Conscience. Hector Malot

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bourse. Dans une réunion, s'il sentait que des regards le cherchaient, aussitôt il entrait en défiance. Dans la rue, si l'on se dirigeait vers lui, tout de suite il se mettait sur ses gardes. On lui souriait: il avait peur, et plus grande peur encore quand on lui tendait la main, ne sachant jamais si c'était pour serrer la sienne ou pour qu'il mît quelque chose dedans. Et, pour n'y rien mettre, il était aux aguets comme si on allait lui sauter dessus, l'oeil ouvert, l'oreille tendue, les deux mains sur ses poches. De là, son attitude avec Saniel, en qui il flairait une demande d'argent, et sa tentative pour y échapper en prenant une voiture. Le guignon voulait qu'il n'en trouvât point, il tâcha de se défendre autrement:

      —Ne soyez pas surpris, dit-il avec volubilité, en homme qui parle pour qu'on ne puisse pas placer un mot, que j'aie été peiné de voir Brigard prendre à coeur une sortie qui, évidemment, n'était pas dirigée contre lui.

      —Ni contre lui, ni contre ses idées.

      —Je le reconnais; vous n'avez pas à vous défendre; mais j'ai tant d'amitié, tant d'estime, tant de respect pour Brigard que tout ce qui le touche retentit en moi. Et comment en serait-il autrement, quand on sait ce qu'il vaut et quel homme il est? N'est-elle pas admirable, cette vie de médiocrité qu'il s'est faite volontairement, pour assurer sa liberté? Quel plus bel exemple!

      —Tout le monde ne peut pas le suivre.

      —Vous croyez qu'on ne peut pas se contenter de dix francs par jour.

      —Je veux dire que tout le monde n'a pas la chance de gagner dix francs par jour.

      Les craintes vagues de Glady, qui ne reposaient que sur un pressentiment, se précisèrent par ce mot. Après avoir descendu la rue Férou, ils étaient arrivés à la place Saint-Sulpice.

      —Je pense que je vais enfin trouver une voiture, dit-il précipitamment.

      Mais cette espérance ne se réalisa pas: il n'y avait pas une seule voiture à la station; du coup, l'impatience s'accentua; il était pris et forcé de subir l'assaut de Saniel sans pouvoir se dérober.

      Ce fut ce que Saniel formula:

      —Vous voilà obligé de faire route avec moi, et, franchement, je m'en réjouis, car j'ai à vous entretenir d'une affaire... sérieuse... dont dépend mon avenir.

      —Nous sommes bien mal ici pour causer sérieusement.

      —Je ne trouve pas.

      —Nous pourrions prendre un rendez-vous.

      —A quoi bon, puisque le hasard nous le donne?

      Il fallait se résigner et mettre au moins, en attendant, de la bonne grâce dans les formes.

      —Je suis tout à vous, dit-il, d'un ton gracieux qui contrastait avec ses premières résistances.

      Saniel, si pressant quelques instants auparavant, resta un moment silencieux, marchant à côté de Glady, qui regardait le bitume brillant; enfin, il se décida:

      —Je vous ai dit que de l'affaire dont je désirais vous entretenir dépendait mon avenir; la voici en un mot: si je ne trouve pas à me procurer 3,000 francs avant deux jours, je suis obligé de quitter Paris, de renoncer à mes études, à mes travaux en train, pour aller m'enfouir dans mon pays natal et devenir médecin de campagne.

      Glady ne broncha pas; car, s'il n'avait pas prévu le chiffre, il attendait la demande: il continua de regarder le bout de ses pieds.

      —Vous savez, continua Saniel, que je suis fils de paysans: mon père était maréchal, tout petit maréchal dans un pauvre village de l'Auvergne. A l'école je fis preuve d'une certaine aptitude pour le travail que mes camarades n'avaient pas au même degré. Notre curé me prit en affection et voulut m'apprendre ce qu'il savait, ce qui ne fut pas bien long. Alors il me fit entrer au petit séminaire. Mais je n'avais pas la docilité d'esprit et la soumission de caractère qu'il faut pour cette éducation, et après quelques années de tiraillements, si on ne me renvoya pas, on me fit comprendre qu'on serait bien aise de me voir partir. J'entrai alors comme maître d'étude dans une petite pension, sans appointements, bien entendu, pour la nourriture et le logement. Je passai de bons examens, et je préparais ma licence quand, à la suite d'une discussion, je quittai cette pension. J'avais gagné quelque argent à donner des leçons particulières et je me trouvais à la tête d'environ quatre-vingts francs. Je partis pour Paris, où j'arrivai, un matin de juin, à cinq heures, sans y connaître personne. J'avais une petite caisse, avec quelques chemises dedans, qui m'obligeait à prendre une voiture. Je dis au cocher de me conduire à un hôtel du quartier Latin. Quel hôtel? dit le cocher. Cela m'est égal.—Voulez-vous l'hôtel Racine? Va—pour l'hôtel Racine: le nom me plaît. Nous roulions depuis assez longtemps quand le cocher arrêta son cheval et voulut revenir en arrière. Qu'est-ce qu'il y a? J'ai dépassé l'hôtel Racine.—Continuez. Je ne tiens pas plus à l'hôtel Racine qu'à un autre.—Voulez-vous l'hôtel du Sénat?—Le nom me va mieux encore; c'est peut-être un présage.» Il me conduisit à l'hôtel du Sénat, où avec ce qui me restait de mes quatre-vingts francs, je payai un mois d'avance. J'y suis resté huit ans.

      —C'est drôle.

      —Que faire? Je connaissais le latin et le grec aussi bien qu'homme en France, mais pour le reste j'étais ignorant comme un cuistre. Le matin même, je cherchai à tirer parti de ce que je savais, et m'en allai chez un éditeur de livres classiques dont j'avais entendu parler par mon professeur de littérature grecque. Après m'avoir interrogé, il me donna à préparer un Pindare avec des notes en latin et m'avança trente francs qui me firent vivre un mois. Ce qui m'avait amené à Paris, c'était l'envie de travailler, mais sans que je me fusse dit à l'avance à quoi je travaillerais; j'allai partout où des cours étaient ouverts: à la Sorbonne, au Collège de France, à l'École de droit, à l'École de médecine, et ce ne fut qu'après un mois que je me décidai: les subtilités du droit m'avaient déplu; au contraire, l'enseignement de la médecine reposant sur l'observation des faits m'attirait: je serais médecin.

      —Tout à fait un mariage de raison, allez.

      —Non, un mariage d'amour; car la raison, si je l'avais consultée, m'aurait dit qu'épouser la médecine quand on n'a rien, ni famille pour vous soutenir, ni relations pour vous pousser, c'est se condamner à une vie d'épreuves, de luttes et de misère, dans laquelle les mieux trempés laissent lambeau après lambeau la santé physique aussi bien que la santé morale, leur force comme leur dignité. Mon temps d'études fut heureux; je travaillais; et avec quelques leçons de latin que je donnais j'avais de quoi manger. Quand je touchai comme interne six cents francs, huit cents francs, neuf cents francs, je crus que c'était la fortune, et je serais resté interne toute la vie si j'avais pu. Reçu docteur, je dus quitter l'hôpital. Riche de quelques milliers de francs, j'aurais suivi rigoureusement la voie que mon ambition avait rêvée, celle des concours. Mais je n'avais pas un sou pour attendre. En soignant la maîtresse d'un de mes camarades, j'avais connu un tapissier qui me proposa de meubler un appartement que je payerais plus tard....

      —Comme pour une cocotte.

      —Justement. Je me laissai tenter. N'oubliez pas que j'avais passé huit ans à l'hôtel du Sénat et que je ne savais rien de la vie parisienne; chez moi! dans mes meubles! un domestique dans mon antichambre, j'allais être quelqu'un. Mon tapissier aurait pu m'installer dans son quartier qu'il m'aurait peut-être trouvé des malades dans la clientèle de la haute noce; mais il n'en eut pas l'idée, jugeant sans doute qu'avec ma tournure lourdaude je n'étais pas fait pour réussir dans ce monde-là: arrivé, c'est une originalité d'être paysan, on vous

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