Consuelo. George Sand

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Consuelo - George  Sand

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rapidement avec lui à sa chambre; je te remercie, Anzoleto, tu as bien raison de me féliciter, je suis vraiment joyeuse; oh! tout à fait joyeuse!»

      Anzoleto, qui l’avait entendue, avait déjà allumé la lampe. Quand la clarté bleuâtre tomba sur leurs traits décomposés, ils se firent peur l’un à l’autre.

      Nous sommes bien heureux, n’est-ce pas, Anzoleto? dit-elle d’une voix âpre, en contractant ses traits par un sourire qui fit couler sur ses joues un ruisseau de larmes. Que penses-tu de notre bonheur?

      – Je pense, Consuelo répondit-il avec un sourire amer et des yeux secs, que nous avons eu quelque peine à y souscrire, mais que nous finirons par nous y habituer.

      – Tu m’as semblé fort bien habitué au boudoir de la Corilla.

      – Et moi, je te retrouve très aguerrie avec la gondole de monsieur le comte.

      – Monsieur le comte?… Tu savais donc, Anzoleto, que monsieur le comte voulait faire de moi sa maîtresse?

      – Et c’est pour ne pas te gêner, ma chère, que j’ai discrètement battu en retraite.

      – Ah! tu savais cela? et c’est le moment que tu as choisi pour m’abandonner?

      – N’ai-je pas bien fait, et n’es-tu pas satisfaite de ton sort? Le comte est un amant magnifique, et le pauvre débutant tombé n’eût pas pu lutter avec lui, je pense?

      – Le Porpora avait raison: vous êtes un homme infâme. Sortez d’ici! vous ne méritez pas que je me justifie, et il me semble que je serais souillée par un regret de vous. Sortez, vous dis-je! Mais sachez auparavant que vous pouvez débuter à Venise et rentrer à San Samuel avec la Corilla: jamais plus la fille de ma mère ne remettra les pieds sur ces ignobles tréteaux qu’on appelle le théâtre.

      – La fille de votre mère la Zingara va donc faire la grande dame dans la villa de Zustiniani, aux bords de la Brenta? Ce sera une belle existence, et je m’en réjouis!

      – Ô ma mère!» dit Consuelo en se retournant vers son lit, et en s’y jetant à genoux, la face enfoncée dans la couverture qui avait servi de linceul à la Zingara.

      Anzoleto fut effrayé et pénétré de ce mouvement énergique et de ces sanglots terribles qu’il entendait gronder dans la poitrine de Consuelo. Le remords frappa un grand coup dans la sienne, et il s’approcha pour prendre son amie dans ses bras et la relever. Mais elle se releva d’elle-même, et le repoussant avec une force sauvage, elle le jeta à la porte en lui criant: «Hors de chez moi, hors de mon cœur, hors de mon souvenir! À tout jamais, adieu! adieu!»

      Anzoleto était venu la trouver avec une pensée d’égoïsme atroce, et c’était pourtant la meilleure pensée qu’il eût pu concevoir. Il ne s’était pas senti la force de s’éloigner d’elle, et il avait trouvé un terme moyen pour tout concilier: c’était de lui dire qu’elle était menacée dans son honneur par les projets amoureux de Zustiniani, et de l’éloigner ainsi du théâtre. Il y avait, dans cette résolution, un hommage rendu à la pureté et à la fierté de Consuelo. Il la savait incapable de transiger avec une position équivoque, et d’accepter une protection qui la ferait rougir. Il y avait encore dans son âme coupable et corrompue une foi inébranlable dans l’innocence de cette jeune fille, qu’il comptait retrouver aussi chaste, aussi fidèle, aussi dévouée qu’il l’avait laissée quelques jours auparavant. Mais comment concilier cette religion envers elle, avec le dessein arrêté de la tromper et de rester son fiancé, son ami, sans rompre avec la Corilla? Il voulait faire rentrer cette dernière avec lui au théâtre, et ne pouvait songer à s’en détacher dans un moment où son succès allait dépendre d’elle entièrement. Ce plan audacieux et lâche était cependant formulé dans sa pensée, et il traitait Consuelo comme ces madones dont les femmes italiennes implorent la protection à l’heure du repentir, et dont elles voilent la face à l’heure du péché.

      Quand il la vit si brillante et si folle en apparence au théâtre, dans son rôle bouffe, il commença à craindre d’avoir perdu trop de temps à mûrir son projet. Quand il la vit rentrer dans la gondole du comte, et approcher avec un éclat de rire convulsif, ne comprenant pas la détresse de cette âme en délire, il pensa qu’il venait trop tard, et le dépit s’empara de lui. Mais quand il la vit se relever de ses insultes et le chasser avec mépris, le respect lui revint avec la crainte, et il erra longtemps dans l’escalier et sur la rive attendant qu’elle le rappelât. Il se hasarda même à frapper et à implorer son pardon à travers la porte. Mais un profond silence régna dans cette chambre, dont il ne devait plus jamais repasser le seuil avec Consuelo. Il se retira confus et dépité, se promettant de revenir le lendemain et se flattant d’être plus heureux. «Après tout, se disait-il, mon projet va réussir; elle sait l’amour du comte; la besogne est à moitié faite.»

      Accablé de fatigue, il dormit longtemps; et dans l’après-midi il se rendit chez la Corilla.

      Grande nouvelle! s’écria-t-elle en lui tendant les bras: la Consuelo est partie!

      – Partie! et avec qui, grand Dieu! et pour quel pays?

      – Pour Vienne, où le Porpora l’envoie, en attendant qu’il s’y rende lui-même. Elle nous a tous trompés, cette petite masque. Elle était engagée pour le théâtre de l’empereur, où le Porpora va faire représenter son nouvel opéra.

      – Partie! partie sans me dire un mot! s’écria Anzoleto en courant vers la porte.

      – Oh! rien ne te servira de la chercher à Venise, dit la Corilla avec un rire méchant et un regard de triomphe. Elle s’est embarquée pour Palestrine au jour naissant; elle est déjà loin en terre ferme. Zustiniani, qui se croyait aimé et qui était joué, est furieux; il est au lit avec la fièvre. Mais il m’a dépêché tout à l’heure le Porpora, pour me prier de chanter ce soir; et Stefanini, qui est très fatigué du théâtre et très impatient d’aller jouir dans son château des douceurs de la retraite, est fort désireux de te voir reprendre tes débuts. Ainsi songe à reparaître demain dans Ipermnestre. Moi, je vais à la répétition: on m’attend. Tu peux, si tu ne me crois pas, aller faire un tour dans la ville, tu te convaincras de la vérité.

      – Ah! furie! s’écria Anzoleto, tu l’emportes! mais tu m’arraches la vie.»

      Et il tomba évanoui sur le tapis de Perse de la courtisane.

      XXI. Le plus embarrassé de son rôle, lors de la fuite de Consuelo…

      Le plus embarrassé de son rôle, lors de la fuite de Consuelo, ce fut le comte Zustiniani. Après avoir laissé dire et donné à penser à tout Venise que la merveilleuse débutante était sa maîtresse, comment expliquer d’une manière flatteuse pour son amour-propre qu’au premier mot de déclaration elle s’était soustraite brusquement et mystérieusement à ses désirs et à ses espérances? Plusieurs personnes pensèrent que, jaloux de son trésor, il l’avait cachée dans une de ses maisons de campagne. Mais lorsqu’on entendit le Porpora dire avec cette austérité de franchise qui ne s’était jamais démentie, le parti qu’avait pris son élève d’aller l’attendre en Allemagne, il n’y eut plus qu’à chercher les motifs de cette étrange résolution. Le comte affecta bien, pour donner le change, de ne montrer ni dépit ni surprise; mais son chagrin perça malgré lui, et on cessa de lui attribuer cette bonne fortune dont on l’avait tant félicité. La majeure partie de la vérité devint claire pour tout le monde; savoir: l’infidélité d’Anzoleto, la rivalité de Corilla, et le désespoir de la pauvre Espagnole, qu’on se prit à plaindre et à regretter vivement.

      Le

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