Ghislaine. Hector Malot

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Ghislaine - Hector Malot

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d'une pareille faveur, et le soleil eût pu dévorer la plaine, le verglas eût pu rendre la route impraticable sans qu'elle pensât à les retenir, mais Nicétas n'était pas un professeur comme les autres: d'abord il était musicien, et ce titre seul suffisait pour justifier toutes les faiblesses qui pour lui n'en étaient pas; et puis il y avait dans sa vie, sa naissance, ses habitudes et même dans son attitude des côtés mystérieux dont on parlait tout bas, qui plaisaient à l'imagination romanesque et chevaleresque de lady Cappadoce.

      Jusqu'à l'année précédente, le maître de musique de Ghislaine avait été le compositeur Soupert, qu'on avait choisi autant pour son nom que parce que c'était un voisin de campagne: habitant Palaiseau, il lui serait facile de venir à Chambrais, sans grand dérangement et sans perte de temps. Mais si Soupert était un musicien de talent, par contre c'était bien pour la régularité le plus détestable professeur qu'on pût trouver: il n'y avait pas de meilleures leçons que les siennes; seulement, il fallait qu'il les donnât et surtout qu'il fût en état de les donner, ce qui n'arrivait que rarement.

      Après une période d'éclat qui avait duré une vingtaine d'années, Soupert était redevenu dans sa vieillesse le bohème qu'il avait été dans sa jeunesse: rôdeur de brasserie de dix-huit à trente ans; habitué des salons où il promenait de trente à cinquante une fille de grande naissance qu'il avait épousée; à soixante, il vivait dans une masure du plateau de Palaiseau avec une blanchisseuse dont il avait fait sa seconde femme, sans avoir nettement conscience de la distance qui séparait celle-ci de celle-là.

      Quand il avait été question de le donner pour professeur à Ghislaine, c'était à l'auteur du Croisé et des Abencerrages que M. de Chambrais avait pensé et non au vieux bohème de Palaiseau: de l'auteur du Croisé il se rappelait les succès au temps où il l'avait rencontré dans le monde, la réputation, le mariage extraordinaire; du bohème, il ne savait rien, si ce n'est qu'il habitait à une assez courte distance de Chambrais pour qu'on eût l'idée de s'adresser à lui, plutôt qu'à un musicien qui viendrait de Paris.

      Mais il n'avait pas fallu longtemps pour que le bohème se montrât tel que la vie, la lutte et «le pas de chance» l'avaient fait. Partant de chez lui le matin pour venir à Chambrais, il s'arrêtait au premier cabaret de la côte de Palaiseau pour boire le vin blanc sur le zinc et prendre la force d'accomplir cette odieuse corvée qui consisté à donner une leçon de piano, au lieu de rester attablé tranquillement avec les ouvriers carriers et les paysans qui composaient maintenant sa société. Au cabaret du bas de la côte, il faisait une seconde halte. Au café de la Gare, il en faisait une troisième. S'il ne trouvait personne à qui causer, c'était bien, il prenait le train. Mais si un visage ami ou simplement connu lui souriait, il s'asseyait; les verres se succédaient, et au lieu d'être à Chambrais dans la matinée comme il le devait, il n'y arrivait qu'à deux ou trois heures de l'après midi.

      —Retenu; à mon grand regret empêché; vous comprenez.

      Et lady Cappadoce, si scrupuleusement exacte cependant, comprenait parfaitement.

      —Les artistes sont esclaves de l'inspiration, tout le monde sait cela. Nous ne pouvons pas vous en vouloir d'un retard qui, peut-être, nous vaudra un nouveau chef-d'oeuvre.

      En attendant le chef d'oeuvre qui se faisait attendre, ce que ce retard valait à Ghislaine et à lady Cappadoce, c'était une odeur de vin blanc mêlée à celle des liqueurs qui emplissait la salle de travail, et quand Soupert se mettait au piano, c'était qu'il frappât un la ou un fa au lieu d'un sol, incapable qu'il était de diriger ses doigts tremblants.

      Un professeur de lettres ou de sciences eût apporté ces parfums, que lady Cappadoce n'eût éprouvé aucun embarras avec lui: elle l'eût tout de suite remercié; mais ce procédé expéditif était-il applicable à un musicien? à un maître tel que Soupert, dont elle avait les romances dans le coeur et les airs de danse dans les jambes? Elle ne l'avait pas pensé. Il fallait aviser, s'ingénier, chercher, trouver quelque moyen qui empêchât ces accidents de se produire. Que Soupert partît de chez lui pour venir directement sans s'arrêter en route, il n'aurait pas d'occasions de se parfumer à l'anisette ou au cassis. Pour cela, il n'y avait qu'à l'envoyer chercher en voiture.

      Lorsqu'elle lui avait fait, avec toute la diplomatie dont elle était capable, cette proposition, il avait commencé par refuser:

      —La promenade du matin est hygiénique.

      Mais elle s'était montrée si pressante, qu'il avait dû accepter.

      Il avait été calculé qu'il arriverait au château un peu avant neuf heures: la première fois qu'on alla le chercher, il arriva à dix heures et demie, et lady Cappadoce eut la douleur de constater que le professeur et le cocher étaient exactement dans le même état, pour s'être arrêtés à tous les bouchons de la route.

      Boire avec un valet!

      Il avait fallu prendre un parti, et Soupert avait été prévenu que, «à cause de l'irrégularité dans ses heures, qui dérangeaient tous les autres professeurs», mademoiselle de Chambrais renonçait à ses leçons.

      Un autre que Soupert se fût fâché de ce remerciement; mais lui n'était pas homme à le prendre par le mauvais côté, et, bien qu'il lui enlevât deux cents francs par semaine, qui étaient à peu près sa seule ressource, il s'était tout de suite consolé en se disant que c'était la liberté qu'il recouvrait; maître de son temps désormais et n'ayant plus à se préoccuper de ces leçons, il aurait le loisir de faire les démarches nécessaires pour que son répertoire fût repris: c'était parce qu'on ne le voyait pas assez souvent qu'on le négligeait; il se montrerait.

      Une seule chose l'avait contrarié: l'abandon d'une élève qui l'intéressait; elle était née musicienne, cette jeune fille, et il serait vraiment dommage qu'elle tombât entre de mauvaises mains: il ne fallait pas, il ne voulait pas qu'elle reçût maintenant les leçons de gens qu'il méprisait; et pour que cela n'arrivât pas, il avait proposé à lady Cappadoce de le remplacer par un de ses anciens élèves, celui qu'il avait formé avec le plus d'amour, en qui il mettait le plus d'espérances, qui le continuerait peut-être un jour: Nicétas.

      Bien que les déceptions que Soupert lui avait causées eussent été cruelles et mortifiantes, lady Cappadoce avait encore assez confiance en sa probité d'artiste pour le croire en un pareil sujet. D'ailleurs, Nicétas offrait des garanties personnelles, il était premier prix de violon du Conservatoire de Vienne, premier prix également du Conservatoire de Paris. Et quand Soupert affirmait que le meilleur accompagnateur que pût trouver mademoiselle de Chambrais était ce jeune musicien, il semblait qu'on pouvait se fier à cette parole.

      Mais Soupert, ne s'en tenant pas à ces titres sérieux qui recommandaient l'artiste, avait ajouté tout bas et confidentiellement des détails particulier sur l'homme dont lady Cappadoce s'était émue.

      —Je dois vous dire que ce qu'est Nicétas au juste, je n'en sais rien.

      —Mais alors....

      —Évidemment il flotte dans une atmosphère mystérieuse. Quelle est sa nationalité? Je n'ai que des probabilités à ce sujet. Comment se nomme-t-il de vrai? Je l'ignore.

      —Et vous le recommandez!

      —Qu'il soit Russe, Français, Italien, qu'il s'appelle Alexis, Jacques, Emilio, cela ne lui donne ni ne lui retire du talent, et il me semble que c'est le talent seul qui doit vous influencer. En tout cas, c'est lui qui m'a fait m'intéresser à Nicétas. Un jour il vint me trouver à Palaiseau et me demander mes conseils, sinon mes leçons. Nous étions en été, et la poussière couvrait ses chaussures,

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