Corysandre. Hector Malot

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Corysandre - Hector Malot

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      Après avoir essayé de tout il avait trouvé qu'il n'y avait que le jeu qui lui donnât des émotions, et il jouait pour se sentir vivre autant que pour faire du bruit en ce monde, ce qui était sa grande, sa seule ambition.

      Sa santé étant misérable, sa fortune étant inépuisable, le jeu était le seul excès qu'il pût se permettre, et il jouait comme d'autres s'épuisent, s'indigèrent ou s'enivrent.

      Comme tant d'autres, il aurait pu se faire un nom en achetant des collections de tableaux ou de potiches qui l'auraient ennuyé, en prenant une maîtresse en vue qui l'aurait affiché, en montant une écurie de course qui l'aurait dupé; mais en esprit pratique qu'il était, il avait trouvé que le plus simple encore et le moins fatigant, était d'abattre nonchalamment une carte, de pousser une liasse de billets de banque à droite ou à gauche et de dire sans se presser: «Je tiens.»

      Et ce calcul s'était trouvé juste. En six mois ce nom d'Otchakoff était devenu célèbre, les journaux l'avaient cité, tambouriné, trompété, et la foule moutonnière l'avait répété. Ce jeune homme, qui n'avait jamais fait autre chose dans la vie que de tourner une carte et de combiner un coup, était devenu un personnage.

      Mais une réputation ne surgit pas ainsi sans susciter la jalousie et l'envie: le prince Savine, qui de très bonne foi croyait être le seul digne de représenter avec éclat son pays à Paris, avait été exaspéré par ce bruit. Si encore cet intrus, qui venait prendre une part, et une très grosse part de cette célébrité mondaine qu'il voulait pour lui tout seul avait été Anglais, Turc, Mexicain, il se serait jusqu'à un certain point calmé en le traitant de sauvage; mais un Russe! un Russe qui se montrait plus riche que lui, Savine! un Russe qu'on disait, et cela était vrai, d'une noblesse plus haute et plus ancienne que la sienne à lui Savine! Il fallait que n'importe à quel prix, même au prix de son argent, auquel il tenait tant, il défendit sa position menacée et se maintînt au rang qu'il avait conquis, qu'il occupait sans rivaux depuis plusieurs années et qui le rendait si glorieux.

      Alors, lui toujours si rogue et si gonflé, s'était fait l'homme le plus aimable du monde, le plus affable, le plus gracieux avec quelques journalistes qu'il connaissait, et il les avait bombardés d'invitations à déjeuner, ne s'adressant, bien entendu, qu'à ceux qu'il savait assez vaniteux pour être fiers d'une invitation à l'hôtel Savine et en situation de parler de ses déjeuners dans leurs chroniques et aussi de tout ce qu'il voulait qu'on célébrât: son luxe, sa fortune, sa noblesse, son goût, son esprit, son courage, sa force, sa santé, sa beauté.

      Puis, après s'être assuré le concours de cette fanfare, il avait commencé sa manoeuvre.

      Trois jours après une perte énorme subie par Otchakoff avec son flegme ordinaire, Raphaëlle, la maîtresse de Savine, avait vu arriver un matin dans la cour de son hôtel deux chevaux russes superbes, deux de ces puissants trotteurs qui battent, en se jouant, les anglais comme les arabes, et Savine n'avait pas tardé à paraître. Comme Raphaëlle menacée d'une angine disait qu'elle était désolée de ne pas pouvoir faire atteler ses chevaux ce jour même et de sortir, il s'était fâché. C'était justement l'ouverture de la réunion de printemps à Longchamp, et il voulait que ses chevaux fussent vus de tout Paris à cette réunion à l'aller et au retour; il ne les avait fait venir de son haras et ne les avait donnés que pour cela. «Si vous ne pouvez pas vous en servir, avait-il dit, je les garde pour moi, je m'en sers aujourd'hui, et, une fois qu'ils seront entrés dans mes écuries, ils n'en sortiront pas. En vous enveloppant bien, vous n'aurez pas trop froid: il ne faut pas s'exagérer son mal ou l'on se priverait de tout.» Au risque d'en mourir, car il soufflait un vent glacial, Raphaëlle avait été aux courses, et à l'aller comme au retour ses trotteurs à la robe grise avaient provoqué l'admiration des hommes et l'envie des femmes.

      Il fallait continuer, car, de son côté, Otchakoff continuait de jouer, perdant toutes les nuits ou gagnant des coups de trois ou quatre cent mille francs, tantôt contre celui-ci, tantôt contre celui-là, sans jamais lasser l'admiration de la galerie, qui répétait toujours son même mot: «Cet Otchakoff, quel estomac!» ce à quoi Savine répondait toutes les fois qu'il pouvait répondre, en haussant les épaules et en disant que si Otchakoff, avait de l'estomac devant un tapis vert, il n'en avait pas devant une nappe blanche, le pauvre diable étant incapable de boire seulement les quatre ou cinq bouteilles de champagne qui, chez un vrai Russe, remplace l'acte de naissance ou le passeport pour prouver la nationalité.

      Pour continuer la lutte, sinon avec économie, au moins d'une façon qui ne fût pas nuisible à ses intérêts, Savine qui depuis longtemps se contentait des collections qu'il avait recueillies par héritage, s'était mis à acheter des oeuvres d'art de toutes sortes: tableaux, bronzes, livres, curiosités, n'exigeant d'elles que quelques qualités spéciales: d'être authentiques, d'être dans un parfait état de conservation, enfin de coûter très cher, de telle sorte que lorsqu'il voudrait les revendre,—ce qu'il espérait bien faire un jour, tirant ainsi d'elles deux réclames, l'achat et la vente, —il pût le faire avec bénéfice, sans autre perte que celle des intérêts.

      Alors, chaque fois qu'il avait fait une acquisition de ce genre, les journaux l'avaient annoncée et célébrée: le prince Savine, quel Mécène! Il est vrai que ce Mécène ne répandait ses bienfaits que sur des artistes morts depuis longtemps: Hobbema, Velasquez, Paul Veronèse et autres qui ne lui savaient aucun gré de ses largesses.

      Mais un seul coup de baccara faisait oublier Mécène, et Otchakoff, en une nuit heureuse ou malheureuse, s'imposait à la curiosité publique d'une façon autrement vivante et palpitante en perdant son argent que s'il l'avait dépensé à acheter des Rubens ou des Titien.

      Ce fut alors que Savine exaspéré et perdant la tête, se décida à lutter contre son rival en employant les mêmes armes que celui-ci, c'est-à-dire à coups de millions.

      Otchakoff, ne trouvant plus à jouer des grosses parties à Paris pendant la saison d'été, était venu à Bade jouer contre la banque, et Savine l'avait suivi, se disant qu'un homme habile et prudent qui joue contre une banque de jeu ne doit perdre que dans une certaine mesure qui peut se calculer mathématiquement, et même qu'il peut gagner.

      Le tout était donc d'être cet homme habile et prudent.

      Heureusement, les professeurs de systèmes tous plus infaillibles les uns que les autres ne manquent pas pour ceux qui veulent jouer à coup sûr; il y en a à Paris, et à cette époque il y en avait dans toutes les villes d'eaux où l'on jouait: à Bade, à Hombourg, à à Wiesbaden, à Ems, à Spa, où ils tenaient boutiques de renseignements et de leçons.

      Dans un de ses séjours à Bade, Savine avait rencontré un de ces professeurs: un vieux gentilhomme français de grand nom et de belle mine qui, après avoir perdu plusieurs fortunes au jeu, offrait aux jeunes gens qui voulaient bien l'écouter «une rectitude de combinaisons inexorables» pour faire sauter la banque; mais alors, ne pensant pas à jouer, il s'en était débarrassé en lui faisant l'aumône de quelques florins que le vieux professeur allait perdre avec une «rectitude inexorable» ou qu'il employait à faire insérer dans les journaux des annonces pour tâcher de trouver des actionnaires qui lui permissent d'essayer en grand son système.

      Arrivé à Bade il avait cherché son homme aux «combinaisons inexorables», ce qui n'était pas difficile, car on était sûr de le trouver à la Conversation, assis sur une chaise devant la table de trente-et-quarante, suivant le jeu auquel il ne pouvait pas prendre part et notant les coups sur un carton qu'il perçait d'une épingle.

      Le marquis de Mantailles était si bien absorbé dans son travail qu'il n'avait pas vu Savine, et qu'il avait fallu que celui-ci lui frappât sur l'épaule pour appeler son attention; mais alors il avait vivement quitté le jeu pour faire ses politesses au prince,

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