendre l'omnibus.
Je grimpai sur l'impériale et versai quinze centimes ès-mains du conducteur.
Voilà donc une situation claire et nettement établie:
Je suis sur l'impériale, j'ai versé les quinze centimes de ma place. Je puis donc passer, la tête haute, devant l'Administration de la Compagnie des Omnibus. Bon.
Tout à coup, le temps changea et des gouttes d'eau se mirent à choir.
Or, j'avais mis, la veill', mon parapluie en gage.
(J'ai élidé l'e de veille pour que la phrase constituât un alexandrin joli et coquet.)
Je descendis dans l'intérieur du véhicule et remis ès-mains du conducteur un supplément, ou plutôt, pour employer le mot propre, un complément de quinze centimes.
Voici donc une nouvelle situation claire et nettement établie:
Je suis dans l'intérieur d'un omnibus, j'ai versé les trente centimes de ma place, je puis donc… (Voir la suite plus haut.)
L'omnibus s'arrêta: on était devant un bureau.
Une tête de brute avinée apparut, et cette tête clama sans urbanité:
–Voyageur descendu de l'impériale?
C'est à moi, s'il vous plaît, que ce discours s'adressait.
Devant cette tête de brute, cette voix éraillée et ce ton goujateux, je résolus soudain de garder un silence de sépulcre.
–Voyageur descendu de l'impériale? rogomma de nouveau le bas fonctionnaire.
Même mutisme.
Alors la discourtoisie du contrôleur s'exhala en propos blasphématoires, où le saint nom de Notre-Seigneur se trouvait fâcheusement mêlé.
Ce sacrilège n'eut point le don de m'émouvoir.
–Mais, sacré mille tonnerres de bon D… de nom de D…! Il y a ici un voyageur descendu de l'impériale! Ous qu'il est?
–C'est monsieur, intervint le conducteur en me désignant.
–C'est vous qui êtes descendu de l'impériale?
–Hein? me décidai-je à faire.
–C'est vous qui êtes descendu de l'impériale?
–Qu'est-ce que ça peut bien vous f… à vous?
–Comment, qu'est-ce que ça peut bien me f…?
–Oui, que je sois descendu de l'impériale ou de la lune.
–C'est pour le contrôle.
–Le contrôle? Quel contrôle? Est-ce que je suis chargé de faire le contrôle de votre sale guimbarde?
Nouveaux blasphèmes