La comédie de la mort. Theophile Gautier
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Et je me survis seul,
Je promène avec moi les dépouilles glacées
De mes illusions, charmantes trépassées
Dont je suis le linceul.
Je suis trop jeune encor, je veux aimer et vivre,
O mort… et je ne puis me résoudre à te suivre
Dans le sombre chemin;
Je n’ai pas eu le temps de bâtir la colonne
Où la gloire viendra suspendre ma couronne;
O mort, reviens demain!
Vierge aux beaux seins d’albâtre, épargne ton poëte,
Souviens-toi que c’est moi qui le premier t’ai faite
Plus belle que le jour;
J’ai changé ton teint vert en pâleur diaphane,
Sous de beaux cheveux noirs j’ai caché ton vieux crâne,
Et je t’ai fait la cour.
Laisse-moi vivre encor, je dirai tes louanges,
Pour orner tes palais, je sculpterai des anges,
Je forgerai des croix;
Je ferai dans l’église et dans le cimetière
Fondre le marbre en pleurs et se plaindre la pierre
Comme au tombeau des rois!
Je te consacrerai mes chansons les plus belles:
Pour toi j’aurai toujours des bouquets d’immortelles
Et des fleurs sans parfum.
J’ai planté mon jardin, ô mort, avec tes arbres;
L’if, le buis, le cyprès y croisent sur les marbres
Leurs rameaux d’un vert brun.
J’ai dit aux belles fleurs, doux honneur du parterre,
Au lis majestueux ouvrant son blanc cratère,
A la tulipe d’or,
A la rose de mai que le rossignol anime,
J’ai dit au dahlia, j’ai dit au chrysanthème,
A bien d’autres encor.
Ne croissez pas ici! cherchez une autre terre,
Frais amours du printemps; pour ce jardin austère
Votre éclat est trop vif:
Le houx vous blesserait de ses pointes aiguës,
Et vous boiriez dans l’air le poison des ciguës,
L’odeur âcre de l’if.
Ne m’abandonne pas, ô ma mère, ô nature,
Tu dois une jeunesse à toute créature,
A toute âme un amour;
Je suis jeune et je sens le froid de la vieillesse,
Je ne puis rien aimer. Je veux une jeunesse,
N’eût-elle qu’un seul jour.
Ne me sois pas marâtre, ô nature chérie,
Redonne un peu de sève à la plante flétrie
Qui ne veut pas mourir;
Les torrents de mes yeux ont noyé sous leur pluie
Son bouton tout rongé que nul soleil n’essuie,
Et qui ne peut s’ouvrir.
Air vierge, air de cristal, eau principe du monde,
Terre qui nourris tout, et toi flamme féconde,
Rayon de l’oeil de Dieu,
Ne laissez pas mourir, vous qui donnez la vie,
La pauvre fleur qui penche et qui n’a d’autre envie
Que de fleurir un peu!
Etoiles, qui d’en haut voyez valser les mondes,
Faites pleuvoir sur moi, de vos paupières blondes,
Vos pleurs de diamant;
Lune, lis de la nuit, fleur du divin parterre,
Verse-moi tes rayons, ô blanche solitaire,
Du fond du firmament!
Oeil ouvert sans repos au milieu de l’espace,
Perce, soleil puissant, ce nuage qui passe!
Que je te voie encor;
Aigles, vous qui fouettez le ciel à grands coups d’ailes:
Griffons, au vol de feu, rapides hirondelles,
Prêtez-moi votre essor!
Vents, qui prenez aux fleurs leurs âmes parfumées
Et les aveux d’amour aux bouches bien aimées,
Air sauvage des monts,
Encor tout imprégné des senteurs du melèze,
Brise de l’Océan où l’on respire à l’aise,
Emplissez mes poumons!
Avril, pour m’y coucher, m’a fait un tapis d’herbe;
Le lilas sur mon front s’épanouit en gerbe,
Nous sommes au printemps.
Prenez-moi dans vos bras, doux rêves du poëte,
Entre vos seins polis, posez ma pauvre tête
Et bercez-moi longtemps.
Loin de moi, cauchemars, spectres des nuits! Les roses,
Les femmes, les chansons, toutes les belles choses
Et tous les beaux amours,
Voilà ce qu’il me faut. Salut, ô muse antique,
Muse au frais laurier vert, à la blanche tunique
Plus jeune tous les jours!
Brune aux yeux de lotus, blonde à paupière noire,
O Grecque de Milet, sur l’escabeau d’ivoire
Pose tes beaux pieds nus,
Que d’un nectar vermeil la coupe se couronne!
Je bois à ta beauté d’abord, blanche Théone,
Puis aux dieux inconnus.
Ta gorge est plus lascive et plus souple que l’onde;
Le lait n’est pas si pur et la pomme est moins ronde.
Allons, un beau baiser,
Hâtons-nous, hâtons-nous. Notre vie, ô Théone,
Est un cheval ailé que le temps éperonne;
Hâtons-nous d’en user.
Chantons Io, Péan! Mais quelle est cette femme
Si pâle sous son voile? Ah! c’est toi, vieille infâme,
Je vois ton crâne ras;
Je vois tes grands yeux creux, prostituée immonde,
Courtisane éternelle environnant le monde
Avec tes maigres bras!
Le Nuage
Dans son jardin la sultane se baigne,
Elle a quitté son dernier vêtement;
Et délivrés des morsures du peigne
Ses grands cheveux baisent son dos charmant.
Par son vitrail le sultan la regarde,
Et caressant sa barbe avec sa main,
Il dit: L’eunuque en sa tour fait la garde
Et nul hors moi ne la voit dans son bain.
Moi je la vois, lui