Tess. Andres Mann

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Tess - Andres Mann

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commerciales qui œuvrent également dans le domaine de la défense. Ils ont versé de grosses contributions, sans doute pour expier les péchés de leurs profits commerciaux.

      — Je crois savoir que SRD, votre compagnie, est une organisation militaire, avec des mercenaires travaillant pour le gouvernement en livraison d'armes dans le monde entier. Comment conciliez-vous votre travail avec la musique ?

      — Nous employons des gens hautement qualifiés pour livrer des appareils et des systèmes d'armement aux armées de pays étrangers que notre gouvernement appuie. Nous formons également des pilotes et parfois nous participons à des opérations militaires. Nous avons combattu Boko Haram au Nigeria ainsi que des trafiquants au Mexique. Nos activités musicales n'ont rien à voir avec nos activités régulières. En fait quand nous jouons de la musique, nous offrons notre temps et nos efforts pour contribuer à lutter contre le traite des êtres humains.

      — Il me semble que vos activités militaires jouent sur le choix de musique que vous jouez. Il est évident que les listes que vous élaborez met le répertoire standard de côté et que vous privilégiez la musique spectaculaire, les œuvres sombres et profondes.

      — Notre travail ne consiste pas à imiter ce que d'autres artistes font déjà très bien. Nous jouons de la musique qui exprime la douleur, la colère et parfois la violence qui caractérisent ce problème déchirant qu'est la traite des personnes. Nous voulons divertir les gens mais nous voulons aussi faire appel à leurs émotions et jouer pour eux la meilleure musique que nous sachions produire. Nous voulons que les gens prennent plus part à la lutte contre la traite des êtres humains ; les autorités ne font que parler du problème et préfèrent allouer leurs ressources à la guerre et à des projets stupides comme des murs à la frontière.

      — On m'a dit que vous êtes plutôt franche et n'avez que faire de la correction politique, nota Susan. Quelque conflit inhérent ? D'une part, vous traitez en équipement militaire, si ce n'est en interventions parfois létales. Et d'autre part, vous jouez de la musique pour venir en aide aux opprimés. Vous ne trouvez pas cela plutôt ironique ?

      — Non, nos projets militaires bénéficient à des nations qui sont en difficulté et qui ont besoin d'assistance. Nous n'avons jamais travaillé pour des dictateurs ni des tyrans. Notre musique contribue à financer nos efforts dans la lutte contre la traite.

      — Et ? Ça marche ? » Susan avait l'air sceptique.

      Tess fut franche.

      « Pas aussi bien que nous le voudrions mais ce n'est pas une raison pour arrêter. Quoi qu'il en soit, voici notre motivation : si nous parvenons à épargner ne serait-ce qu'une personne de ce trafic, alors nos efforts auront valu cette peine. Ce qui ne veut pas dire que nous avons réglé l'ensemble du problème. Nous essayons de faire de notre mieux pour que la société, qui a condamné des milliers de gens à la misère, la dégradation et le désespoir pour les avoir laissées tomber, prenne conscience et agisse.

      — Pour en revenir à la musique, vous n'envisagez pas de proposer de récitals plus traditionnels ? Si vous teniez à être réellement reconnues en tant qu'artistes, ne devriez-vous pas vous frotter contre ces artistes déjà reconnus ?

      — Non, nos objectifs sont différents. Nous ne jouons pas que pour faire de la musique mais nous offrons avec nos tripes une musique puissante et émouvante et dans un but bien particulier. Notre public le sait. Les gens qui n'apprécient ni Chostakovitch ni Bloch sont libres d'écouter quelqu'un d'autre jouer Schubert. Par ailleurs, nous proposons les Soirées de Tango et elles sont très populaires. L'un de nos collègues, un Argentin, nous accompagne au bandonéon, une sorte de petit accordéon. Nous faisons souvent appel à des danseurs argentins pour ces soirées, tout n'est pas que ténèbre et miséricorde. Le public adore.

      — Cela vous importe de récolter de bonnes critiques ?

      — Honnêtement, pas du tout. Je préfère me fier au bouche à oreille. Je voudrais que nos représentations soient vues et ressenties par les émotions exprimées de façon si exquise par de grands compositeurs parfois tombés dans l'oubli. Nous offrons au public de la beauté, mais aussi de la colère, de la détresse ou du chagrin, cela touche leur sensibilité. Jusqu'à présent, nous nous en sortons plutôt bien. Le nombre de spectateurs augmente, ainsi que le montant des dons. Il se peut que notre message soit entendu.

      — On dit que vous êtes une interprète intrépide et que vous aimez les compositions complexes et spectaculaires. Avez-vous songé à jouer de la musique plus apaisante, contemplative ?

      — Oui, je le fais parfois, mais ce n'est pas ce que notre public vient chercher chez nous. Mon répertoire est un reflet de ma personnalité. Je suis active et je m'emporte vite mais je me soucie profondément des choses. »

      Susan regarda Jake.

      « Je suppose que c'est votre lot quotidien. »

      Jake se leva, passa derrière Tess et lui posa les mains sur les épaules.

      « C'est ce qui m'a attiré en Tess dès le début et je ne voudrais pas qu'elle change d'un poil. »

      Un pieux mensonge. Vivre avec un perfectionniste compliqué, talentueux, implacable, obsessionnel et impétueux l'a souvent mis à l'épreuve. Mais d'un autre côté, Tess avait grand cœur pour ses proches et ferait tout pour les protéger. Elle était passionnée par la lutte contre la traite des êtres humains et avait même essayé de résoudre la crise des réfugiés en Europe. Jake était son indispensable point d'ancrage, le raisonnable compagnon dont elle avait besoin. Avec l'impulsivité de Tess, il avait fort à faire pour empêcher qu'elle et l'équipe ne se mettent en difficulté. Jake avait sa propre faiblesse : il était fou amoureux d'elle et était prêt à lui offrir tout son soutien même quand elle faisait sortir tout le monde de ses gonds, lui y compris.

      Tess posa sa main sur celle de Jake.

      « Susan, je pense que nous en avons fini. Bonne soirée. »

      En chemin, Jake sentait que Tess était perturbée.

      « Ne laisse pas cette journaliste t'atteindre, Tess. Sans critique, pas de succès.»

      Tess sourit.

      « C'est de quel philosophe ça ?

      — Je l'ai lu dans un fortune cookie chinois. Non en fait, c'est de MalcolmX.»

      Le matin suivant, Susan publia son article:

      « Les Valkyries, des guerrières au cœur tendre. »

      À New York, Jake, Tess et Aara entrèrent dans une salle de conférence décorée avec goût dans les bureaux d'un prestigieux cabinet d'avocats. L'avocat les invita à prendre place dans de confortables chaises en cuir autour d'une longue table. Fadime al-Saadi fit une entrée remarquée, vêtue de haute couture, arborant son habituelle allure splendide agrémentée d'un décolleté impressionnant. Elle jeta son foulard Hermès sur l'une des chaises, se glissa sur celle à coté de l'avocat et sourit.

      « Comme tu as grandi, Aara. Tu es devenue une très jolie jeune fille. »

      Fadime et Aara avaient en commun la même chevelure noire de jais, de grands yeux mystérieux, des lèvres généreuses et un teint crémeux. Leur ressemblance sautait aux yeux.

      Tess lança vers son adversaire un regard meurtrier.

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