Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau

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la veille, le garnement, à sa grande surprise, l'interrompit par un geste narquois et une grimace des plus significatives.

      – Je n'ai pas perdu mon temps, répondit-il, et même j'ai découvert du nouveau; seulement avant de parler… avant de vous dire…

      – Eh bien?

      – Je veux faire mes conditions, là.

      Cette déclaration, appuyée d'un expressif mouvement de mains, abasourdit si bien l'ancien sous-off, qu'il ne trouva pas un mot à répondre.

      – Des conditions! répéta-t-il, la pupille dilatée par la stupeur.

      – C'est comme cela, insista Chupin, à prendre ou à laisser. Pensez-vous donc que je vais me tuer le tempérament jusqu'à la fin des fins pour rien, pour un grand merci? Ce ne serait pas à faire. On sait ce qu'on vaut, n'est-ce pas?

      Beaumarchef était exaspéré.

      – Je sais que tu ne vaux pas les quatre fers d'un chien, exclama-t-il.

      – Possible.

      – Et tu n'es qu'un petit misérable d'oser parler ainsi, après toutes les bontés du patron pour toi.

      Toto-Chupin éclata de rire.

      – Des bontés!.. fit-il de sa voix la plus odieusement enrouée, oh! là, là… Ne dirait-on pas que le patron s'est ruiné pour moi? Pauvre homme! Je voudrai bien les connaître ces bontés.

      – Il t'a ramassé dans la rue, une nuit qu'il tombait de la neige, et depuis tu as une chambre à l'hôtel.

      – Un chenil.

      – Il te donne tous les jours le déjeuner et le dîner…

      – Je sais bien, et à chaque repas une demi-bouteille de mauvais bleu qui ne tache seulement pas la nappe, tant il y a d'eau dedans.

      Voilà comment Toto-Chupin pratique la reconnaissance.

      – Ce n'est pas tout, continua Beaumarchef, on t'a monté une boutique de marchand de marrons.

      – Oui, sous la porte cochère. Il faut rester debout du matin au soir, gelé d'un côté, grillé de l'autre, pour gagner vingt sous. J'en ai assez. D'ailleurs, il y a trop de chômage dans cet état-là!..

      – Tu sais bien que pour l'été on t'installera un réchaud à pommes de terre frites.

      – Merci! l'odeur de la graisse me donne mal à l'estomac.

      – Que voudrais-tu donc faire?

      – Rien. Je sens que je suis né pour être rentier.

      L'ancien sous-off était à bout d'arguments.

      – Je dirai tout cela au patron, fit-il, et nous verrons.

      Mais cette menace n'impressionna nullement Toto.

      – Je me fiche un peu du patron, répondit-il. Il me renverra? Bonne affaire.

      – Méchant drôle!..

      – Tiens, pourquoi donc? Est-ce que je ne mangeais pas avant de connaître le patron? Je vivais mieux et j'étais libre. Rien qu'à mendier, à chanter dans les cours et à ouvrir les portières, je me faisais mes trois francs par jour. On les buvait avec des amis, et ensuite on allait coucher à Ivry, dans une fabrique de tuiles où la police n'a jamais mis les pieds. C'est là qu'on est bien l'hiver, près des fours… Je m'amusais alors, tandis que maintenant…

      – Plains-toi donc!.. Maintenant, quand tu surveilles quelqu'un, je te donne cent sous tous les matins.

      – Tout juste. Et je trouve que ce n'est pas assez.

      – Par exemple!..

      – Oh! ce n'est pas la peine de vous fâcher. Je demande de l'augmentation; vous répondez: Non. C'est très bien; moi, je me mets en grève.

      Beaumarchef eût volontiers donné dix sous de sa poche pour que B. Mascarot entendit maître Chupin.

      – Tu n'es qu'un coquin! s'écria-t-il. Tu fréquentes des sociétés qui te mèneront loin. Ne dis pas non. Il est venu ici te demander un certain Polyte, portant casquette cirée, accroche-cœurs collés aux tempes, jolie cravate à pois: je suis sûr que ce gaillard-là…

      – D'abord, mes sociétés ne vous regardent pas.

      – C'est pour toi, ce que j'en dis; il t'arrivera des désagréments, tu verras.

      Cette prédiction parut révolter Toto-Chupin; elle cachait, il le comprenait bien, une menace fort sérieuse.

      – De quoi! fit-il, rouge de colère, de quoi!.. Qui donc me ferait arriver de la peine? Le patron? Moi, je l'engage à se tenir tranquille.

      – Toto!..

      – C'est que vous m'ennuyez fameusement à la fin. Méchant drôle par ci, garnement par là, chenapan, coquin!.. Ah ça! qu'êtes-vous donc, vous et le patron? Définitivement, vous me prenez pour un autre. Vous croyez peut-être que je ne comprends pas vos manigances et que je gobe les bourdes que vous me contez! Allons donc!.. On y voit clair, Dieu merci! Quand vous me faites suivre celui-ci ou celui-là pendant des semaines, ce n'est pas pour porter des secours à domicile, n'est-ce pas! Qu'il m'arrive malheur, je sais bien ce que je dirai au commissaire. Vous verrez alors qu'un bon ouvrier vaut un peu plus de cent sous par jour.

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