Consuelo. George Sand

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Consuelo - George  Sand

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consolée.»

      Cela était peu vraisemblable, au point où en étaient les choses; le comte eût été charmé de savoir Anzoleto infidèle à sa fiancée. Mais la vanité de Corilla aimait à se laisser abuser. Elle crut aussi n’avoir rien à craindre des sentiments d’Anzoleto pour la débutante. Lorsqu’il se justifiait sur ce point, et jurait par tous les dieux n’avoir été jamais que le frère de cette jeune fille, comme il disait matériellement la vérité, il y avait tant d’assurance dans ses dénégations que la jalousie de Corilla était vaincue. Enfin le grand jour approchait, et la cabale qu’elle avait préparée était anéantie. Pour son compte, elle travaillait désormais en sens contraire, persuadée que la timide et inexpérimentée Consuelo tomberait d’elle-même, et qu’Anzoleto lui saurait un gré infini de n’y avoir pas contribué. En outre, il avait déjà eu le talent de la brouiller avec ses plus fermes champions, en feignant d’être jaloux de leurs assiduités, et en la forçant à les éconduire un peu brusquement.

      Tandis qu’il travaillait ainsi dans l’ombre à déjouer les espérances de la femme qu’il pressait chaque nuit dans ses bras, le rusé Vénitien jouait un autre rôle avec le comte et Consuelo. Il se vantait à eux d’avoir désarmé par d’adroites démarches, des visites intéressées, et des mensonges effrontés, la redoutable ennemie de leur triomphe. Le comte, frivole et un peu commère, s’amusait infiniment des contes de son protégé. Son amour-propre triomphait des regrets que celui-ci attribuait à la Corilla par rapport à leur rupture, et il poussait ce jeune homme à de lâches perfidies avec cette légèreté cruelle qu’on porte dans les relations du théâtre et la galanterie. Consuelo s’en étonnait et s’en affligeait:

      Tu ferais mieux, lui disait-elle, de travailler ta voix et d’étudier ton rôle. Tu crois avoir fait beaucoup en désarmant l’ennemi. Mais une note bien épurée, une inflexion bien sentie, feraient beaucoup plus sur le public impartial que le silence des envieux. C’est à ce public seul qu’il faudrait songer, et je vois avec chagrin que tu n’y songes nullement.

      – Sois donc tranquille, chère Consuelita, lui répondait-il. Ton erreur est de croire à un public à la fois impartial et éclairé. Les gens qui s’y connaissent ne sont presque jamais de bonne foi, et ceux qui sont de bonne foi s’y connaissent si peu qu’il suffit d’un peu d’audace pour les éblouir et les entraîner.»

      XVII. La jalousie d’Anzoleto à l’égard du comte s’était endormie au milieu des distractions que lui donnaient la soif du succès et les ardeurs de la Corilla

      La jalousie d’Anzoleto à l’égard du comte s’était endormie au milieu des distractions que lui donnaient la soif du succès et les ardeurs de la Corilla. Heureusement Consuelo n’avait pas besoin d’un défenseur plus moral et plus vigilant. Préservée par sa propre innocence, elle échappait encore aux hardiesses de Zustiniani et le tenait à distance, précisément par le peu de souci qu’elle en prenait. Au bout de quinze jours, ce roué Vénitien avait reconnu qu’elle n’avait point encore les passions mondaines qui mènent à la corruption, et il n’épargnait rien pour les faire éclore. Mais comme, à cet égard même, il n’était pas plus avancé que le premier jour, il ne voulait point ruiner ses espérances par trop d’empressement. Si Anzoleto l’eût contrarié par sa surveillance, peut-être le dépit l’eût-il poussé à brusquer les choses; mais Anzoleto lui laissait le champ libre, Consuelo ne se méfiait de rien: tout ce qu’il avait à faire, c’était de se rendre agréable, en attendant qu’il devînt nécessaire. Il n’y avait donc sorte de prévenances délicates, de galanteries raffinées, dont il ne s’ingéniât pour plaire. Consuelo recevait toutes ces idolâtries en s’obstinant à les mettre sur le compte des mœurs élégantes et libérales du patriciat, du dilettantisme passionné et de la bonté naturelle de son protecteur. Elle éprouvait pour lui une amitié vraie, une sainte reconnaissance; et lui, heureux et inquiet de cet abandon d’une âme pure, commençait à s’effrayer du sentiment qu’il inspirerait lorsqu’il voudrait rompre enfin la glace.

      Tandis qu’il se livrait avec crainte, et non sans douceur à un sentiment tout nouveau pour lui (se consolant un peu de ses mécomptes par l’opinion où tout Venise était de son triomphe), la Corilla sentait s’opérer en elle aussi une sorte de transformation. Elle aimait sinon avec noblesse, du moins avec ardeur; et son âme irritable et impérieuse pliait sous le joug de son jeune Adonis. C’était bien vraiment l’impudique Vénus éprise du chasseur superbe, et pour la première fois humble et craintive devant un mortel préféré. Elle se soumettait jusqu’à feindre des vertus qui n’étaient point en elle, et qu’elle n’affectait cependant point sans en ressentir une sorte d’attendrissement voluptueux et doux; tant il est vrai que l’idolâtrie qu’on se retire à soi-même, pour la reporter sur un autre être, élève et ennoblit par instants les âmes les moins susceptibles de grandeur et de dévouement.

      L’émotion qu’elle éprouvait réagissait sur son talent, et l’on remarquait au théâtre qu’elle jouait avec plus de naturel et de sensibilité les rôles pathétiques. Mais comme son caractère et l’essence même de sa nature étaient pour ainsi dire brisés, comme il fallait une crise intérieure violente et pénible pour opérer cette métamorphose, sa force physique succombait dans la lutte; et chaque jour on s’apercevait avec surprise, les uns avec une joie maligne, les autres avec un effroi sérieux, de la perte de ses moyens. Sa voix s’éteignait à chaque instant. Les brillants caprices de son improvisation étaient trahis par une respiration courte et des intonations hasardées. Le déplaisir et la terreur qu’elle en ressentait achevaient de l’affaiblir; et, à la représentation qui précéda les débuts de Consuelo, elle chanta tellement faux et manqua tant de passages éclatants, que ses amis l’applaudirent faiblement et furent bientôt réduits au silence de la consternation par les murmures des opposants.

      Enfin ce grand jour arriva, et la salle fut si remplie qu’on y pouvait à peine respirer. Corilla, vêtue de noir, pâle, émue, plus morte que vive, partagée entre la crainte de voir tomber son amant et celle de voir triompher sa rivale, alla s’asseoir au fond de sa petite loge obscure sur le théâtre. Tout le ban et l’arrière-ban des aristocraties et des beautés de Venise vinrent étaler les fleurs et les pierreries en un triple hémicycle étincelant. Les hommes charmants encombraient les coulisses et, comme c’était alors l’usage, une partie du théâtre. La dogaresse se montra à l’avant-scène avec tous les grands dignitaires de la République. Le Porpora dirigea l’orchestre en personne, et le comte Zustiniani attendit à la porte de la loge de Consuelo qu’elle eût achevé sa toilette, tandis qu’Anzoleto, paré en guerrier antique avec toute la coquetterie bizarre de l’époque, s’évanouissait dans la coulisse et avalait un grand verre de vin de Chypre pour se remettre sur ses jambes.

      L’opéra n’était ni d’un classique ni d’un novateur, ni d’un ancien sévère ni d’un moderne audacieux. C’était l’œuvre inconnue d’un étranger. Pour échapper aux cabales que son propre nom, ou tout autre nom célèbre, n’eût pas manqué de soulever chez les compositeurs rivaux, le Porpora désirant, avant tout, le succès de son élève, avait proposé et mis à l’étude la partition d’Ipermnestre, début lyrique d’un jeune Allemand qui n’avait encore en Italie, et nulle part au monde, ni ennemis, ni séides, et qui s’appelait tout simplement monsieur Christophe Gluck.

      Lorsque Anzoleto parut sur la scène, un murmure d’admiration courut dans toute la salle. Le ténor auquel il succédait, admirable chanteur, qui avait eu le tort d’attendre pour prendre sa retraite que l’âge eût exténué sa voix et enlaidi son visage, était peu regretté d’un public ingrat; et le beau sexe, qui écoute plus souvent avec les yeux qu’avec les oreilles, fut ravi de voir, à la place de ce gros homme bourgeonné, un garçon de vingt-quatre ans, frais comme une rose, blond comme Phébus, bâti comme si Phidias s’en fût mêlé, un vrai fils des lagunes; Bianco, crespo, e grassotto.

      Il était trop ému pour bien chanter son

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