Le petit chose. Alphonse Daudet
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Hélas ! à l'heure où j'écris ces lignes, le malheureux garçon la porte encore, sa grande cage peinte en bleu. Seulement de jour en jour l'azur des barreaux s'écaille et le perroquet vert est aux trois quarts déplumé, pécaire ! Le premier soin du petit Chose, en arrivant dans sa ville natale, fut de se rendre à l'Académie, où logeait M. le recteur.
Ce recteur, ami d'Eyssette père, était un grand beau vieux, alerte et sec, n'ayant rien qui sentît le pédant, ni quoi que ce fût de semblable. Il accueillit Eyssette fils avec une grande bienveillance. Toutefois, quand on l'introduisit dans son cabinet, le brave homme ne put retenir un geste de surprise.
« Ah ! mon Dieu ! dit-il, comme il est petit !» Le fait est que le petit Chose était ridiculeusement petit ; et puis, l'air si jeune, si mauviette.
L'exclamation du recteur lui porta un coup terrible. « Ils ne vont pas vouloir de moi », pensa-t-il. Et tout son corps se mit à trembler.
Heureusement, comme s'il eût deviné ce qui se passait dans cette pauvre petite cervelle, le recteur reprit :
«Approche ici, mon garçon… Nous allons donc faire de toi un maître d'étude… À ton âge, avec cette taille et cette figure-là, le métier te sera plus dur qu'à un autre… Mais enfin, puisqu'il le faut, puisqu'il faut que tu gagnes ta vie, mon cher enfant, nous arrangerons cela pour le mieux… En commençant, on ne te mettra pas dans une grande baraque… Je vais t'envoyer dans un collège communal, à quelques lieues d'ici, à Sarlande, en pleine montagne… Là tu feras ton apprentissage d'homme, tu t'aguerriras au métier, tu grandiras, tu prendras de la barbe ; puis le poil venu, nous verrons !» Tout en parlant, M. le recteur écrivait au principal du collège de Sarlande pour lui présenter son protégé. La lettre terminée, il la remit au petit Chose et l'engagea à partir le jour même ; là-dessus, il lui donna quelques sages conseils et le congédia d'une tape amicale sur la joue en lui promettant de ne pas le perdre de vue.
Voilà mon petit Chose bien content. Quatre à quatre il dégringole l'escalier séculaire de l'Académie et s'en va d'une haleine retenir sa place pour Sarlande.
La diligence ne part que dans l'après-midi ; encore quatre heures à attendre ! Le petit Chose en profite pour aller parader au soleil sur l'esplanade et se montrer à ses compatriotes. Ce premier devoir accompli, il songe à prendre quelque nourriture et se met en quête d'un cabaret à portée de son escarcelle…
Juste en face les casernes, il en avise un propret, reluisant, avec une belle enseigne toute neuve :
Au Compagnon du tour de France.
« Voici mon affaire », se dit-il. Et, après quelques minutes d'hésitation – c'est la première fois que le petit Chose entre dans un restaurant – il pousse résolument la porte.
Le cabaret est désert pour le moment. Des murs peints à la chaux…, quelques tables de chêne… Dans un coin de longues cannes de compagnons, à bout de cuivre, ornées de rubans multicolores… Au comptoir, un gros homme qui ronfle, le nez dans un journal.
« Holà ! quelqu'un ! » dit le petit Chose, en frappant de son poing fermé sur les tables, comme un vieux coureur de tavernes.
Le gros homme du comptoir ne se réveille pas pour si peu ; mais du fond de l'arrière-boutique, la cabaretière accourt… En voyant le nouveau client que l'ange Hasard lui amène, elle pousse un grand cri :
« Miséricorde ! monsieur Daniel ! – Annou ! ma vieille Annou !» répond le petit Chose. Et les voilà dans les bras l'un de l'autre.
Eh ! mon Dieu, oui, c'est Annou, la vieille Annou, anciennement bonne des Eyssette, maintenant cabaretière, mère des compagnons, mariée à Jean Peyrol, ce gros qui ronfle là-bas dans le comptoir… Et comme elle est heureuse, si vous saviez, cette brave Annou, comme elle est heureuse de revoir M. Daniel ! Comme elle l'embrasse ! comme elle l'étreint ! comme elle l'étouffe ! Au milieu de ces effusions, l'homme du comptoir se réveille.
Il s'étonne d'abord un peu du chaleureux accueil que sa femme est en train de faire à ce jeune inconnu ; mais quand on lui apprend que ce jeune inconnu est M. Daniel Eyssette en personne, Jean Peyrol devient rouge de plaisir et s'empresse autour de son illustre visiteur.
« Avez-vous déjeuné, monsieur Daniel ?
– Ma foi ! non, mon bon Peyrol… ; c'est précisément ce qui m'a fait entrer ici. » Justice divine !… M. Daniel n'a pas déjeuné !… La vieille Annou court à sa cuisine ; Jean Peyrol se précipite à la cave, – une fière cave, au dire des compagnons.
En un tour de main, le couvert est mis, la table est parée, le petit Chose n'a qu'à s'asseoir et à fonctionner… À sa gauche, Annou lui taille des mouillettes pour ses œufs, des œufs du matin, blancs, crémeux, duvetés… À sa droite Jean Peyrol lui verse un vieux Châteauneuf-du-Pape, qui semble une poignée de rubis jetée au fond de son verre, Le petit Chose est très heureux, il boit comme un templier mange comme un hospitalier, et trouve encore moyen de raconter, entre deux coups de dents, qu'il vient d'entrer dans l'Université, ce qui le met à même de gagner honorablement sa vie. Il faut voir de quel air il dit cela : gagner honorablement sa vie ! – La vieille Annou s'en pâme d'admiration.
L'enthousiasme de Jean Peyrol est moins vif. Il trouve tout simple que M. Daniel gagne sa vie, puisqu'il est en état de la gagner. À l'âge de M. Daniel, lui, Jean Peyrol, courait le monde depuis déjà quatre ou cinq ans, et ne coûtait plus un liard à la maison, au contraire…
Bien entendu, le digne cabaretier garde ses réflexions pour lui seul. Oser comparer Jean Peyrol à Daniel Eyssette !… Annou ne le souffrirait pas.
En attendant, le petit Chose va son train. Il parle, il boit, il mange, il s'anime ; ses yeux brillent, sa joue s'allume. Holà ! maître Peyrol, qu'on aille chercher des verres ; le petit Chose va trinquer… Jean Peyrol apporte des verres et on trinque… d'abord à Mme Eyssette, ensuite à M. Eyssette, puis à Jacques, à Daniel, à la vieille Annou, au mari d'Annou, à l'Université… à quoi encore ?…
Deux heures se passent ainsi en libations et en bavardages. On cause du passé couleur de deuil, de l'avenir couleur de rose. On se rappelle la fabrique, Lyon, la rue Lanterne, ce pauvre abbé qu'on aimait tant.
Tout à coup le petit Chose se lève pour partir…
« Déjà », dit tristement la vieille Annou, Le petit Chose s'excuse ; il a quelqu'un de la ville à voir avant de s'en aller, une visite très importante…
Quel dommage ! on était si bien !… On avait tant de choses à se raconter encore !… Enfin, puisqu'il le faut, puisque M. Daniel a quelqu'un de la ville à voir, ses amis du Tour de France ne veulent pas le retenir plus longtemps… « Bon voyage, monsieur Daniel ! Dieu vous conduise, notre cher maître !» Et jusqu'au milieu de la rue, Jean Peyrol et sa femme l'accompagnent de leurs bénédictions. Or, savez-vous quel est ce quelqu'un de la ville que le petit Chose veut voir avant de partir ?
C'est la fabrique, cette fabrique