Les soirées de l'orchestre. Hector Berlioz
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Les soirées de l'orchestre - Hector Berlioz страница 5
L'orgueil, peut-être, t'aura séduit… quelque dignité bouffie… quelque titre bien vain… Je m'y perds.
Quoi qu'il en soit, retiens bien ceci: tu as manqué de noblesse, tu as manqué de fierté, tu as manqué de foi. L'homme, l'artiste et l'ami sont également déchus à mes yeux. Je ne saurais accorder mes affections qu'à des gens de cœur, incapables d'une action honteuse; tu n'es pas de ceux-là, mon amitié n'est plus à toi. Je t'ai donné de l'argent, tu as voulu me le rendre; nous sommes quittes. Je vais partir de Paris; dans un mois je passerai à Florence; oublie que tu m'as connu et ne cherche pas à me voir. Car, fût-ce le jour même de ton succès, devant le peuple, devant les princes, et devant l'assemblée bien autrement imposante pour moi de tes cinq cents artistes, si tu m'abordais, je te tournerais le dos.
ALPHONSO A BENVENUTO
Oui, Cellini, c'est vrai. Au grand-duc je dois une impardonnable humiliation, à toi je dois ma célébrité, ma fortune, et peut-être ma vie. J'avais juré que je me vengerais de lui, je ne l'ai pas fait. Je t'avais promis solennellement de ne jamais accepter de sa main ni travaux, ni honneurs; je n'ai pas tenu parole. C'est à Ferrare que Francesca a été entendue (grâce à toi) et applaudie pour la première fois; c'est à Florence qu'elle a été traitée d'ouvrage dénué de sens et de raison. Et cependant Ferrare, qui m'a demandé ma nouvelle composition, ne l'a point obtenue, et c'est au grand-duc que j'en fais hommage. Oui, les Toscans, jadis si dédaigneux à mon égard, se réjouissent de la préférence que je leur accorde; ils en sont fiers; leur fanatisme pour moi dépasse de bien loin tout ce que tu me racontes de celui des Français.
Une véritable émigration se prépare dans la plupart des villes toscanes. Les Pisans et les Siennois eux-mêmes, oubliant leurs vieilles haines, implorent d'avance, pour le grand jour, l'hospitalité florentine. Côme, ravi du succès de celui qu'il appelle son artiste, fonde en outre de brillantes espérances sur les résultats que ce rapprochement des trois populations rivales peut avoir pour sa politique et son gouvernement. Il m'accable de prévenances et de flatteries. Il a donné hier, en mon honneur, une magnifique collation au palais de Pitti, où toutes les familles nobles de la ville se trouvaient réunies. La belle comtesse de Vallombrosa m'a prodigué ses plus doux sourires. La grande-duchesse m'a fait l'honneur de chanter un madrigal avec moi. Della Viola est l'homme du jour, l'homme de Florence, l'homme du grand-duc; il n'y a que lui.
Je suis bien coupable, n'est-ce pas, bien méprisable, bien vil? Eh bien! Cellini, si tu passes à Florence le 28 juillet prochain, attends-moi de huit à neuf heures du soir devant la porte du Baptistaire, j'irai t'y chercher. Et si, dès les premiers mots, je ne me justifie pas complétement de tous les griefs que tu me reproches, si je ne te donne pas de ma conduite une explication dont tu puisses de tout point t'avouer satisfait, alors redouble de mépris, traite-moi comme le dernier des hommes, foule-moi aux pieds, frappe-moi de ton fouet, crache-moi au visage, je reconnais d'avance que je l'aurai mérité. Jusque-là, garde-moi ton amitié: tu verras bientôt que je n'en fus jamais plus digne.
A toi, Alfonso della Viola.
Le 28 juillet au soir, un homme de haute taille, à l'air sombre et mécontent, se dirigeait à travers les rues de Florence, vers la place du Grand-Duc. Arrivé devant la statue en bronze de Persée, il s'arrêta et la considéra quelque temps dans le plus profond recueillement: c'était Benvenuto. Bien que la réponse et les protestations d'Alfonso eussent fait peu d'impression sur son esprit, il avait été longtemps uni au jeune compositeur par une amitié trop sincère et trop vive, pour qu'elle pût ainsi en quelques jours s'effacer à tout jamais. Aussi ne s'était-il pas senti le courage de refuser d'entendre ce que della Viola pouvait alléguer pour sa justification; et c'est en se rendant au Baptistaire, où Alfonso devait venir le rejoindre, que Cellini avait voulu revoir, après sa longue absence, le chef-d'œuvre qui lui coûta naguère tant de fatigues et de chagrins. La place et les rues adjacentes étaient désertes, le silence le plus profond régnait dans ce quartier, d'ordinaire si bruyant et si populeux. L'artiste contemplait son immortel ouvrage, en se demandant si l'obscurité et une intelligence commune n'eussent pas été préférables pour lui à la gloire et au génie.
– Que ne suis-je un bouvier de Nettuno ou de Porto d'Anzio! pensait-il; semblable aux animaux confiés à ma garde, je mènerais une existence grossière, monotone, mais inaccessible au moins aux agitations qui, depuis mon enfance, ont tourmenté ma vie. Des rivaux perfides et jaloux… des princes injustes ou ingrats… des critiques acharnés… des flatteurs imbéciles… des alternatives incessantes de succès et de revers, de splendeur et de misère… des travaux excessifs et toujours renaissants… jamais de repos, de bien-être, de loisirs… user son corps comme un mercenaire et sentir constamment son âme transir ou brûler… est-ce là vivre?..
Les exclamations bruyantes de trois jeunes artisans, qui débouchaient rapidement sur la place, vinrent interrompre sa méditation.
– Six florins! disait l'un, c'est cher.
– En vérité, en eût-il demandé dix, répliqua l'autre, il eût bien fallu en passer par là. Ces maudits Pisans ont pris toutes les places. D'ailleurs, pense donc, Antonio, que la maison du jardinier n'est qu'à vingt pas du pavillon; assis sur le toit, nous pourrons entendre et voir à merveille: la porte du petit canal souterrain sera ouverte et nous arriverons sans difficulté.
– Bah! ajouta le troisième, pour entendre ça, nous pouvons bien jeûner un peu pendant quelques semaines. Vous savez l'effet qu'a produit hier la répétition. La cour seule y avait été admise; le grand-duc et sa suite n'ont cessé d'applaudir; les exécutants ont porté della Viola en triomphe, et enfin, dans son extase, la comtesse de Vallombrosa l'a embrassé: ce sera miraculeux.
– Mais voyez donc comme les rues sont dépeuplées; toute la ville est déjà réunie au palais Pitti. C'est le moment. Courons! courons!
Cellini apprit seulement alors qu'il s'agissait de la grande fête musicale, dont le jour et l'heure étaient arrivés. Cette circonstance ne s'accordait guère avec le choix qu'avait fait Alfonso de cette soirée pour son rendez-vous. Comment en un pareil moment, le maestro pourrait-il abandonner son orchestre et quitter le poste important où l'attachait un si grand intérêt? c'était difficile à concevoir.
Le ciseleur, néanmoins, se rendit au Baptistaire, où il trouva ses deux élèves Paolo et Ascanio, et des chevaux; il devait partir le soir même pour Livourne, et de là s'embarquer pour Naples le lendemain.
Il attendait à peine depuis quelques minutes, quand Alfonso, le visage pâle et les yeux ardents, se présenta devant lui avec une sorte de calme affecté, qui ne lui était pas ordinaire.
– Cellini! tu es venu, merci.
– Eh bien?
– C'est ce soir!
– Je le sais; mais parle, j'attends l'explication que tu m'as promise.
– Le palais Pitti, les jardins, les cours, sont encombrés. La foule se presse sur les murs, dans les bassins à demi pleins d'eau, sur les toits, sur les arbres, partout.
– Je le sais.
– Les Pisans sont venus, les Siennois sont venus.
– Je le