La Comédie humaine - Volume VII. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume VII - Honore de Balzac

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nouvelles qui s'y produisaient.

      Mademoiselle Cormon, espèce de raison sociale sous laquelle se comprenait une imposante coterie, devait donc être le point de mire de deux ambitieux aussi profonds que le chevalier de Valois et du Bousquier. Pour l'un et pour l'autre, là était la Députation; et par suite, la pairie pour le noble, une Recette Générale pour le fournisseur. Un salon dominateur se crée aussi difficilement en province qu'à Paris, et celui-là se trouvait tout créé. Épouser mademoiselle Cormon, c'était régner sur Alençon. Athanase, le seul des trois prétendants à la main de la vieille fille qui ne calculât plus rien, aimait alors la personne autant que la fortune. Pour employer le jargon du jour, n'y avait-il pas un singulier drame dans la situation de ces quatre personnages? Ne se rencontrait-il pas quelque chose de bizarre dans ces trois rivalités silencieusement pressées autour d'une vieille fille qui ne les devinait pas malgré un effroyable et légitime désir de se marier? Mais quoique toutes ces circonstances rendent le célibat de cette fille une chose extraordinaire, il n'est pas difficile d'expliquer comment et pourquoi, malgré sa fortune et ses trois amoureux, elle était encore à marier. D'abord, selon la jurisprudence de sa maison, mademoiselle Cormon avait toujours eu le désir d'épouser un gentilhomme; mais, de 1789 à 1799, les circonstances furent très-défavorables à ses prétentions. Si elle voulait être femme de condition, elle avait une horrible peur du tribunal révolutionnaire. Ces deux sentiments, égaux en force, la rendirent stationnaire par une loi, vraie en esthétique aussi bien qu'en statique. Cet état d'incertitude plaît d'ailleurs aux filles tant qu'elles se croient jeunes et en droit de choisir un mari. La France sait que le système politique suivi par Napoléon eut pour résultat de faire beaucoup de veuves. Sous ce règne, les héritières furent dans un nombre très-disproportionné avec celui des garçons à marier. Quand le Consulat ramena l'ordre intérieur, les difficultés extérieures rendirent le mariage de mademoiselle Cormon tout aussi difficile à conclure que par le passé. Si, d'une part, Rose-Marie-Victoire se refusait à épouser un vieillard; de l'autre, la crainte du ridicule et les circonstances lui interdisaient d'épouser un très-jeune homme: or, les familles mariaient de fort bonne heure leurs enfants afin de les soustraire aux envahissements de la conscription. Enfin, par entêtement de propriétaire, elle n'aurait pas non plus épousé un soldat; car elle ne prenait pas un homme pour le rendre à l'Empereur, elle voulait le garder pour elle seule. De 1804 à 1815, il lui fut donc impossible de lutter avec les jeunes filles qui se disputaient les partis convenables, raréfiés par le canon. Outre sa prédilection pour la noblesse, mademoiselle Cormon eut la manie très-excusable de vouloir être aimée pour elle. Vous ne sauriez croire jusqu'où l'avait menée ce désir. Elle avait employé son esprit à tendre mille piéges à ses adorateurs afin d'éprouver leurs sentiments. Ses chausses-trappes furent si bien tendues que les infortunés s'y prirent tous, et succombèrent dans les épreuves baroques qu'elle leur imposait à leur insu. Mademoiselle Cormon ne les étudiait pas, elle les espionnait. Un mot dit à la légère, une plaisanterie que souvent elle comprenait mal, suffisait pour lui faire rejeter ces postulants comme indignes: celui-ci n'avait ni cœur ni délicatesse, celui-là mentait et n'était pas chrétien; l'un voulait raser ses futaies et battre monnaie sous le poêle du mariage, l'autre n'était pas de caractère à la rendre heureuse; là, elle devinait quelque goutte héréditaire; ici, des antécédents immoraux l'effrayaient; comme l'Église, elle exigeait un beau prêtre pour ses autels; puis, elle voulait être épousée pour sa fausse laideur et ses prétendus défauts, comme les autres femmes veulent l'être pour les qualités qu'elles n'ont pas et pour d'hypothétiques beautés. L'ambition de mademoiselle Cormon prenait sa source dans les sentiments les plus délicats de la femme; elle comptait régaler son amant en lui démasquant mille vertus après le mariage, comme d'autres femmes découvrent les mille imperfections qu'elles ont soigneusement voilées; mais elle fut mal comprise: la noble fille ne rencontra que des âmes vulgaires où régnait le calcul des intérêts positifs, et qui n'entendaient rien aux beaux calculs du sentiment. Plus elle s'avança vers cette fatale époque si ingénieusement nommée la seconde jeunesse, plus sa défiance augmenta. Elle affecta de se présenter sous le jour le plus défavorable, et joua si bien son rôle, que les derniers racolés hésitèrent à lier leur sort à celui d'une personne dont le vertueux colin-maillard exigeait une étude à laquelle se livrent peu les hommes qui veulent une vertu toute faite. La crainte constante de n'être épousée que pour sa fortune la rendit inquiète, soupçonneuse outre mesure; elle courut sus aux gens riches: et les gens riches pouvaient contracter de grands mariages; elle craignait les gens pauvres auxquels elle refusait le désintéressement dont elle faisait tant de cas en une semblable affaire; en sorte que ses exclusions et les circonstances éclaircirent étrangement les hommes ainsi triés, comme pois gris sur un volet. A chaque mariage manqué, la pauvre demoiselle, amenée à mépriser les hommes, dut finir par les voir sous un faux jour. Son caractère contracta nécessairement une intime misanthropie qui jeta certaine teinte d'amertume dans sa conversation et quelque sévérité dans son regard. Son célibat détermina dans ses mœurs une rigidité croissante, car elle essayait de se perfectionner en désespoir de cause. Noble vengeance! elle tailla pour Dieu le diamant brut rejeté par l'homme. Bientôt l'opinion publique lui fut contraire, car le public accepte l'arrêt qu'une personne libre porte sur elle-même en ne se mariant pas, en manquant des partis ou les refusant. Chacun juge que ce refus est fondé sur des raisons secrètes, toujours mal interprétées. Celui-ci disait qu'elle était mal conformée; celui-là lui prêtait des défauts cachés; mais la pauvre fille était pure comme un ange, saine comme un enfant, et pleine de bonne volonté, car la nature l'avait destinée à tous les plaisirs, à tous les bonheurs, à toutes les fatigues de la maternité.

      Mademoiselle Cormon ne trouvait cependant point dans sa personne l'auxiliaire obligé de ses désirs. Elle n'avait d'autre beauté que celle-ci improprement nommée la beauté du diable, et qui consiste dans une grosse fraîcheur de jeunesse que, théologalement parlant, le diable ne saurait avoir, à moins qu'il ne faille expliquer cette expression par la constante envie qu'il a de se rafraîchir. Les pieds de l'héritière étaient larges et plats. Sa jambe, qu'elle laissait souvent voir par la manière dont, sans y entendre malice, elle relevait sa robe quand il avait plu et qu'elle sortait de chez elle ou de Saint-Léonard, ne pouvait être prise pour la jambe d'une femme; c'était une jambe nerveuse, à petit mollet saillant et dru, comme celui d'un matelot. Sa bonne grosse taille, son embonpoint de nourrice, ses bras forts et potelés, ses mains rouges, tout en elle s'harmoniait aux formes bombées, à la grasse blancheur des beautés normandes. Ses yeux d'une couleur indécise arrivaient à fleur de tête et donnaient à son visage, dont les contours arrondis n'avaient aucune noblesse, un air d'étonnement et de simplicité moutonnière qui seyait d'ailleurs à son état de vieille fille: si elle n'avait pas été innocente, elle eût semblé l'être. Son nez aquilin contrastait avec la petitesse de son front, car il est rare que cette forme de nez n'implique pas un beau front. Malgré de grosses lèvres rouges, l'indice d'une grande bonté, ce front annonçait trop peu d'idées pour que le cœur fût dirigé par l'intelligence: elle devait être bienfaisante sans grâce. Or, l'on reproche sévèrement à la vertu ses défauts, tandis qu'on est plein d'indulgence pour les qualités du vice. Ses cheveux châtains, d'une longueur extraordinaire, prêtaient à sa figure cette beauté qui résulte de la force et de l'abondance, les deux caractères principaux de sa personne. Au temps de ses prétentions, elle affectait de mettre sa figure de trois quarts pour montrer une très-jolie oreille qui se détachait bien au milieu du blanc azuré de son col et de ses tempes, rehaussé par son énorme chevelure. Vue ainsi, en habit de bal, elle pouvait paraître belle. Ses formes protubérantes, sa taille, sa santé vigoureuse arrachaient aux officiers de l'Empire cette exclamation: «Quel beau brin de fille!» Mais avec les années, l'embonpoint élaboré par une vie tranquille et sage, s'était insensiblement si mal réparti sur ce corps, qu'il en avait détruit les primitives proportions. En ce moment, aucun corset ne pouvait faire retrouver de hanches à la pauvre fille, qui semblait fondue d'une seule pièce. La jeune harmonie de son corsage n'existait plus, et son ampleur excessive faisait craindre qu'en se baissant elle ne fût emportée par ces masses supérieures; mais la nature l'avait douée d'un contre-poids naturel qui rendait inutile la mensongère précaution d'une tournure. Chez elle tout était bien vrai. En se triplant, son menton avait diminué la longueur du col et gêné le port

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