Conte de Noël (Illustré). Charles Dickens

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Conte de Noël (Illustré) - Charles Dickens

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la tolérance et la bienveillance ; c’est tout cela qui était mon affaire. Les opérations de mon commerce n’étaient qu’une goutte d’eau dans le vaste océan de mes affaires. »

      Il releva sa chaîne de toute la longueur de son bras, comme pour montrer la cause de tous ses stériles regrets, et la rejeta lourdement à terre.

      « C’est à cette époque de l’année expirante, dit le spectre, que je souffre le plus. Pourquoi ai-je alors traversé la foule de mes semblables toujours les yeux baissés vers les choses de la terre, sans les lever jamais vers cette étoile bénie qui conduisit les mages à une pauvre demeure ? N’y avait-il donc pas de pauvres demeures aussi vers lesquelles sa lumière aurait pu me conduire ? »

      Scrooge était très effrayé d’entendre le spectre continuer sur ce ton, et il commençait à trembler de tous ses membres.

      « Écoutez-moi, s’écria le fantôme. Mon temps est bientôt passé.

      ― J’écoute, dit Scrooge ; mais épargnez-moi, ne faites pas trop de rhétorique, Jacob, je vous en prie.

      ― Comment se fait-il que je paraisse devant vous sous une forme que vous puissiez voir, je ne saurais le dire. Je me suis assis mainte et mainte fois à vos côtés en restant invisible. »

      Ce n’était pas une idée agréable. Scrooge fut saisi de frissons et essuya la sueur qui découlait de son front.

      « Et ce n’est pas mon moindre supplice, continua le spectre… je suis ici ce soir pour vous avertir qu’il vous reste encore une chance et un espoir d’échapper à ma destinée, une chance et un espoir que vous tiendrez de moi, Ebenezer.

      ― Vous fûtes toujours pour moi un bon ami, dit Scrooge. Merci.

      ― Vous allez être hanté par trois esprits », ajouta le spectre.

      La figure de Scrooge devint en un moment aussi pâle que celle du fantôme lui-même.

      « Est-ce là cette chance et cet espoir dont vous me parliez, Jacob ? demanda-t-il d’une voix défaillante.

      ― Oui.

      ― Je… je… crois que j’aimerais mieux qu’il n’en fût rien, dit Scrooge.

      ― Sans leurs visites, reprit le spectre, vous ne pouvez espérer d’éviter mon sort. Attendez-vous à recevoir le premier demain quand l’horloge sonnera une heure.

      ― Ne pourrais-je pas les prendre tous à la fois pour en finir, Jacob ? insinua Scrooge.

      ― Attendez le second à la même heure la nuit d’après, et le troisième la nuit suivante, quand le dernier coup de minuit aura cessé de vibrer. Ne comptez pas me revoir, mais, dans votre propre intérêt, ayez soin de vous rappeler ce qui vient de se passer entre nous. »

      ― Après avoir ainsi parlé, le spectre prit sa mentonnière sur la table et l’attacha autour de sa tête comme auparavant. Scrooge le comprit au bruit sec que firent ses dents lorsque les deux mâchoires furent réunies l’une à l’autre par le bandage. Alors il se hasarda à lever les yeux et aperçut son visiteur surnaturel, debout devant lui, portant sa chaîne roulée autour de son bras. L’apparition s’éloigna en marchant à reculons ; à chaque pas qu’elle faisait, la fenêtre se soulevait un peu, de sorte que, quand le spectre l’eût atteinte, elle était toute grande ouverte. Il fit signe à Scrooge d’approcher ; celui-ci obéit. Lorsqu’ils furent à deux pas l’un de l’autre, l’ombre de Marley leva la main et l’avertit de ne pas approcher davantage. Scrooge s’arrêta, non pas tant par obéissance que par surprise et par crainte ; car, au moment où le fantôme leva la main, il entendit des bruits confus dans l’air, des sons incohérents de lamentation et de désespoir, des plaintes d’une inexprimable tristesse, des voix de regrets et de remords. Le spectre, ayant un moment prêté l’oreille, se joignit à ce chœur lugubre et s’évanouit au sein de la nuit pâle et sombre. Scrooge suivit l’ombre jusqu’à la fenêtre, et, dans sa curiosité haletante, il regarda par la croisée.

      L’air était rempli de fantômes errant çà et là, comme des âmes en peine, exhalant, à mesure qu’ils passaient, de profonds gémissements.

      Chacun d’eux traînait une chaîne comme le spectre de Marley ; quelques-uns, en petit nombre (c’étaient peut-être des cabinets de ministres complices d’une même politique), étaient enchaînés ensemble ; aucun n’était libre. Plusieurs avaient été, pendant leur vie, personnellement connus de Scrooge. Il avait été intimement lié avec un vieux fantôme en gilet blanc, à la cheville duquel était attaché un monstrueux anneau de fer et qui se lamentait piteusement de ne pouvoir assister une malheureuse femme avec son enfant qu’il voyait au-dessous de lui sur le seuil d’une porte. Le supplice de tous ces spectres consistait évidemment en ce qu’ils s’efforçaient, mais trop tard, d’intervenir dans les affaires humaines, pour y faire quelque bien ; ils en avaient pour jamais perdu le pouvoir.

      Ces créatures fantastiques se fondirent-elles dans le brouillard ou le brouillard vint-il les envelopper dans son ombre ? Scrooge n’en put rien savoir, mais et les ombres et leurs voix s’éteignirent ensemble, et la nuit redevint ce qu’elle avait été lorsqu’il était rentré chez lui.

      Il ferma la fenêtre : il examina soigneusement la porte par laquelle était entré le fantôme. Elle était fermée à double tour, comme il l’avait fermée de ses propres mains ; les verrous n’étaient point dérangés. Il essaya de dire : « Sottise ! », mais il s’arrêta à la première syllabe. Se sentant un grand besoin de repos, soit par suite de l’émotion qu’il avait éprouvée, des fatigues de la journée, de cet aperçu du monde invisible, ou de la triste conversation du spectre, soit à cause de l’heure avancée, il alla droit à son lit, sans même se déshabiller, et s’endormit aussitôt.

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