L'île de sable. Emile Chevalier

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L'île de sable - Emile Chevalier

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qu'il vaudrait mieux y aller tout de suite. Si mon oncle et tuteur rentre, dans l'après-dîner, il ne te sera guère possible de quitter le castel, nourrice.

      – De vrai, ma fille, vous raisonnez comme un ange; je vais prendre une mante et vite porter à cette pauvre femme les herbages et potions qu'a prescrits le chirurgien-barbier.

      Ce disant, la vieille Normande se leva de son siège et sortit.

      – Ah! exclama joyeusement Laure, dès que sa «duègne,» comme elle l'appelait, eut laissé retomber la portière de l'appartement. Ah! je suis donc libre, enfin! Quelques minutes de plus et peut-être… Après tout, Catherine est si indulgente pour moi! elle n'en aurait soufflé mot à monseigneur de la Roche. Il ne tardera moult à revenir et ce Jean de Ganay avec lui… Quel ennui! Mais elle aussi ne tardera moult à venir, elle viendra avant eux, ma gentille messagère… Quel bonheur!

      Bondissant de gaieté, la nièce du marquis courut à une étroite croisée en ogive, garnie de vitraux coloriés, et souleva le châssis inférieur. Un amoureux rayon de soleil l'enveloppa sur-le-champ dans les ondes de sa lumière éclatante, et s'étendit follement sur le parquet.

      Pendant vingt minutes, Laure de Kerskoên, accoudée à l'entablement de la fenêtre, interrogea l'étendue de la voûte azurée, en effeuillant les corolles d'une adorable méditation. Elle commençait toutefois à s'impatienter, quand au nord apparut un point noir.

      – Adresse! ma tendre Adresse! murmura la jeune fille.

      Le point grossissait insensiblement, prenait des proportions, des formes sveltes et élancées. C'était une colombe fendant l'atmosphère à tire-d'ailes. Elle approche, elle approche; déjà on peut distinguer, son blanc plumage et son col léger que ceint un cercle vert.

      – O chère Adresse! répéta Laure, c'est bien toi; je ne m'étais pas trompée!

      Comme un pilote habile, reconnaissant le port après une périlleuse traversée, l'oiseau double d'ardeur dès qu'il aperçoit la délicieuse tête de Laure, encadrée dans l'embrasure de la fenêtre. Il a franchi l'enceinte du castel, plane sur les remparts extérieurs, et ne tardera pas à recevoir le prix de sa course, lorsque, soudain, une détonation se fait entendre, et la demoiselle de Kerskoên pâlit, puis pousse un cri perçant. Toutefois, bientôt, elle recouvre tout son sang-froid. Alors, elle projette son corps en dehors de la croisée, et voit le volatile, battant des ailes, désespérément accroché aux rinceaux d'une moulure, à quelques pieds au-dessous d'elle. Au bas, sur le mur de ronde, des arquebusiers rient à gorge déployée et félicitent l'un de leurs compaings, dont l'arme meurtrière a blessé l'innocente créature. Ravi de sa dextérité, le soldat rit plus fort que les autres. Mais à la vue de la nièce de leur seigneur, les arquebusiers se taisent et s'éloignent. La jeune châtelaine peut alors, sans crainte d'être surprise, se baisser davantage, allonger le bras, saisir l'infortunée colombe. Elle la prend doucement, l'attire à elle, et retourne à son siège. L'oiseau avait la cuisse cassée. Laure ne put retenir ses larmes.

      – Pauvre chérie! dit-elle, d'une voix entrecoupée, elle ne guérira jamais…

      Pourtant, elle lava la plaie avec soin, retira des chairs meurtries le duvet sanglant qui les souillait, et, après s'être assurée que le plomb n'avait fait qu'écorcher quelques tendons secondaires, elle enleva du cou de la colombe un ruban vert, et la porta douillettement sur son lit.

      – Notre-Dame de Bon-Secours, disait-elle, ayez pitié de ma mignonnette Adresse! Je brûlerai en votre honneur quatre gros cierges de cire parfumée, et donnerai une belle nappe de toile de Flandres pour votre autel, si me la conservez en vie et santé; sans quoi, ferai occire le scélérat d'arquebusier qui lui aura baillé la mort!

      Cette invocation terminée, Laure de Kerskoên déroula le ruban qu'elle avait glissé dans son corsage, l'introduisit dans un flacon de bronze pendu à sa ceinture par une chaînette de même métal et l'en retira au bout de cinq secondes.

      La couleur primitive avait disparu. Il était jaune et marqué de caractères brunâtres.

      En un clin d'oeil, la jeune fille eut dévoré ces caractères, et tous ses membres frémirent d'épouvante.

      A cet instant, le son d'une trompette éveilla les échos du manoir. Laure se précipita à la fenêtre, ses regards se rivèrent sur l'esplanade qui longeait le pont-levis de l'entrée principale.

      – Le marquis de la Roche et Jean de Ganay! fit-elle avec effroi… Sainte Vierge! Bertrand est perdu!

      III. LE MANOIR

      Bâti sur le plateau d'un rocher abrupt, le manoir de la Roche était une des plus redoutables forteresses de la Bretagne. Sa configuration générale ressemblait à celle d'un trapèze, dont l'axe se dirigeait du sud-ouest au nord-ouest, et dont le petit côté s'étendait au nord-est.

      Cette configuration était décrite par une enceinte de remparts élevés de trente pieds. Derrière, on apercevait le château proprement dit. Quatre grosses ailes, en pierres de taille, reliées entre elles par des tours carrées, le composaient. Derrière encore, au centre d'une vaste cour, s'élançait, à vingt toises de hauteur, la citadelle, sorte de donjon octogonal couronné d'un diadème de tourelles à encorbellement. C'était là qu'on déposait les armes, les munitions, qu'on enfermait les prisonniers de guerre, qu'on se réfugiait dans les cas désespérés. Un fossé profond, taillé en biseau, dans le roc vif, et aux parois hérissées de pointes de fer, entourait le donjon à son pied. Cinq portes y conduisaient: les deux premières situées, sous une voûte, dans le rempart extérieur et séparées par une herse intermédiaire, les deux suivantes établies dans le corps de l'édifice habité, également séparées par une herse intermédiaire, et la cinquième pratiquée à la base du donjon. Nul fossé de circonvallation ne longeait les premières fortifications, posées à même sur des rochers perpendiculaires d'une escalade impossible. On ne pouvait arriver au château que par un sentier en zigzag, incrusté, pour ainsi dire, dans le flanc de la montagne et qui menait à un pont-levis sous lequel on avait creusé un puits très-profonds. Deux masses de granit, en forme de demi-lunes, pourvues de nombreux créneaux et de barbacanes, défendaient ce pont.

      Le château de la Roche avait été construit au treizième siècle par Aymon de la Roche à son retour des croisades. C'est assez dire que le style du monument appartenait à l'architecture féodale.

      Dès que le cor eut sonné, un archer parut sur la plate-forme de la porte.

      – Bretagne et Navarre! lui cria le marquis.

      Aussitôt on entendit un grincement de chaînes sur des treuils, et le pont s'abaissa bruyamment. La cavalcade entra, le seigneur de la Roche en tête. Arrivé dans la cour d'honneur, il s'arrêta, donna quelques ordres concernant le captif, sauta, de cheval et fit signe à son écuyer de le suivre.– Prenant un large escalier, ils traversèrent bientôt la salle d'armes, et pénétrèrent dans une pièce déplus étroite dimension, contiguë à cette salle.

      C'était la chambre du marquis de la Roche-Gommard.

      Elle avait l'air bien sombre et bien austère, cette chambre!

      On eût dit de la cellule d'un dominicain.

      Rien pour flatter le regard….. Mais l'ameublement consistait en un lit de camp simplement couvert d'une peau d'ours, deux tables chargées de livres, cartes, mappemondes, instruments de physique et d'astronomie, quelques escabeaux et une cassette scellée dans la muraille blanchie à la chaux. Le seul ornement digne d'attention était un grand christ en bois noir, d'une exquise

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