La dégringolade. Emile Gaboriau

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La dégringolade - Emile Gaboriau

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de cette nuit…

      DEUXIÈME PARTIE

      LE GÉNÉRAL DELORGE

      I

      Un soir, en un de ces rares moments où il se départait de sa réserve et de sa froideur accoutumées, Raymond Delorge avait dit au docteur Legris:

      – Celui-là est véritablement malheureux qui n'espère plus rien. Voilà où j'en suis, moi qui n'ai pas trente ans. Et si je n'étais pas certain que la balle qui me tuerait frapperait ma pauvre mère du même coup, il y a longtemps que je me serais fait sauter la cervelle…

      Le passé de cet infortuné expliquait ce morne désespoir et ce dégoût profond de la vie.

      Son père, le général Pierre Delorge, avait été ce qu'on est convenu d'appeler un officier de fortune, c'est-à-dire un de ces soldats qui n'ont d'autre recommandation que leur mérite et leur bravoure, d'autre richesse que leur épée, et dont chaque grade est forcément le prix d'un service rendu ou d'une action d'éclat.

      Fils d'un menuisier de Poitiers, ancien volontaire de 1792, bercé de la légende glorieuse des armées de la République, Pierre Delorge, le jour même de ses dix-huit ans, s'était engagé dans un régiment de dragons.

      Son éducation était des plus bornées, mais il avait l'imagination pleine de récits de batailles, et il se sentait de la trempe de ces soldats héroïques dont lui parlait son père, et qui, à trente ans, étaient morts ou généraux de division.

      Malheureusement, on était alors en 1820.

      C'était le beau temps de la Restauration, et les fils d'artisans révolutionnaires n'étaient pas précisément en odeur de sainteté.

      En fait de guerre, Pierre Delorge ne vit que la guerre d'Espagne, où il n'eut même pas l'occasion de dégainer.

      En revanche, il avait failli se trouver compromis dans la première conjuration de Saumur, à la suite d'une dénonciation anonyme, qui l'accusait faussement d'avoir entretenu des relations suivies avec le brave et faible général Berton.

      Du moins sut-il mettre à profit ces longues années de paix et les loisirs forcés de la vie de garnison.

      Ayant reconnu l'insuffisance de son éducation, il entreprit bravement de la refaire, et obstinément il la refit.

      Les longues heures que ses camarades passaient au café militaire, entre un jeu de cartes et un bol de punch, il les employait à travailler, réalisant sur ses maigres appointements assez d'économies pour payer un professeur ou acheter des livres.

      D'aucuns essayèrent bien de railler ses études obstinées, son existence austère, sa rigide exactitude à remplir les devoirs de son état; ils en furent pour leurs taquineries.

      Et encore ne les poussèrent-ils jamais plus loin, Pierre Delorge n'ayant pas la prétention d'être ce qui s'appelle endurant.

      Puis, comme il était malgré tout le meilleur et le plus sûr des camarades, modeste et toujours prêt à rendre service, comme d'un autre côté on le savait doué de la plus rare énergie, on s'accoutuma à reconnaître sa supériorité, à la célébrer et à le désigner hautement comme un des officiers d'avenir de l'armée.

      La révolution de 1830 le trouva en Algérie, lieutenant de chasseurs.

      Il avait été décoré lors de la prise d'Alger, à la tête de son escadron, qui faisait partie de la division Loverdo.

      Les années qui suivirent, il les passa en Afrique, où l'œuvre de notre domination se poursuivait avec un perpétuel mélange de bien et de mal, de succès et de revers.

      On peut dire que, pendant huit ans, il ne se tira pas dans notre colonie un seul coup de fusil sans qu'il fût présent.

      Il était à Constantine, où il fut blessé, à Mostaganem, au col de Mouzaïa, où il fut laissé pour mort, et à Médéah et à Milianah…

      Cité plusieurs fois à l'ordre de l'armée, fait officier de la Légion d'honneur sur le champ de bataille, il était chef d'escadron, lorsqu'en 1839 il rentra en France avec son régiment.

      Il avait alors trente-sept ans.

      Envoyé en garnison à Vendôme, il dut à la grande réputation qui l'avait précédé, et à la curiosité qu'il inspirait, d'être présenté à une personne qui tenait en ville le haut du pavé, et qui passait pour y faire la pluie et le beau temps, Mlle de la Rochecordeau.

      C'était une vieille fille d'une cinquantaine d'années, sèche et jaune, avec un grand nez d'oiseau de proie, très noble, encore plus dévote, joueuse comme la dame de pique en personne et médisante à faire battre des montagnes.

      Ce qui n'empêche qu'à tous ceux qui énuméraient la longue kyrielle de ses imperfections, il était, à Vendôme, de mode de répondre:

      – C'est possible!.. Mais elle est si bonne et si généreuse!..

      Or, cette grande réputation de générosité et de bonté était venue à Mlle de la Rochecordeau de ce qu'elle avait recueilli et gardait près d'elle, depuis dix ans, la fille de sa sœur défunte, Mlle Élisabeth de Lespéran.

      Et encore, cette belle action de la vieille fille n'avait-elle été ni spontanée, ni même absolument volontaire.

      A la mort du marquis de Lespéran, mort un an après sa femme, et sans un sou vaillant, Mlle de la Rochecordeau avait fait des pieds et des mains pour colloquer la petite – c'était son expression – aux Lespéran de Montoire, riches, dit-on dans le pays, à plus de cent mille livres de rentes.

      Mais ces bons et généreux parents n'étaient rien moins que disposés à s'embarrasser de la fille de leur frère.

      Il y eut des propos colportés.

      Une des dames de Lespéran de Montoire passa pour avoir dit:

      – Cette vieille fée peut bien garder le cadeau pour elle.

      A quoi Mlle de la Rochecordeau répondit:

      – Eh bien! soit, je le garderai, moi qui suis pauvre, quand ce ne serait que pour faire rougir ces vilains de leur crasse.

      Elle garda Élisabeth, en effet. Mais à quel prix!

      Haineuse, acariâtre, n'ayant pas encore pris parti de son célibat, rongée de regrets et de jalousie, la vieille fille fit de l'enfant son souffre-douleur.

      Jamais un repas ne s'écoula sans que l'orpheline ne s'entendît reprocher le pain qu'elle mangeait. Jamais elle n'essaya une robe sans avoir à subir les plus humiliantes réprimandes, et toutes sortes de jérémiades sur la coquetterie des sottes qui se croient jolies et à propos de la cherté excessive des étoffes. Jamais elle ne chaussa une paire de bottines neuves sans entendre le soir sa terrible parente dire aux dévotes ses intimes:

      – Cette petite userait du fer; Roulleau, le cordonnier de la Grande-Rue, n'a pas une pratique pareille. Et, cependant, elle devrait savoir qu'à mon âge je m'impose des privations pour elle!

      Et c'eût été pis, sans doute, si Mlle de la Rochecordeau n'eût été contenue par un parent qui la venait visiter quelquefois, et qu'elle craignait plus encore que son confesseur: le baron de Glorière.

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