La princesse de Clèves. Madame de la Fayette

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La princesse de Clèves - Madame de la Fayette

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succéda depuis à sa charge sous le règne de Charles IX. Le connétable ne crut pas trouver d’obstacles dans l’esprit de monsieur d’Anville pour un mariage, comme il en avait trouvé dans l’esprit de monsieur de Montmorency; mais, quoique les raisons lui en fussent cachées, les difficultés n’en furent guère moindres. Monsieur d’Anville était éperdument amoureux de la reine dauphine, et, quelque peu d’espérance qu’il eût dans cette passion, il ne pouvait se résoudre à prendre un engagement qui partagerait ses soins. Le maréchal de Saint-André était le seul dans la cour qui n’eût point pris de parti. Il était un des favoris, et sa faveur ne tenait qu’à sa personne: le roi l’avait aimé dès le temps qu’il était dauphin; et depuis, il l’avait fait maréchal de France, dans un âge où l’on n’a pas encore accoutumé de prétendre aux moindres dignités. Sa faveur lui donnait un éclat qu’il soutenait par son mérite et par l’agrément de sa personne, par une grande délicatesse pour sa table et pour ses meubles, et par la plus grande magnificence qu’on eût jamais vue en un particulier. La libéralité du roi fournissait à cette dépense; ce prince allait jusqu’à la prodigalité pour ceux qu’il aimait; il n’avait pas toutes les grandes qualités, mais il en avait plusieurs, et surtout celle d’aimer la guerre et de l’entendre; aussi avait-il eu d’heureux succès et si on en excepte la bataille de Saint-Quentin, son règne n’avait été qu’une suite de victoires. Il avait gagné en personne la bataille de Renty; le Piémont avait été conquis; les Anglais avaient été chassés de France, et l’empereur Charles-Quint avait vu finir sa bonne fortune devant la ville de Metz, qu’il avait assiégée inutilement avec toutes les forces de l’Empire et de l’Espagne. Néanmoins, comme le malheur de Saint-Quentin avait diminué l’espérance de nos conquêtes, et que, depuis, la fortune avait semblé se partager entre les deux rois, ils se trouvèrent insensiblement disposés à la paix.

      La duchesse douairière de Lorraine avait commencé à en faire des propositions dans le temps du mariage de monsieur le dauphin; il y avait toujours eu depuis quelque négociation secrète. Enfin, Cercamp, dans le pays d’Artois, fut choisi pour le lieu où l’on devait s’assembler. Le cardinal de Lorraine, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André s’y trouvèrent pour le roi; le duc d’Albe et le prince d’Orange, pour Philippe II; et le duc et la duchesse de Lorraine furent les médiateurs. Les principaux articles étaient le mariage de madame Élisabeth de France avec Don Carlos, infant d’Espagne, et celui de Madame sœur du roi, avec monsieur de Savoie.

      Le roi demeura cependant sur la frontière, et il y reçut la nouvelle de la mort de Marie, reine d’Angleterre. Il envoya le comte de Randan à Élisabeth, pour la complimenter sur son avènement à la couronne; elle le reçut avec joie. Ses droits étaient si mal établis, qu’il lui était avantageux de se voir reconnue par le roi. Ce comte la trouva instruite des intérêts de la cour de France, et du mérite de ceux qui la composaient; mais surtout il la trouva si remplie de la réputation du duc de Nemours, elle lui parla tant de fois de ce prince, et avec tant d’empressement, que, quand monsieur de Randan fut revenu, et qu’il rendit compte au roi de son voyage, il lui dit qu’il n’y avait rien que monsieur de Nemours ne pût prétendre auprès de cette princesse, et qu’il ne doutait point qu’elle ne fût capable de l’épouser. Le roi en parla à ce prince dès le soir même; il lui fit conter par monsieur de Randan toutes ses conversations avec Élisabeth, et lui conseilla de tenter cette grande fortune. Monsieur de Nemours crut d’abord que le roi ne lui parlait pas sérieusement; mais comme il vit le contraire:

      – Au moins, Sire, lui dit-il, si je m’embarque dans une entreprise chimérique, par le conseil et pour le service de Votre Majesté, je la supplie de me garder le secret, jusqu’à ce que le succès me justifie vers le public, et de vouloir bien ne me pas faire paraître rempli d’une assez grande vanité, pour prétendre qu’une reine, qui ne m’a jamais vu, me veuille épouser par amour.

      Le roi lui promit de ne parler qu’au connétable de ce dessein, et il jugea même le secret nécessaire pour le succès. Monsieur de Randan conseillait à monsieur de Nemours d’aller en Angleterre sur le simple prétexte de voyager; mais ce prince ne put s’y résoudre. Il envoya Lignerolles qui était un jeune homme d’esprit, son favori, pour voir les sentiments de la reine, et pour tâcher de commencer quelque liaison. En attendant l’événement de ce voyage, il alla voir le duc de Savoie, qui était alors à Bruxelles avec le roi d’Espagne. La mort de Marie d’Angleterre apporta de grands obstacles à la paix; l’assemblée se rompit à la fin de novembre, et le roi revint à Paris.

      Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l’avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l’éducation de sa fille; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s’imaginent qu’il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Madame de Chartres avait une opinion opposée; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l’amour; elle lui montrait ce qu’il a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements; et elle lui faisait voir, d’un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme, et combien la vertu donnait d’éclat et d’élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance. Mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance de soi-même, et par un grand soin de s’attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d’une femme, qui est d’aimer son mari et d’en être aimée.

      Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût en France; et quoiqu’elle fût dans une extrême jeunesse, l’on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu’elle arriva, le vidame alla au-devant d’elle; il fut surpris de la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes.

      Le lendemain qu’elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italien qui en trafiquait par tout le monde. Cet homme était venu de Florence avec la reine, et s’était tellement enrichi dans son trafic, que sa maison paraissait plutôt celle d’un grand seigneur que d’un marchand. Comme elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surpris de sa beauté, qu’il ne put cacher sa surprise; et mademoiselle de Chartres ne put s’empêcher de rougir en voyant l’étonnement qu’elle lui avait donné. Elle se remit néanmoins, sans témoigner d’autre attention aux actions de ce prince que celle que la civilité lui devait donner pour un homme tel qu’il paraissait. Monsieur de Clèves la regardait avec admiration, et il ne pouvait comprendre qui était cette belle personne qu’il ne connaissait point. Il voyait bien par son air, et par tout ce qui était à sa suite, qu’elle devait être d’une grande qualité. Sa jeunesse lui faisait croire que c’était une fille; mais ne lui voyant point de mère, et l’Italien qui ne la connaissait point l’appelant madame, il ne savait que penser, et il la regardait toujours avec étonnement. Il s’aperçut que ses regards l’embarrassaient, contre l’ordinaire des jeunes personnes qui voient toujours avec plaisir l’effet de leur beauté; il lui parut même qu’il était cause qu’elle avait de l’impatience de

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