Арсен Люпен против Херлока Шолмса / Arsène Lupin contre Herlock Sholmès. Морис Леблан
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Deux voisins affirmèrent l’avoir croisée à trois cents pas de la maison. Une dame avait vu marcher le long de l’avenue une jeune fille dont le signalement correspondait au sien. Et après? Après on ne savait pas.
On perquisitionna de tous côtés, on interrogea les employés des gares et de l’octroi. Ils n’avaient rien remarqué ce jour-là qui pût se rapporter à l’enlèvement d’une jeune fille. Cependant, à Ville-d’Avray, un épicier déclara qu’il avait fourni de l’huile à une automobile fermée qui arrivait de Paris. Sur le siège se tenait un mécanicien, à l’intérieur une dame blonde – excessivement blonde, précisa le témoin. Une heure plus tard l’automobile revenait de Versailles. Un embarras de voiture l’obligea de ralentir, ce qui permit à l’épicier de constater, à côté de la dame blonde déjà entrevue, la présence d’une autre dame, entourée, celle-ci, de châles et de voiles. Nul doute que ce ne fût Suzanne Gerbois.
Mais alors il fallait supposer que l’enlèvement avait eu lieu en plein jour, sur une route très fréquentée, au centre même de la ville!
Comment? À quel endroit? Pas un cri ne fut entendu, pas un mouvement suspect ne fut observé.
L’épicier donna le signalement de l’automobile, une limousine 24 chevaux de la maison Peugeon, à carrosserie bleu foncé. À tout hasard, on s’informa auprès de la directrice du Grand-Garage, Mme Bob-Walthour, qui s’est fait une spécialité d’enlèvements par automobile. Le vendredi matin, en effet, elle avait loué pour la journée une limousine Peugeon à une dame blonde qu’elle n’avait du reste point revue.
– Mais le mécanicien?
– C’était un nommé Ernest, engagé la veille sur la foi d’excellents certificats.
– Il est ici?
– Non, il a ramené la voiture, et il n’est pas revenu.
– Ne pouvons-nous retrouver sa trace?
– Certes, auprès des personnes dont il s’est recommandé. Voici leurs noms.
On se rendit chez ces personnes. Aucune d’elles ne connaissait le nommé Ernest.
Ainsi donc, quelque piste que l’on suivît pour sortir des ténèbres, on aboutissait à d’autres ténèbres, à d’autres énigmes.
M. Gerbois n’était pas de force à soutenir une bataille qui commençait pour lui de façon si désastreuse. Inconsolable depuis la disparition de sa fille, bourrelé de remords, il capitula.
Une petite annonce parue à l’Écho de France, et que tout le monde commenta, affirma sa soumission pure et simple, sans arrière-pensée.
C’était la victoire, la guerre terminée en quatre fois vingt-quatre heures.
Deux jours après, M. Gerbois traversait la cour du Crédit Foncier. Introduit auprès du gouverneur, il tendit le numéro 514 – série 23. Le gouverneur sursauta.
– Ah! vous l’avez? Il vous a été rendu?
– Il a été égaré, le voici, répondit M. Gerbois.
– Cependant vous prétendiez… il a été question…
– Tout cela n’est que racontars et mensonges.
– Mais il nous faudrait tout de même quelque document à l’appui.
– La lettre du commandant suffit-elle?
– Certes.
– La voici.
– Parfait. Veuillez laisser ces pièces en dépôt. Il nous est donné quinze jours pour vérification. Je vous préviendrai dès que vous pourrez vous présenter à notre caisse. D’ici là, Monsieur, je crois que vous avez tout intérêt à ne rien dire et à terminer cette affaire dans le silence le plus absolu.
– C’est mon intention.
M. Gerbois ne parla point, le gouverneur non plus. Mais il est des secrets qui se dévoilent sans qu’aucune indiscrétion soit commise, et l’on apprit soudain qu’Arsène Lupin avait eu l’audace de renvoyer à M. Gerbois le numéro 514 – série 23! La nouvelle fut accueillie avec une admiration stupéfaite. Décidément c’était un beau joueur que celui qui jetait sur la table un atout de cette importance, le précieux billet! Certes, il ne s’en était dessaisi qu’à bon escient et pour une carte qui rétablissait l’équilibre. Mais si la jeune fille s’échappait? Si l’on réussissait à reprendre l’otage qu’il détenait?
La police sentit le point faible de l’ennemi et redoubla d’efforts. Arsène Lupin désarmé, dépouillé par lui-même, pris dans l’engrenage de ses combinaisons, ne touchant pas un traître sou du million convoité… du coup les rieurs passaient dans l’autre camp.
Mais il fallait retrouver Suzanne. Et on ne la retrouvait pas, et pas davantage, elle ne s’échappait!
Soit, disait-on, le point est acquis, Arsène gagne la première manche. Mais le plus difficile est à faire! Mlle Gerbois est entre ses mains, nous l’accordons, et il ne la remettra que contre cinq cent mille francs. Mais où et comment s’opérera l’échange? Pour que cet échange s’opère, il faut qu’il y ait rendez-vous, et alors qui empêche M. Gerbois d’avertir la police et, par là, de reprendre sa fille tout en gardant l’argent?
On interviewa le professeur. Très abattu, désireux de silence, il demeura impénétrable.
– Je n’ai rien à dire, j’attends.
– Et Mlle Gerbois?
– Les recherches continuent.
– Mais Arsène Lupin vous a écrit?
– Non.
– Vous l’affirmez?
– Non.
– Donc c’est oui. Quelles sont ses instructions?
– Je n’ai rien à dire.
On assiégea Maître Detinan. Même discrétion.
– M. Lupin est mon client, répondait-il avec une affectation de gravité, vous comprendrez que je sois tenu à la réserve la plus absolue.
Tous ces mystères irritaient la galerie. Évidemment des plans se tramaient dans l’ombre. Arsène Lupin disposait et resserrait les mailles de ses filets, pendant que la police organisait autour de M. Gerbois une surveillance de jour et de nuit. Et l’on examinait les trois seuls dénouements possibles: l’arrestation, le triomphe, ou l’avortement ridicule et piteux.
Mais il arriva que la curiosité du public ne devait être satisfaite que de façon partielle, et c’est ici dans ces pages que, pour la première fois, l’exacte vérité se trouve révélée.