Les aventures du capitaine Corcoran. Alfred Assollant
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Читать онлайн книгу Les aventures du capitaine Corcoran - Alfred Assollant страница 10
«Ceci me mène tout droit au sujet principal de ce rapport. J'ose espérer que Votre Seigneurie ne me désapprouvera pas, si j'ai cru devoir outrepasser un peu mes instructions.
«L'exécution des principaux brigands a mis fin au brigandage, et la plupart des pauvres diables qui faisaient ce sot métier sont rentrés dans la vie privée. D'autres ont passé la frontière et exercent leurs talents au Bengale, où j'ai eu le plaisir d'en saisir et d'en faire pendre une vingtaine. Parmi ces derniers (je veux dire ceux qui sont au Bengale, et non ceux qui ont été pendus), j'ai eu occasion de remarquer un drôle de la pire espèce, nommé Punth-Rombhoo-Baber, ou plus commodément Baber, ce qui signifie, en langue indoue, Votre Seigneurie ne l'ignore pas, le Tigre. Baber donc, ou le Tigre, s'est signalé, depuis sa naissance, par les exploits les plus brillants. Je n'oserais affirmer qu'il ait tué son père ou sa mère; mais, à cela près, il a commis toutes sortes de crimes. A quinze ans, sa réputation était faite. Son habileté à se tirer des mains de la justice et de la police est presque fabuleuse. Pour citer de lui un tour qui vaut tous les autres, il a été empalé, et, profitant de l'absence des gardes, il s'est débarrassé de son pal et a traversé le Gange à la nage pendant la nuit pour chercher un asile dans le Goualier. Un autre jour, il fut pendu, mais si mal, que, sans que la corde eût cassé, il continua de respirer. Deux heures plus tard, on le dépendit pour le disséquer, et le docteur Francis Arnolt, chirurgien du 48e de ligne cipaye, allait lui plonger le scalpel dans la poitrine, lorsque Baber eut l'effronterie de se lever, d'arracher le scalpel au docteur étonné, de bondir vers la porte de l'amphithéâtre, de se glisser au travers de quatre ou cinq cents personnes, sans qu'on osât ou qu'on voulût lui mettre la main au collet, et de fuir jusqu'à Bénarès, où je le rencontrai, quand Votre Seigneurie daigna m'envoyer à Bhagavapour.
«Cette rencontre fut providentielle. Quoique j'ose me flatter de connaître à fond ma profession, un aide tel que Baber n'est pas à dédaigner. Par un bonheur extraordinaire, ce coquin croit avoir à se plaindre du capitaine Corcoran, qui l'a chassé du pays des Mahrattes. «Sans lui, dit-il, je vivrais bien tranquille au fond du royaume d'Holkar; je jouirais paisiblement d'une fortune acquise par tant d'honorables travaux, et je serais heureux sous ma vigne et mon figuier avec ma femme et mes enfants, comme un patriarche.»
«Un motif plus singulier encore, et qui fera sans doute sourire Votre Seigneurie, l'a rendu l'ennemi irréconciliable du maharajah.
«Baber (où l'amour-propre va-t-il se nicher?) se croit le premier homme de son temps et tout à fait invincible dans l'exercice de sa profession. S'il a subi quelques échecs dans le cours d'une vie déjà longue, ces échecs ne sont pas, dit-il, un effet de la faiblesse de son génie, mais de la sensibilité de son coeur. Deux fois les femmes l'ont trahi et vendu; mais aujourd'hui, plein d'expérience et de jours, revenu de sa passion aveugle pour un sexe trompeur, il se flatte de ne plus craindre personne, et l'idée d'obtenir du gouvernement anglais sa grâce et trois cent mille roupies (je n'ai pas cru hasarder trop en lui promettant cette somme de la part de Votre Seigneurie), l'idée plus éblouissante encore de prendre mort ou vif le capitaine Corcoran, que tous les Mahrattes regardent comme invincible, et de terminer ainsi sa glorieuse carrière par un magnifique coup d'éclat, tout cela décide Baber à tenter la grande entreprise.
«Quant aux moyens d'exécution, je le connais: on peut s'en fier à lui. Dans sa première jeunesse, il était l'un des chefs les plus redoutables des thugs, et il a commandé longtemps des bandes de cinq à six cents hommes. C'est parmi ses anciens associés qu'il s'est chargé de recruter trente coquins déterminés, dont le moindre a été condamné à mort deux ou trois fois. Trente, c'est assez; car je ne dois pas dissimuler à Votre Seigneurie que le but de Baber est bien moins de faire prisonnier Corcoran (chose à peu près impossible), que d'en débarrasser le gouvernement anglais, quibuscumque viis, c'est-à-dire n'importe comment.
«Je n'ai pas besoin, mylord, d'informer Votre Seigneurie que, en aucun cas, son nom ne pourra être compromis dans une pareille entreprise, et qu'elle pourra nier hardiment toute participation aux manoeuvres du brave Baber. J'ai dû cependant montrer à Baber les pleins pouvoirs, signés de la main de Votre Seigneurie, qui me furent remis au moment de mon départ pour Bhagavapour, car ce gentleman voulait être certain d'obtenir sa grâce et les trois cent mille roupies que je lui ai promises; mais vous devez bien penser, mylord, que ces papiers précieux n'ont été que montrés et non pas remis à l'honorable M. Baber.
«Au reste, l'exécution de son projet n'est pas très-difficile. La confiance du capitaine Corcoran dans sa popularité est si grande, qu'il n'a pas daigné mettre garnison dans sa capitale. Toute l'armée est distribuée sur la frontière, ainsi que Votre Seigneurie pourra s'en assurer si elle daigne jeter les yeux sur le plan ci-annexé. Il n'y a pas deux cents soldats à Baghavapour; encore ce sont des soldats de police, dispersés dans les divers quartiers. Le palais est ouvert à tout le monde et à toute heure du jour. La seule garde qui soit à craindre, est composée d'un jeune tigre de trois mois et demi à peine, d'un grand tigre sauvage et de sa mare, cette fameuse Louison qui a donné tant de fil à retordre au colonel Barclay. Ces trois animaux sont doués d'un instinct merveilleux; mais il est aisé de les surprendre à l'heure de la sieste et de les enfermer.
«Baber et moi, tantôt séparément, tantôt ensemble, nous avons examiné avec soin la disposition du palais et de ses issues, et fait notre plan de campagne. Il me paraît impossible que le soi-disant maharajah puisse s'échapper, quelle que soit sa force physique, qui est vraiment prodigieuse, et quel que soit son sang-froid.
«Si j'ai pris soin, mylord, de ne pas mêler le nom de Votre Seigneurie à ceux de M. Baber et d'autres gentlemen de même farine, je n'ai pas voulu non plus qu'on pût m'attribuer, en cas d'insuccès, une part quelconque de l'affaire. Ce n'est pas que je ne sois toujours prêt à exécuter, consilio manuque, tout ce qu'il plaira à Votre Seigneurie de m'ordonner dans l'intérêt du gouvernement de la Reine, notre gracieuse souveraine; mais ici il n'est pas nécessaire de pousser si loin le zèle. Grâce au ciel, Baber et ses complices feront tout à eux seuls, et je ne tremperai pas les mains d'un loyal Anglais dans un meurtre que la morale publique réprouve bien que la politique le commande.
«En revanche, je me suis réservé la prise de possession de Bhagavapour au nom de Votre Seigneurie. Je profiterai du trouble qui suivra la mort de Corcoran pour annoncer l'arrivée prochaine de l'armée anglaise. Je connais ce peuple. Corcoran mort, nul n'osera résister, et tous ses desseins périront avec lui. Quant à la veuve et au jeune héritier présomptif, ils seront, comme disent les Français, expropriés pour cause d'utilité publique.
«J'espère que le prochain courrier apportera de bonnes nouvelles à Calcutta, et j'ose, mylord, supplier Votre Seigneurie de croire aux respects les plus profonds.
«De son très-loyal, très-obéissant
«et très-dévoué serviteur,
«GEORGE-WILLIAM DOUBLEFACE
«(alias SCIPIO RUSKAERT).»
«P.S. Votre Seigneurie ne sera pas étonnée, j'ose le croire, si j'ai dû porter à un million de roupies le crédit qu'elle a daigné m'accorder sur la maison Smith, Henderson and Co, de Bombay. Votre Seigneurie n'ignore pas que les investigations de toute espèce auxquelles je me suis livré par ses ordres coûtent fort cher, et que, de toutes les marchandises connues, la trahison est la plus précieuse, bien qu'elle