Le comte de Moret. Dumas Alexandre

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Le comte de Moret - Dumas Alexandre

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de ses amis.

      – Son nom?

      Mme de Combalet hésita; elle savait la sévérité de son oncle à l'endroit des duels.

      – Mon cher oncle, dit-elle, vous savez ce que je vous ai dit: ce n'est ni un duel, ni un appel, ce n'est pas même une rencontre, les deux adversaires se sont pris de discussion à la porte de l'hôtel.

      – Mais quel est le second? Je vous demande son nom, Marie.

      – Un certain Souscarrières.

      – Souscarrières, dit Richelieu, je connais ce nom-là!

      – C'est possible, mais je puis vous affirmer, mon cher oncle, qu'il n'est coupable en rien.

      – Qui?

      – M. Souscarrières.

      Le cardinal avait tiré ses tablettes de sa poche et les consultait.

      Il parut avoir trouvé ce qu'il cherchait.

      – C'est le marquis Pisani, continua Mme de Combalet, qui a tiré son épée et qui s'est jeté sur lui comme un fou: Voiture et Brancas, qui ont été témoins tous deux du fait, quoique amis de la maison, donnent tort à Pisani.

      – C'est bien l'homme que je pensais, murmura le cardinal.

      Et il frappa sur un timbre.

      Charpentier parut.

      – Faites venir Cavois, dit le cardinal.

      – Oh! mon oncle n'allez pas arrêter ce malheureux jeune homme et lui faire son procès! s'écria, en joignant les mains, Mme de Combalet.

      – Au contraire, dit le cardinal en riant, je vais peut-être faire sa fortune.

      – Oh! ne raillez pas, mon oncle.

      – Avec vous, Marie, jamais je ne raille. Ce Souscarrières tient, à partir de ce moment, sa fortune entre les mains, et ce qu'il y a de mieux, c'est que cette fortune, il vous la devra; c'est à lui de ne pas la laisser tomber.

      Cavois entra.

      – Cavois, dit le cardinal au capitaine des gardes, à moitié endormi, vous allez aller rue des Frondeurs, entre la rue Traversière et la rue Saint-Anne; vous vous informerez, dans la maison qui fait l'angle, si là ne demeure point un certain cavalier qui se fait appeler Pierre de Bellegarde, marquis de Montbrun, sieur de Souscarrières.

      – Oui, monseigneur.

      – Et s'il y demeure et que vous le trouviez chez lui, vous lui direz que, malgré l'heure avancée de la nuit, j'aurais le plus grand plaisir de causer un instant avec lui.

      – Et s'il refusait de venir?

      – Bon! Cavois, vous n'êtes point embarrassé pour si peu, ce me semble. «De gré ou de force, il faut que je le voie, entendez-vous. Il le faut!»

      – Dans une heure, il sera aux ordres de Votre Eminence, dit Cavois en s'inclinant.

      Arrivé à la porte, le capitaine des gardes se trouva face à face avec un nouvel arrivant. A sa vue, il s'effaça avec tant de respect et de diligence qu'il était évident qu'il cédait le pas à un éminent personnage.

      Et en effet, au même moment, dans l'encadrement de la porte parut le fameux capucin du Tremblay, connu sous le nom de frère Joseph, ou d'Éminence grise!

      CHAPITRE XII.

      L'ÉMINENCE GRISE

      Le père Joseph était si bien connu pour être la seconde âme du cardinal, qu'en le voyant paraître les plus familiers serviteurs du ministre se retiraient à l'instant même, et que la présence de l'Éminence grise dans le cabinet de Richelieu semblait avoir le privilége de faire le vide autour d'elle.

      Mme de Combalet, comme les autres, subissait cette influence et n'échappait point au malaise qu'inspirait cette silencieuse apparition; en apercevant le père Joseph, elle vint donc présenter son front à baiser au cardinal en lui disant:

      – Je vous en prie, cher oncle, ne veillez pas trop tard.

      Puis elle se retira, heureuse de sortir par la porte opposée à celle qui lui avait donné entrée, afin de n'avoir pas à passer trop près du moine qui se tenait debout, immobile et muet, à moitié chemin de la distance qu'il avait à franchir pour se trouver près du cardinal.

      A l'époque où nous sommes arrivés, tous les ordres religieux, moins celui de l'Oratoire de Jésus, fondé en 1611 par le cardinal Bérulle, et confirmé en 1613 par Paul V, après une longue opposition, étaient ralliés ou à peu près au cardinal-ministre; il était le protecteur reconnu des bénédictins de Cluny, de Cîteaux et de Saint-Maur, des prémontrés, des dominicains, des carmes, et enfin de toute cette famille encapuchonnée de saint François, mineurs, minimes, franciscains, capucins, etc., etc. En récompense de cette protection, tous ces ordres, qui, sous prétexte de prédication, de mendicité, de propagande, de mission, couraient, vaguaient, rôdaient à travers le monde, faisaient pour lui une police officieuse, d'autant mieux faite que le confessionnal était la source principale de laquelle découlaient les renseignements.

      C'est de toute cette police vagabonde, qui exerçait avec le zèle enthousiaste de la reconnaissance, que le capucin Joseph, vieilli dans la diplomatie, était le chef. Comme l'eurent depuis les Sartines, les Lenoir, les Fouché, il eut le génie de l'espionnage. Son frère Leclerc du Tremblay avait été, par son influence, nommé gouverneur de la Bastille; si bien que le prisonnier espionné, dénoncé, arrêté par du Tremblay le capucin, était écroué, emprisonné, gardé par du Tremblay le gouverneur, sans compter que, s'il mourait sous les verrous, ce qui arrivait souvent, il était confessé, administré, enterré par du Tremblay le capucin, et de cette façon, une fois pris, ne sortait plus de la famille.

      Le père Joseph avait un sous-ministère partagé en quatre divisions, dont quatre capucins étaient les chefs. Il avait un secrétaire, nommé le père Ange Sabini qui était son père Joseph, à lui. Lors de son entrée en fonctions, lorsqu'il avait de longues courses à faire, il faisait ses courses à cheval, suivi du père Ange, à cheval comme lui. Mais un beau jour qu'il montait une jument, et le père Sabini un cheval entier, il arriva que les deux quadrupèdes formèrent un groupe où les capuchons des moines jouèrent un rôle si grotesque, que le père Joseph crut de sa dignité de renoncer à ce genre de locomotion; depuis il allait en litière ou en carrosse.

      Mais, dans l'exercice habituel de ses fonctions, quand il avait besoin de garder l'incognito, le père Joseph allait à pied, tirant son capuchon sur ses yeux pour n'être pas reconnu, ce qui lui était facile au milieu des moines de tous les ordres et de toutes les couleurs qui sillonnaient à cette époque les rues de Paris.

      Ce soir-là, le père Joseph avait exercé à pied.

      Le cardinal, de son œil vigilant, attendit que la première porte se fût refermée sur son capitaine des gardes, et la seconde sur sa nièce, puis, s'asseyant à son bureau et se retournant vers le père Joseph:

      – Eh bien, lui dit-il, vous avez donc quelque chose à me dire, mon cher du Tremblay?

      Le cardinal avait conservé l'habitude d'appeler le capucin par son nom de famille.

      – Oui,

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