Le Mariage de Mademoiselle Gimel, Dactylographe. Rene Bazin

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Le Mariage de Mademoiselle Gimel, Dactylographe - Rene  Bazin

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– C'est un fonctionnaire bien modeste. Je vous garantis le consentement de ma mère, mademoiselle, et, mieux, son adoration.

      »Je le remerciai d'un regard, et je vis qu'il pâlissait, parce que le regard était doux. C'est un tendre, cet homme qui a l'air dur. Je voulais savoir une chose infiniment délicate; j'ai profité de l'émotion.

      » – Les mots que je devine, que je sens tout près de vous sont très beaux; ne les dites pas, cependant, monsieur; je voudrais qu'il n'y eût aucun mensonge entre nous. Ne me dites pas encore que vous m'aimez… Je vous parais singulière, peut-être?

      » – Non, vous me surprenez, mais délicieusement.

      » – Alors, je puis continuer et vous interroger avec une franchise complète?

      » – Oui.

      » – Même indiscrète? Je voudrais savoir une chose que vous auriez le droit de me cacher.

      »Il fronça les sourcils, et mit une ou deux minutes à prendre son parti.

      » – Allez toujours: je ne mens jamais.

      » – Eh bien! je voudrais savoir si vous avez souvent dit à d'autres femmes ce que vous me diriez à moi-même, tout de suite, si je ne vous arrêtais pas.

      » – Non, vous n'êtes pas la première à qui j'ai dit: «Je vous aime»; je ne veux pas me faire meilleur que je ne suis; je vous jure, pourtant, que je ne vous aurai pas été souvent infidèle avant de vous connaître, et que, si nous étions mariés…

      » – Qu'en savez-vous?

      » – J'en réponds, je serais l'ami qui ne varie pas. J'ai l'habitude de la consigne, et puis, ce serait facile avec vous.

      » – Facile? Je n'ai pas vu beaucoup de pièces de théâtre, monsieur; mais aucune ne disait cela. Pourtant, je vous crois… J'ai besoin de vous croire.

      »Il laissa tomber ces mots, et nous sommes allés côte à côte, l'espace de quatre arbres au moins, sans plus parler. Je suis persuadée qu'il était sincère. Quand ils sont jeunes et près de nous, ils sont très sûrs d'eux-mêmes. Puis, il m'a posé, de nouveau, deux questions:

      » – Quitteriez-vous Paris?

      » – Cela me serait très dur: je l'aime.

      » – Impossible?

      » – Non, parce que je puis aimer quelqu'un plus que mon Paris; cela, moi aussi, j'en suis sûre.

      »Puis, sans transition, impérieusement, comme s'il faisait un discours à ses hommes, il m'a dit:

      » – Je suis très militaire; mais le reste m'est moins familier. Un petit collège, puis de bonne heure dans la troupe, puis Saint-Maixent: vous comprenez qu'il me manque des cordes. Ainsi, je vous avoue que je sais mal la religion. Mais je ne demande pas mieux que de l'apprendre de vous, parce que j'ai des camarades que j'estime beaucoup, que j'estime le plus, et qui sont fervents. Ma mère est une chrétienne admirable. Que pensez vous là-dessus?

      »Il a fallu répondre. J'étais contente qu'il fût meilleur que moi, qui n'ai pas ses excuses, et qui suis de médiocre pratique… Des excuses, j'en ai peut-être d'autres, en y songeant bien: j'ai maman, qui n'est guère dévote; j'ai la vie d'employée, qui n'a pas beaucoup de ces exemples-là autour d'elle… J'ai promis d'instruire M. Louis Morand. Mais il faudra d'abord former le professeur, qui n'est pas de premier ordre… Je ne puis pas dire combien j'étais heureuse de cette causerie à plein cœur, sans l'ombre d'une hypocrisie de part ou d'autre. Mon grand Paris s'était fait presque silencieux: on ne peut pas lui demander le silence complet. L'air venait du Bois, si doux qu'à le respirer je me sentais m'attendrir. M. Morand, quelquefois, suivait de l'œil les nuages roses, et leur souriait. J'ai trouvé cela dangereux, pour une petite Evelyne Gimel qui n'aura pas de conseil véritable, dans cette grave affaire, et qui a beaucoup de mal déjà à prendre quarante-huit heures de réflexion. J'ai rompu cette mélancolie d'amour qui nous prenait tous deux. J'ai demandé:

      » – Où avez-vous fait l'exercice, ce matin, monsieur?

      » – A Issy-les-Moulineaux.

      » – Vous voulez dire Issy-les-Aéroplanes?

      » – Justement, j'en ai vu deux.

      » – Comme j'aurais voulu être là! Ma passion! J'achète tous les jours un journal pour savoir quand nous volerons. Qui était-ce? Delagrange? Malécot? Ferber? la dame aviatrice?

      » – Aucun d'eux, mais des nouveaux, des tout jeunes, qui se sont lancés en l'air, portés par des ailes, en toile très fine, qui ressemblaient à celles d'un papillon.

      » – Contez-moi cela!

      » – J'aimerais mieux vous le raconter demain…

      »Il avait l'air si grave que j'ai bien vu que mon rire, à moi, sonnait faux. Il avait tant de bon amour dans les yeux que j'ai dit oui. J'ai promis de revenir, pour la dernière fois.»

      Jeudi, 18 juillet.

      «C'est le troisième soir de mon amour. Hélas! le dernier de ma joie! Tout est brisé. J'écris ceci à je ne sais quelle heure de la nuit, pendant que madame Gimel – il faut que je l'appelle ainsi à présent – pleure, elle aussi, et souffre presque autant que moi.

      »Cela débutait si bien, mon amour! Ce soir encore, à six heures dix, sur la terrasse que nous avions choisie pour nos accordailles, il m'attendait, lui, et il avait, comme moi, toute une marée montante de pensées dans le cœur. Je ne lui avais pas dit que je commençais à l'aimer; j'allais le lui dire; il ne me faisait plus peur. En sortant de la banque, je regarde en l'air, et je reçois sur la joue une goutte d'eau: il pleuvait. Un autre jour, tous les jours, j'aurais été furieuse, car j'étais sans parapluie; eh bien! j'ai étendu mes dix doigts, las d'avoir tapoté les touches de ma machine, et j'ai dit, je me rappelle:

      » – J'arriverai fripée s'il le faut, mais cela ne me fait plus rien; il m'aime, à présent, et moi, je vais lui dire que je l'aime!

      »Pourquoi? C'est le secret des mots d'hier, des mots qui sont des graines et qui lèvent leurs deux premières feuilles dans une nuit. Et je ne suis pas allée au rendez-vous en prenant des détours, non, mais tout droit, sous la bruine qui tombait et que j'aurais voulu qu'il pût boire sur ma joue. Lui, il était à son poste de guetteur; je voyais sa haute silhouette, de loin, au-dessus de la balustrade blanche, entre deux troncs d'arbres; et puis, j'ai vu son visage immobile; nous étions attirés l'un par l'autre, et moi seule j'avançais; j'ai vu ses yeux qui étaient tout pleins de moi; j'ai monté; personne n'était là que nous; j'ai couru, et j'ai dit:

      » – Je vous aime!

      »Alors, oh! alors, ses yeux se sont emplis de larmes, subitement. Et, lui pleurant, moi presque, sous la pluie, dans ces Tuileries désertes, nous étions infiniment heureux. Je crois que nous marchions très doucement, mais je ne suis pas sûre. Nous étions, dans nos cœurs, fiancés. Il m'a regardée longtemps, sans mot dire, ses yeux fermes, ses yeux de commandement et de justice fixés sur les miens, et je voyais trembler, au coin de ses lèvres, des mots d'amour qu'il était trop ému pour prononcer. Il était devenu muet.

      » – J'ai tout compris, monsieur, mais il pleut. Si nous rentrions?

      »Une pluie véritable tombait. J'avais dit étourdiment: si nous rentrions?

      »Mais

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