La Comédie humaine - Volume VII. Honore de Balzac

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La Comédie humaine - Volume VII - Honore de Balzac

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vint au-devant de son hôte dont la voiture fut dépouillée avec la prestesse qu'auraient pu y mettre des voleurs pressés. Elle fut remisée, la grand'porte fut fermée, et il n'y eut plus de traces de l'arrivée de monsieur de Troisville en quelques minutes. Jamais deux substances chimiques ne se marièrent avec plus de promptitude que la maison Cormon n'en mit à absorber le vicomte de Troisville. Mademoiselle, de qui le cœur battait comme à un lézard pris par un pâtre, resta héroïquement dans sa bergère, au coin du feu. Josette ouvrit la porte, et le vicomte de Troisville suivi de l'abbé de Sponde se produisit aux regards de la vieille fille.

      — Ma nièce, voici monsieur le vicomte de Troisville, le petit-fils d'un de mes camarades de collége. — Monsieur de Troisville, voici ma nièce, mademoiselle Cormon.

      — Ah! le bon oncle, comme il pose bien la question! pensa Rose-Marie-Victoire.

      Le vicomte de Troisville était, pour le peindre en deux mots, du Bousquier gentilhomme. Il y avait entre eux toute la différence qui sépare le genre vulgaire et le genre noble. S'ils avaient été là tous deux, il eût été impossible au libéral le plus enragé de nier l'aristocratie. La force du vicomte avait toute la distinction de l'élégance; ses formes conservaient une dignité magnifique; il avait des yeux bleus et des cheveux noirs, un teint olivâtre, et il ne devait pas avoir plus de quarante-six ans. Vous eussiez dit un bel Espagnol conservé dans les glaces de la Russie. Les manières, la démarche, la pose, tout annonçait un diplomate qui avait vu l'Europe. La mise était celle d'un homme comme il faut en voyage. Monsieur de Troisville paraissait fatigué, l'abbé lui offrit de passer dans la chambre qui lui était destinée, et fut ébahi quand sa nièce ouvrit le boudoir transformé en chambre à coucher. Mademoiselle Cormon et son oncle laissèrent alors le noble étranger vaquer à ses affaires avec l'aide de Jacquelin, qui lui apporta tous les paquets dont il avait besoin. L'abbé de Sponde et sa nièce allèrent se promener le long de la Brillante, en attendant que monsieur de Troisville eût fini sa toilette. Quoique l'abbé de Sponde fût, par un singulier hasard, plus distrait qu'à l'ordinaire, mademoiselle Cormon ne fut pas moins préoccupée que lui. Tous deux ils marchèrent en silence. La vieille fille n'avait jamais rencontré d'homme aussi séduisant que l'était l'olympien vicomte. Elle ne pouvait se dire à l'allemande: — Voilà mon idéal! mais elle se sentait prise de la tête aux pieds, et se disait: — Voilà mon affaire! Tout à coup elle vola chez Mariette pour savoir si le dîner pouvait subir un retard sans rien perdre de sa bonté.

      — Mon oncle, ce monsieur de Troisville est bien aimable, dit-elle en revenant.

      — Mais, ma fille, il n'a encore rien dit, fit en riant l'abbé.

      — Mais cela se voit dans la tournure, sur la physionomie. Est-il garçon?

      — Je n'en sais rien, répondit l'abbé qui pensait à une discussion sur la grâce émue entre l'abbé Couturier et lui. Monsieur de Troisville m'a écrit qu'il désirait acquérir une maison ici. — S'il était marié il ne serait pas venu seul, reprit-il d'un air insouciant; car il n'admettait pas que sa nièce pût penser à se marier.

      — Est-il riche?

      — Il est le cadet d'une branche cadette, répondit l'oncle. Son grand-père a commandé des escadres; mais le père de ce jeune homme a fait un mauvais mariage.

      — Ce jeune homme! répéta la vieille fille. Mais il me semble, mon oncle, qu'il a bien quarante-cinq ans, dit-elle; car elle éprouvait un excessif désir de mettre leurs âges en rapport.

      — Oui, dit l'abbé. Mais à un pauvre prêtre de soixante-dix ans, Rose, un quadragénaire paraît jeune.

      En ce moment, tout Alençon savait que monsieur le vicomte de Troisville était arrivé chez mademoiselle Cormon. L'étranger rejoignit bientôt ses hôtes, et se prit à admirer la vue de la Brillante, le jardin et la maison.

      — Monsieur l'abbé, dit-il, toute mon ambition serait de trouver une habitation semblable à celle-ci. La vieille fille voulut voir une déclaration dans cette phrase, et baissa les yeux. — Vous devez bien vous y plaire, mademoiselle? reprit le vicomte.

      — Comment ne m'y plairais-je pas! elle est dans notre famille depuis l'an 1574, époque à laquelle un de nos ancêtres, intendant du duc d'Alençon, acquit ce terrain et la fit bâtir, dit mademoiselle Cormon. Elle est sur pilotis.

      Jacquelin annonça le dîner; monsieur de Troisville offrit son bras à l'heureuse fille qui tâcha de ne pas trop s'y appuyer, elle craignait encore tant d'avoir l'air de faire des avances!

      — Tout est très-harmonieux ici, dit le vicomte en s'asseyant à table.

      — Nos arbres sont pleins d'oiseaux qui nous font de la musique à bon marché; personne ne les tracasse et toutes les nuits le rossignol chante, dit mademoiselle Cormon.

      — Je parle de l'intérieur de la maison, fit observer le vicomte qui ne se donna pas la peine d'étudier mademoiselle Cormon et ne reconnut point sa nullité d'esprit. — Oui, tout y est en rapport, les tons de couleur, les meubles, la physionomie.

      — Cependant, elle nous coûte beaucoup, les impositions sont énormes, répondit l'excellente fille frappée du mot rapport.

      — Ah! les impositions sont chères ici? demanda le vicomte qui, préoccupé de ses idées, ne remarqua point le coq-à-l'âne.

      — Je ne sais pas, dit l'abbé. Ma nièce est chargée de l'administration de nos deux fortunes.

      — Les impositions sont des misères pour des personnes riches, reprit mademoiselle Cormon qui ne voulut point paraître avare. Quant aux meubles, je les laisserai comme ils sont et n'y ferai rien changer: à moins que je ne me marie; car alors il faudra que tout ici soit au goût du maître.

      — Vous êtes dans les grands principes, mademoiselle, dit en souriant le vicomte, vous ferez un heureux...

      — Jamais personne ne m'a dit un si joli mot, pensa la vieille fille.

      Le vicomte complimenta mademoiselle Cormon sur le service, sur la tenue de la maison, en avouant qu'il croyait la province arriérée, et qu'il la trouvait très-comfortable.

      — Qu'est-ce que c'est que ce mot-là, bon Dieu? pensa-t-elle. Où est le chevalier de Valois pour y répondre? Comfortable? Y a-t-il plusieurs mots là-dedans? Allons, du courage, se dit-elle, c'est peut-être un mot russe, je ne suis pas obligée d'y répondre. — Mais, reprit-elle à haute voix en se sentant la langue déliée par l'éloquence que trouvent presque toutes les créatures humaines dans les circonstances capitales, monsieur, nous avons ici la plus brillante société. La ville se réunit précisément chez moi. Vous pourrez en juger tout à l'heure, car quelques-uns de nos fidèles auront sans doute appris mon retour, et viendront me voir. Nous avons le chevalier de Valois, un seigneur de l'ancienne cour, homme d'infiniment d'esprit, de goût; puis monsieur le marquis de Gordes et mademoiselle Armande sa sœur (elle se mordit la langue et se ravisa): une fille remarquable dans son genre, ajouta-t-elle. Elle a voulu rester fille pour laisser toute sa fortune à son frère et à son neveu.

      — Ah! fit le vicomte, oui, les Gordes, je me les rappelle.

      — Alençon est très-gai, reprit la vieille fille une fois lancée. On s'y amuse beaucoup, le Receveur-Général donne des bals, le préfet est un homme aimable, monseigneur l'Évêque nous honore quelquefois de sa visite...

      — Allons, reprit en souriant le vicomte,

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