Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6. George Gordon Byron

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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6 - George Gordon Byron

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que soient tes craintes et les souffrances que tu endures, sache qu'il est pour toi un recours puissant, – les consolations de l'église et la patience, ce don du ciel. -

MANFRED

      La patience, toujours la patience! Laisse-moi: – ce mot a été inventé pour les bêtes de somme et non pour les oiseaux de proie. Répète-le aux créatures faites de ta même poussière; pour moi, je suis d'un autre ordre.

LE CHASSEUR DE CHAMOIS

      Le ciel en soit loué! je ne changerais pas avec toi, m'offrît-on l'impérissable gloire de notre Guillaume Tell. Mais quelque violent que soit ton mal, il faut le supporter, et toutes tes plaintes ne te seront d'aucun secours.

MANFRED

      Ne le supporté-je pas? – Regarde-moi, – je vis.

LE CHASSEUR DE CHAMOIS

      Ta vie est une convulsion, et non la vie d'un homme en santé.

MANFRED

      Je te le dis, homme! j'ai vécu beaucoup d'années, beaucoup de longues années qui ne sont rien comparées à celles qui me restent encore; à des siècles-des siècles-l'espace et l'éternité-la conscience de l'existence et une soif brûlante de la mort, soif que rien n'apaisera.

LE CHASSEUR DE CHAMOIS

      Pourtant, à peine si ton front annonce l'âge mûr. Je serais de beaucoup ton aîné.

MANFRED

      Penses-tu donc que l'existence dépende du tems? sans doute elle en dépend, mais nos actions en sont les époques. Les miennes ont rendu pour moi les jours et les nuits impérissables, éternels, innombrables comme les innombrables atômes des sables de la mer. Elles ont fait de ma vie un désert froid et aride, où se brisent les vagues déchaînées, mais où rien ne séjourne, rien, si ce n'est les cadavres, les débris du naufrage, les roches et les algues amères.

LE CHASSEUR DE CHAMOIS

      Hélas! il est fou-encore ne puis-je l'abandonner à lui-même.

MANFRED

      Plût au ciel que je le fusse! les visions qui viennent m'assaillir ne seraient alors qu'un rêve désordonné.

LE CHASSEUR DE CHAMOIS

      Que vois-tu ou que penses-tu voir?

MANFRED

      Moi et toi, – toi, paysan des Alpes, – tes humbles vertus, ton toit hospitalier, ton esprit patient, ton ame pieuse, libre et fière; ton respect pour toi-même, fondé sur des pensées d'innocence; tes jours de santé et tes nuits de sommeil; tes travaux ennoblis par le danger et que ne suit aucun remords; ton espérance d'une vieillesse tranquille, la paix du tombeau; une croix et une guirlande de fleurs qui s'élèveront sur l'herbe sous laquelle tu reposeras, et pour épitaphe l'amour et le souvenir de tes petits-enfans: – c'est-là ce que je vois-et si ensuite je reporte mes regards sur moi-mais il suffit-déjà mon ame était brûlée!

LE CHASSEUR DE CHAMOIS

      Et changerais-tu ton sort avec le mien?

MANFRED

      Non, mon ami, je ne voudrais pas te faire un aussi funeste présent; je ne voudrais infliger ma destinée à aucun être vivant: moi seul je puis la supporter-si affreuse qu'elle soit-moi, vivant, je puis soutenir ce qu'aucun homme ne serait capable de supposer, même en rêve, sans en mourir d'effroi.

LE CHASSEUR DE CHAMOIS

      Quoi, si pitoyable pour les maux de tes semblables, et le crime aurait noirci ton cœur! Ne parle pas de la sorte. Je ne croirai jamais qu'un homme qui nourrit des sentimens aussi généreux, ait pu assouvir sa vengeance dans le sang de ses ennemis.

MANFRED

      Oh! non, non, non! les maux que j'ai causés n'ont atteint que ceux qui m'avaient aimé, ceux que j'ai le plus aimés. Je n'ai jamais écrasé un ennemi, que dans une juste et légitime défense. – Ce sont mes embrassemens qui ont été funestes.

LE CHASSEUR DE CHAMOIS

      Que le ciel te fasse paix! Soulage ton ame par la pénitence; je dirai des prières pour toi.

MANFRED

      Elles seront inutiles. Toutefois, je te sais gré de ta commisération. Je m'en vais-il est tems, – adieu! – Tiens, prends cet or et mes remerciemens-n'ajoute rien-c'est un juste salaire-ne me suis pas… je connais le chemin, et je suis hors des pas dangereux de la montagne. – Encore une fois, reste ici; je te l'ordonne. (Manfred sort.)

      SCÈNE II

(Une vallée basse dans les Alpes. – Une cataracte.)MANFRED arrive

      Il n'est pas encore midi-les rayons de l'arc-en-ciel1 se courbent en arceaux sur le torrent qu'ils colorent de tous les feux du ciel; la colonne d'eau, tombant perpendiculairement du haut des rochers, se déroule comme une nappe d'argent et jette çà et là ses traînées d'écume bouillonnante. On dirait, agitant sa longue queue, le coursier dont il est parlé dans l'Apocalypse, ce pâle et gigantesque coursier, monté par la mort. Mes yeux seuls, en ce moment, contemplent ce tableau ravissant. Seul dans cette douce solitude, je partage avec l'esprit de la vallée l'hommage que lui rendent ses eaux. – Évoquons-le.

(Manfred prend un peu d'eau dans le creux de sa main et la jette en l'air en murmurant son évocation. Un instant après, la nymphe des Alpes se montre sous l'arc-en-ciel jeté sur le torrent.)

      Esprit ravissant! avec ta chevelure de lumière, tes yeux brillans de gloire, avec ces formes que revêtissent les filles de la terre, lorsque, dépouillant leurs charmes terrestres, elles s'élèvent à des formes surhumaines, à l'essence des purs élémens. Les couleurs de la jeunesse-vermeilles comme les joues d'un enfant endormi, bercé sur le sein palpitant de sa mère-vermeilles comme les teintes d'une rose que les derniers feux du jour déposent sur la neige vierge des hauts glaciers, comme si la terre rougissait des embrassemens du ciel; – ces couleurs teignent ton céleste aspect et éclipsent l'éclat de l'arc-en-ciel qui couronne ton front. Esprit ravissant! à travers la sérénité de tes traits où se montre le calme d'une ame qui proclame elle-même son immortalité, je lis que tu pardonneras à un fils de la terre, que daignent parfois visiter les génies mystérieux, que tu lui pardonneras d'avoir osé t'évoquer-t'appeler à lui, et d'arrêter sur toi ses regards.

LA NYMPHE

      Enfant de la terre! je te connais et je connais les pouvoirs qui sont à tes mains. Je te connais pour un homme aux pensées profondes, aux actions mauvaises ou bonnes, extrême dans le bien comme dans le mal, voué aux angoisses par ton astre fatal. J'attendais que tu m'appellasses à toi. – Que demandes-tu?

MANFRED

      Admirer ta beauté-et rien au-delà. La vue de la terre avait troublé mon esprit: j'allai me réfugier dans ses mystères et je pénétrai jusqu'aux retraites cachées de ceux qui la gouvernent; mais hélas! aucun n'a pu exaucer mes vœux. Je leur demandais ce qu'il était au-dessus de leur puissance de m'accorder: aujourd'hui j'ai cessé de les importuner.

LA NYMPHE

      Quelle est donc cette demande qui est au-dessus de la puissance des êtres les plus puissans de ceux qui dirigent le monde invisible?

MANFRED

      Une prière. – Mais pourquoi la ferais-je de nouveau? ne sera-ce pas en vain?

LA NYMPHE

      Je ne sais, parle toujours.

MANFRED

      Eh bien! je parlerai. Qu'importe une torture de plus! tu vas connaître mes souffrances. Dès ma plus tendre jeunesse, mon esprit ne sympathisait point avec les ames de mes semblables et je ne contemplais point la terre avec les yeux des hommes. Leur ambition n'était pas la mienne: le but de leur existence n'était non plus le mien. Mes joies, mes peines, mes passions, mon esprit, tout me rendit étranger à eux. Bien que revêtu de la même forme, je ne me sentis pas attiré vers la chair respirante, et refusai de me mêler à toutes les créatures

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<p>1</p>

Les rayons de l'arc-en-ciel se courbent en arceaux, etc. Cet effet est produit par les rayons du soleil sur la partie inférieure des torrens des Alpes. On dirait absolument un arc-en-ciel, et si rapproché de la terre, que l'on pourrait se promener sous sa voûte. Il se dissipe ordinairement vers midi.