Quatrevingt treize. Victor Hugo

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Quatrevingt treize - Victor  Hugo

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DE PAYSAN VAUT SCIENCE DE CAPITAINE

      Les provisions qui étaient dans le canot ne furent pas inutiles.

      Les deux fugitifs, obligés à de longs détours, mirent trente-six heures à atteindre la côte. Ils passèrent une nuit en mer; mais la nuit fut belle, avec trop de lune cependant pour des gens qui cherchaient à se dérober.

      Ils durent d’abord s’éloigner de France et gagner le large vers Jersey.

      Ils entendirent la suprême canonnade de la corvette foudroyée, comme on entend le dernier rugissement du lion que les chasseurs tuent dans les bois. Puis le silence se fit sur la mer.

      Cette corvette la Claymore mourut de la même façon que le Vengeur; mais la gloire l’a ignoré. On n’est pas héros contre son pays.

      Halmalo était un marin surprenant. Il fit des miracles de dextérité et d’intelligence; cette improvisation d’un itinéraire à travers les écueils, les vagues et le guet de l’ennemi fut un chef-d’oeuvre. Le vent avait décru et la mer était devenue maniable.

      Halmalo évita les Caux des Minquiers, contourna la Chaussée-aux-Boeufs, s’y abrita, afin d’y prendre quelques heures de repos dans la petite crique qui s’y fait au nord à mer basse, et, redescendant au sud, trouva moyen de passer entre Granville et les îles Chausey sans être aperçu ni de la vigie de Chausey ni de la vigie de Granville. Il s’engagea dans la baie de Saint-Michel, ce qui était hardi à cause du voisinage de Cancale, lieu d’ancrage de la croisière.

      Le soir du second jour, environ une heure avant le coucher du soleil, il laissa derrière lui le mont Saint-Michel, et vint atterrir à une grève qui est toujours déserte, parce qu’elle est dangereuse; on s’y enlise.

      Heureusement la marée était haute.

      Halmalo poussa l’embarcation le plus avant qu’il put, tâta le sable, le trouva solide, y échoua le canot et sauta à terre.

      Le vieillard après lui enjamba le bord et examina l’horizon.

      – Monseigneur, dit Halmalo, nous sommes ici à l’embouchure du Couesnon. Voilà Beauvoir à tribord et Huisnes à bâbord. Le clocher devant nous, c’est Ardevon.

      Le vieillard se pencha dans le canot, y prit un biscuit qu’il mit dans sa poche, et dit à Halmalo:

      – Prends le reste.

      Halmalo mit dans le sac ce qui restait de viande avec ce qui restait de biscuit, et chargea le sac sur son épaule. Cela fait, il dit:

      – Monseigneur, faut-il vous conduire ou vous suivre?

      – Ni l’un ni l’autre.

      Halmalo stupéfait regarda le vieillard.

      Le vieillard continua:

      – Halmalo, nous allons nous séparer. Être deux ne vaut rien. Il faut être mille ou seul.

      Il s’interrompit, et tira d’une de ses poches un noeud de soie verte, assez pareil à une cocarde, au centre duquel était brodée une fleur de lys en or. Il reprit:

      – Sais-tu lire?

      – Non.

      – C’est bien. Un homme qui lit, ça gêne. As-tu bonne mémoire?

      – Oui.

      – C’est bien. Écoute, Halmalo. Tu vas prendre à droite et moi à gauche. J’irai du côté de Fougères, toi du côté de Bazouges. Garde ton sac qui te donne l’air d’un paysan. Cache tes armes. Coupe-toi un bâton dans les haies. Rampe dans les seigles qui sont hauts. Glisse-toi derrière les clôtures. Enjambe les échaliers pour aller à travers champs. Laisse à distance les passants. Évite les chemins et les ponts. N’entre pas à Pontorson. Ah! tu auras à traverser le Couesnon. Comment le passeras-tu?

      – À la nage.

      – C’est bien. Et puis il y a un gué. Sais-tu où il est?

      – Entre Ancey et Vieux-Viel.

      – C’est bien. Tu es vraiment du pays.

      – Mais la nuit vient. Où monseigneur couchera-t-il?

      – Je me charge de moi. Et toi, où coucheras-tu?

      – Il y a des émousses. Avant d’être matelot j’ai été paysan.

      – Jette ton chapeau de marin qui te trahirait. Tu trouveras bien quelque part une carapousse.

      – Oh! nu tapabor, cela se trouve partout. Le premier pêcheur venu me vendra le sien.

      – C’est bien. Maintenant, écoute. Tu connais les bois?

      – Tous.

      – De tout le pays?

      – Depuis Noirmoutier jusqu’à Laval.

      – Connais-tu aussi les noms?

      – Je connais les bois, je connais les noms, je connais tout.

      – Tu n’oublieras rien?

      – Rien.

      – C’est bien. À présent, attention. Combien peux-tu faire de lieues par jour?

      – Dix, quinze, dix-huit, vingt, s’il le faut.

      – Il le faudra. Ne perds pas un mot de ce que je vais te dire. Tu iras au bois de Saint-Aubin.

      – Près de Lamballe?

      – Oui. Sur la lisière du ravin qui est entre Saint-Rieul et Plédéliac il y a un gros châtaignier. Tu t’arrêteras là. Tu ne verras personne.

      – Ce qui n’empêche pas qu’il y aura quelqu’un. Je sais.

      – Tu feras l’appel. Sais-tu faire l’appel?

      Halmalo enfla ses joues, se tourna du côté de la mer, et l’on entendit le hou-hou de la chouette.

      On eût dit que cela venait des profondeurs nocturnes; c’était ressemblant et sinistre.

      – Bien, dit le vieillard. Tu en es.

      Il tendit à Halmalo le noeud de soie verte.

      – Voici mon noeud de commandement. Prends-le. Il importe que personne encore ne sache mon nom. Mais ce noeud suffit. La fleur de lys a été brodée par Madame Royale dans la prison du Temple.

      Halmalo mit un genou en terre. Il reçut avec un tremblement le noeud fleurdelysé, et en approcha ses lèvres; puis s’arrêtant comme effrayé de ce baiser:

      – Le puis-je? demanda-t-il.

      – Oui, puisque tu baises le crucifix.

      Halmalo baisa la fleur de lys.

      – Relève-toi, dit le vieillard.

      Halmalo

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