Consuelo. George Sand

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Consuelo - George  Sand

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occupations.

      Comment trouvez-vous cette petite fille? dit le professeur à Zustiniani.

      – Je l’avais vue déjà, il n’y a qu’un instant, et je la trouve assez laide pour justifier l’axiome qui dit: Aux yeux d’un homme de dix-huit ans, toute femme semble belle.

      – C’est bon, répondit le professeur; maintenant je puis donc vous dire que votre divine cantatrice, votre sirène, votre mystérieuse beauté, c’était Consuelo.

      – Elle! ce sale enfant? cette noire et maigre sauterelle? impossible, maestro!

      – Elle-même, seigneur comte. Ne ferait-elle pas une prima donna bien séduisante?»

      Le comte s’arrêta, se retourna, examina encore de loin Consuelo, et joignant les mains avec un désespoir assez comique:

      Juste ciel! s’écria-t-il, peux-tu faire de semblables méprises, et verser le feu du génie dans des têtes si mal ébauchées!

      – Ainsi, vous renoncez à vos projets coupables? dit le professeur.

      – Bien certainement.

      – Vous me le promettez? ajouta le Porpora.

      – Oh! je vous le jure», répondit le comte.

      III. Éclos sous le ciel de l’Italie, élevé par hasard comme un oiseau des rivages

      Éclos sous le ciel de l’Italie, élevé par hasard comme un oiseau des rivages, pauvre, orphelin abandonné, et cependant heureux dans le présent et confiant dans l’avenir comme un enfant de l’amour qu’il était sans doute, Anzoleto, ce beau garçon de dix-neuf ans, qui passait tous ses jours auprès de la petite Consuelo, dans la plus complète liberté, sur le pavé de Venise, n’en était pas, comme on peut le croire, à ses premières amours. Initié aux voluptés faciles qui s’étaient offertes à lui plus d’une fois, il eût été usé déjà et corrompu peut-être, s’il eût vécu dans nos tristes climats, et si la nature l’eût doué d’une organisation moins riche. Mais, développé de bonne heure et destiné à une longue et puissante virilité, il avait encore le cœur pur et les sens contenus par la volonté. Le hasard lui avait fait rencontrer la petite Espagnole devant les Madonettes, chantant des cantiques par dévotion; et lui, pour le plaisir d’exercer sa voix, il avait chanté avec elle aux étoiles durant des soirées entières. Et puis ils s’étaient rencontrés sur les sables du Lido, ramassant des coquillages, lui pour les manger, elle pour en faire des chapelets et des ornements. Et puis encore ils s’étaient rencontrés à l’église, elle priant le bon Dieu de tout son cœur, lui regardant les belles dames de tous ses yeux. Et dans toutes ces rencontres, Consuelo lui avait semblé si bonne, si douce, si obligeante, si gaie, qu’il s’était fait son ami et son compagnon inséparable, sans trop savoir pourquoi ni comment. Anzoleto ne connaissait encore de l’amour que le plaisir. Il éprouva de l’amitié pour Consuelo; et comme il était d’un pays et d’un peuple où les passions règnent plus que les attachements, il ne sut point donner à cette amitié un autre nom que celui d’amour. Consuelo accepta cette façon de parler; après qu’elle eut fait à Anzoleto l’objection suivante: «Si tu te dis mon amoureux, c’est donc que tu veux te marier avec moi?» et qu’il lui eut répondu: «Bien certainement, si tu le veux, nous nous marierons ensemble.»

      Ce fut dès lors une chose arrêtée. Peut-être qu’Anzoleto s’en fit un jeu, tandis que Consuelo y crut de la meilleure foi du monde. Mais il est certain que déjà ce jeune cœur éprouvait ces sentiments contraires et ces émotions compliquées qui agitent et désunissent l’existence des hommes blasés.

      Abandonné à des instincts violents, avide de plaisirs, n’aimant que ce qui servait à son bonheur, haïssant et fuyant tout ce qui s’opposait à sa joie, artiste jusqu’aux os, c’est-à-dire cherchant et sentant la vie avec une intensité effrayante, il trouva que ses maîtresses lui imposaient les souffrances et les dangers de passions qu’il n’éprouvait pas profondément. Cependant il les voyait de temps en temps; rappelé par ses désirs, repoussé bientôt après par la satiété ou le dépit. Et quand cet étrange enfant avait ainsi dépensé sans idéal et sans dignité l’excès de sa vie, il sentait le besoin d’une société douce et d’une expansion chaste et sereine. Il eût put dire déjà, comme Jean-Jacques: «Tant il est vrai que ce qui nous attache le plus aux femmes est moins la débauche qu’un certain agrément de vivre auprès d’elles!» Alors, sans se rendre compte du charme qui l’attirait vers Consuelo, n’ayant guère encore le sens du beau, et ne sachant si elle était laide ou jolie, enfant lui-même au point de s’amuser avec elle de jeux au-dessous de son âge, homme au point de respecter scrupuleusement ses quatorze ans, il menait avec elle, en public, sur les marbres et sur les flots de Venise, une vie aussi heureuse, aussi pure, aussi cachée, et presque aussi poétique que celle de Paul et Virginie sous les pamplemousses du désert. Quoiqu’ils eussent une liberté plus absolue et plus dangereuse, point de famille, point de mères vigilantes et tendres pour les former à la vertu, point de serviteur dévoué pour les chercher le soir et les ramener au bercail; pas même un chien pour les avertir du danger, ils ne firent aucun genre de chute. Ils coururent les lagunes en barque découverte, à toute heure et par tous les temps, sans rames et sans pilote; ils errèrent sur les paludes sans guide, sans montre, et sans souci de la marée montante; ils chantèrent devant les chapelles dressées sous la vigne au coin des rues, sans songer à l’heure avancée, et sans avoir besoin d’autre lit jusqu’au matin que la dalle blanche encore tiède des feux du jour. Ils s’arrêtèrent devant le théâtre de Pulcinella, et suivirent avec une attention passionnée le drame fantastique de la belle Corisande, reine des marionnettes, sans se rappeler l’absence du déjeuner et le peu de probabilité du souper. Ils se livrèrent aux amusements effrénés du carnaval, ayant pour tout déguisement et pour toute parure, lui sa veste retournée à l’envers, elle un gros nœud de vieux rubans sur l’oreille. Ils firent des repas somptueux sur la rampe d’un pont, ou sur les marches d’un palais avec des fruits de mer[1], des tiges de fenouil cru, ou des écorces de cédrat. Enfin ils menèrent joyeuse et libre vie, sans plus de caresses périlleuses ni de sentiments amoureux que n’en eussent échangé deux honnêtes enfants du même âge et du même sexe. Les jours, les années s’écoulèrent. Anzoleto eut d’autres maîtresses; Consuelo ne sut pas même qu’on pût avoir d’autres amours que celui dont elle était l’objet. Elle devint une jeune fille sans se croire obligée à plus de réserve avec son fiancé; et lui la vit grandir et se transformer, sans éprouver d’impatience et sans désirer de changement à cette intimité sans nuage, sans scrupule, sans mystère, et sans remords.

      Il y avait quatre ans déjà que le professeur Porpora et le comte Zustiniani s’étaient mutuellement présenté leurs petits musiciens, et depuis ce temps le comte n’avait plus pensé à la jeune chanteuse de musique sacrée; depuis ce temps, le professeur avait également oublié le bel Anzoleto, vu qu’il ne l’avait trouvé, après un premier examen, doué d’aucune des qualités qu’il exigeait dans un élève: d’abord une nature d’intelligence sérieuse et patiente, ensuite une modestie poussée jusqu’à l’annihilation de l’élève devant les maîtres, enfin une absence complète d’études musicales antérieures à celles qu’il voulait donner lui-même. «Ne me parlez jamais, disait-il, d’un écolier dont le cerveau ne soit pas sous ma volonté comme une table rase, comme une cire vierge où je puisse jeter la première empreinte. Je n’ai pas le temps de consacrer une année à faire désapprendre avant de commencer à montrer. Si vous voulez que j’écrive sur une ardoise, présentez-la-moi nette. Ce n’est pas tout, donnez-la-moi de bonne qualité. Si elle est trop épaisse, je ne pourrai l’entamer; si elle est trop mince, je la briserai au premier trait.» En somme, bien qu’il reconnût les moyens extraordinaires du jeune Anzoleto, il déclara au comte, avec quelque humeur et avec une ironique humilité

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<p>1</p>

Diverses sortes de coquillages très grossier et à fort bas prix dont le peuple de Venise est friand.