L'étourdi. Molière Jean Baptiste Poquelin
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Il nous eût d’un bâton chargés de compagnie.
A quoi bon se montrer, et, comme un étourdi,
Me venir démentir de tout ce que je di ?
Lélie
Je pensais faire bien.
Mascarille
Oui, c’était fort l’entendre.
Mais quoi ! cette action ne me doit point surprendre :
Vous êtes si fertile en pareils contre-temps,
Que vos écarts d’esprit n’étonnent plus les gens.
Lélie
Ah ! mon Dieu ! pour un rien me voilà bien coupable !
Le mal est-il si grand qu’il soit irréparable ?
Enfin, si tu ne mets Célie entre mes mains,
Songe au moins de Léandre à rompre les desseins ;
Qu’il ne puisse acheter avant moi cette belle.
De peur que ma présence encor soit criminelle,
Je te laisse.
Mascarille
Fort bien. A dire vrai, l’argent
Serait dans notre affaire un sûr et fort agent ;
Mais ce ressort manquant, il faut user d’un autre.
Scène VI
Anselme, Mascarille.
Anselme
Par mon chef ! C’est un siècle étrange que le nôtre !
J’en suis confus. Jamais tant d’amour pour le bien,
Et jamais tant de peine à retirer le sien !
Les dettes aujourd’hui, quelque soin qu’on emploie,
Sont comme les enfants, que l’on conçoit en joie,
Et dont avecque peine on fait l’accouchement.
L’argent dans une bourse entre agréablement ;
Mais, le terme venu que nous devons le rendre,
C’est lors que les douleurs commencent à nous prendre.
Baste ! ce n’est pas peu que deux mille francs, dus
Depuis deux ans entiers, me soient enfin rendus ;
Encore est-ce un bonheur.
Mascarille (à part les quatre premiers vers.)
O Dieu ! la belle proie
A tirer en volant ! Chut, il faut que je voie
Si je pourrais un peu de près le caresser.
Je sais bien les discours dont il faut le bercer…
Je viens de voir, Anselme…
Anselme
Et qui ?
Mascarille
Votre Nérine.
Anselme
Que dit-elle de moi, cette gente assasine[1] ?
Mascarille
Pour vous elle est de flamme.
Anselme
Elle ?
Mascarille
Et vous aime tant,
Que c’est grande pitié.
Anselme
Que tu me rends content !
Mascarille
Peu s’en faut que d’amour la pauvrette ne meure.
Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure,
Quand est-ce que l’hymen unira nos deux coeurs,
Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs ?
Anselme
Mais pourquoi jusqu’ici me les avoir celées ?
Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées !
Mascarille, en effet, qu’en dis-tu ? quoique vieux,
J’ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux.
Mascarille
Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable ;
S’il n’est pas des plus beaux, il est des agréable.
Anselme
Si bien donc…?
Mascarille (veut prendre la bourse.)
Si bien donc qu’elle est sotte de vous,
Ne vous regarde plus…
Anselme
Quoi ?
Mascarille
Que comme un époux,
Et vous veut…?
Anselme
Et me veut…?
Mascarille
Et vous veut, quoi qu’il tienne,
Prendre la bourse…
Anselme
La ?
Mascarille (prend la bourse, et la laisse tomber.)
La bouche avec la sienne.
Anselme
Ah ! je t’entends. Viens cà : lorsque tu la verras,
Vante-lui mon mérite autant que tu pourras.
Mascarille
Laissez-moi faire.
Anselme
Adieu.
Mascarille (à part.)
Que le ciel vous conduise !
Anselme (revenant.)
Ah ! vraiment, je faisais une étrange sottise,
Et tu pouvais pour toi m’accuser de froideur.
Je t’engage à servir mon amoureuse ardeur,