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en s'adressant à tous les membres du conseil de famille, de les avoir fait attendre.

      —C'est sur la demande de M. le comte de Chambrais, dit-il, que vous êtes convoqués pour examiner la question de savoir s'il y a lieu d'émanciper sa pupille, mademoiselle Ghislaine de Chambrais, qui vient d'accomplir ses dix-huit ans, d'hier, si je ne me trompe?

      —Parfaitement, répondit le comte de Chambrais.

      Un sourire passa sur le visage de tous les membres du conseil, mais le juge de paix garda sa gravité.

      —C'est pour que vous voyiez vous-même que ma nièce est en état d'être émancipée, continua M. de Chambrais, que je l'ai amenée.

      —Je ne vois pas que mademoiselle de Chambrais ait l'air d'une émancipée, dit le juge de paix en saluant.

      C'était, en effet, une mignonne jeune fille, plutôt petite que grande, au type un peu singulier, en quelque sorte indécis, où se lisait un mélange de races, et dont le charme ne pouvait échapper même au premier coup d'oeil. Ses cheveux, que la toque laissait passer en mèches sur le front, derrière en chignon tordu à l'anglaise sur la nuque, étaient d'un noir violent, mais leur ondulation et leurs frisures étaient si souples et si légères que cette chevelure profonde, coiffée à la diable, avait des douceurs veloutées qu'aucune teinte blonde n'aurait pu donner.

      Bizarre aussi était le visage fin, enfantin et fier à la fois, à l'ovale allongé, au nez pur, au teint ambré éclairé par d'étranges yeux gris chatoyants, qui éveillaient la curiosité, tant ils étaient peu ceux qu'on pouvait demander à cette figure moitié sévère, moitié mélancolique qui ne riait que par le regard et d'un rire pétillant. Il n'y avait pas besoin de la voir longtemps pour sentir qu'elle était pétrie d'une pâte spéciale et pour se laisser pénétrer par la noblesse qui se dégageait d'elle. Sa bonne grâce, sa simplicité de tenue ne pouvaient avoir d'égales, et dans son costume en mousseline de laine gros bleu à pois blancs, avec son petit paletot de drap mastic démodé dont la modestie voulue montrait un mépris absolu pour la toilette, elle avait un air royal que l'être le plus grossier aurait reconnu, et qui forçait le respect; et c'était précisément à cet air que le juge de paix avait voulu rendre hommage, en vieux galantin qu'il était.

      —Au reste, c'est au conseil de se prononcer, dit-il.

      —Nous sommes d'accord sur l'opportunité de cette émancipation, répondit M. de Chambrais.

      Les cinq membres du conseil firent un même signe affirmatif.

      —Alors, je n'ai qu'à déclarer l'émancipation, continua le juge de paix, et vous, messieurs, il ne vous reste plus qu'à nommer le curateur. Qui choisissez-vous pour curateur?

      Cinq bouches prononcèrent en même temps le même nom:

      —Chambrais.

      —Comment! moi! s'écria le comte, et pourquoi moi, je vous prie, pourquoi pas l'un de vous?

      —Parce que vous êtes l'oncle de Ghislaine.

      —Parce que vous êtes son plus proche parent.

      —Parce que vous avez été son tuteur.

      —Parce que ses intérêts ne peuvent pas avoir un meilleur défenseur que vous.

      Ces quatre répliques étaient parties en même temps. Il allait leur répondre, quand le vieux comte de La Roche-Odon, qui n'avait rien dit, plaça aussi son mot:

      —Parce que, depuis huit ans, vous avez été le meilleur des tuteurs, parce que vous l'aimez comme une fille, parce qu'elle vous aime comme un père.

      M. de Chambrais resta bouche ouverte, et son visage exprima l'émotion en même temps que la contrariété:

      —Certainement, dit-il, j'aime Ghislaine, elle le sait, comme je sais qu'elle m'aime; mais enfin, vous me permettrez bien de m'aimer aussi un peu, moi, et de penser à moi. C'est pour suivre ma fantaisie que je ne me suis pas marié. Quand mon aîné a pris femme, je suis resté auprès de notre mère aveugle, et pendant treize ans elle ne s'est pas un seul jour appuyée sur un autre bras que le mien pour monter à sa chambre. L'année même où nous l'avons perdue, cette enfant—il se tourna vers Ghislaine—est devenue orpheline, et j'ai dû veiller sur elle. Aujourd'hui, la voilà grande et, par le sérieux de l'esprit, la sagesse de la raison, la droiture du coeur, en état de conduire sa vie; elle a dix huit ans, moi j'en ai cinquante.... Il s'arrêta et se reprit—enfin j'en ai plus de cinquante, il me reste peut-être cinq ou six années pour vivre de la vie que j'ai toujours désirée...je vous demande de m'émanciper à mon tour; il n'en est que temps.

      —Je ferai remarquer à ces messieurs, dit le juge de paix, que M. le comte de Chambrais, ayant été tuteur et ayant, en cette qualité, un compte de tutelle à rendre, ne peut assister la mineure émancipée à la reddition de ce compte en qualité de curateur, puisqu'il se contrôlerait ainsi lui-même.

      —Vous voyez, messieurs, s'écria M. de Chambrais triomphant.

      —Mais, continua le juge de paix, si vous nommez un tuteur ad hoc à l'effet de recevoir le compte de tutelle, vous pouvez, si telle est votre intention, confier la curatelle à M. le comte de Chambrais.

      —Vous voyez, s'écrièrent en même temps les cinq membres du conseil de famille.

      —Je vois que c'est odieux, que c'est une tyrannie sans nom.

      —La mission du curateur ne consiste pas à agir pour le mineur émancipé, dit le juge de paix d'un ton conciliant, mais seulement à l'assister pour la bonne administration de sa fortune et dans quelques autres actes.

      —Mais comment voulez-vous que j'assiste utilement ma nièce dans l'administration de sa fortune, quand j'ai si mal administré la mienne?

      —En huit ans vous avez accru d'un quart celle de votre pupille.

      Toutes les protestations de M. de Chambrais furent inutiles; malgré lui et malgré tout, il fut nommé curateur.

      Quand on sortit du cabinet du juge de paix, il resta en arrière avec le duc de Charmont.

      —Que faites-vous ce soir? demanda-t-il.

      —Nous dînons avec des gueuses au café Anglais, et après nous allons à la première des Bouffes.

      —Si Ghislaine ne me retient pas à dîner, j'irai vous rejoindre; en tout cas, gardez-moi une place dans votre loge.

       Table des matières

      Un haut mur, une grande porte, des branches au-dessus, c'est tout ce qu'on voit de l'hôtel de Chambrais dans la rue Monsieur, où il a son entrée; mais quand cette porte s'ouvre pour le passage d'une voiture, on l'aperçoit dans sa belle ordonnance, au milieu de pelouses vallonnées qui, entre des murailles garnies de lierres et masquées par des arbres à haute tige, se prolongent jusqu'au boulevard des Invalides. Enveloppée dans les jardins des couvents voisins, il semble que ce soit plutôt une habitation de campagne que de ville, et ses deux étages en pierre jaune, sans aucun ornement, élevés au-dessus d'un perron bas, ses

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