Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Vingt ans après - Dumas Alexandre

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malheur!

      Pendant ce temps le cardinal se frottait les mains.

      – Cent pistoles, murmura-t-il, cent pistoles! pour cent pistoles j'ai eu un secret que M. de Richelieu aurait payé vingt mille écus. Sans compter ce diamant, en jetant amoureusement les yeux sur la bague qu'il avait gardée, au lieu de la donner à d'Artagnan; sans compter ce diamant, qui vaut au moins dix mille livres.

      Et le cardinal rentra dans sa chambre tout joyeux de cette soirée dans laquelle il avait fait un si beau bénéfice, plaça la bague dans un écrin garni de brillants de toute espèce, car le cardinal avait le goût des pierreries, et il appela Bemouin pour le déshabiller, sans davantage se préoccuper des rumeurs qui continuaient de venir par bouffées battre les vitres, et des coups de fusil qui retentissaient encore dans Paris, quoiqu'il fût plus de onze heures du soir.

      Pendant ce temps d'Artagnan s'acheminait vers la rue Tiquetonne, où il demeurait à l'hôtel de La Chevrette

      Disons en peu de mots comment d'Artagnan avait été amené à faire choix de cette demeure.

      VI. D'Artagnan à quarante ans

      Hélas! depuis l'époque où, dans notre roman des Trois Mousquetaires, nous avons quitté d'Artagnan, rue des Fossoyeurs, 12, il s'était passé bien des choses, et surtout bien des années.

      D'Artagnan n'avait pas manqué aux circonstances, mais les circonstances avaient manqué à d'Artagnan. Tant que ses amis l'avaient entouré, d'Artagnan était resté dans sa jeunesse et sa poésie; c'était une de ces natures fines et ingénieuses qui s'assimilent facilement les qualités des autres. Athos lui donnait de sa grandeur, Porthos de sa verve, Aramis de son élégance. Si d'Artagnan eût continué de vivre avec ces trois hommes, il fût devenu un homme supérieur. Athos le quitta le premier, pour se retirer dans cette petite terre dont il avait hérité du côté de Blois; Porthos, le second, pour épouser sa procureuse; enfin, Aramis, le troisième, pour entrer définitivement dans les ordres et se faire abbé. À partir de ce moment, d'Artagnan, qui semblait avoir confondu son avenir avec celui de ses trois amis, se trouva isolé et faible, sans courage pour poursuivre une carrière dans laquelle il sentait qu'il ne pouvait devenir quelque chose qu'à la condition que chacun de ses amis lui céderait, si cela peut se dire, une part du fluide électrique qu'il avait reçu du ciel.

      Ainsi, quoique devenu lieutenant de mousquetaires, d'Artagnan ne s'en trouva que plus isolé; il n'était pas d'assez haute naissance, comme Athos, pour que les grandes maisons s'ouvrissent devant lui; il n'était pas assez vaniteux, comme Porthos, pour faire croire qu'il voyait la haute société; il n'était pas assez gentilhomme, comme Aramis, pour se maintenir dans son élégance native, en tirant son élégance de lui-même. Quelque temps le souvenir charmant de madame Bonacieux avait imprimé à l'esprit du jeune lieutenant une certaine poésie; mais comme celui de toutes les choses de ce monde, ce souvenir périssable s'était peu à peu effacé; la vie de garnison est fatale, même aux organisations aristocratiques. Des deux natures opposées qui composaient l'individualité de d'Artagnan, la nature matérielle l'avait peu à peu emporté, et tout doucement, sans s'en apercevoir lui-même, d'Artagnan, toujours en garnison, toujours au camp, toujours à cheval, était devenu (je ne sais comment cela s'appelait à cette époque) ce qu'on appelle de nos jours un véritable troupier.

      Ce n'est point que pour cela d'Artagnan eût perdu de sa finesse primitive; non pas. Au contraire, peut-être, cette finesse s'était augmentée, ou du moins paraissait doublement remarquable sous une enveloppe un peu grossière; mais cette finesse il l'avait appliquée aux petites et non aux grandes choses de la vie; au bien-être matériel, au bien-être comme les soldats l'entendent, c'est-à-dire à avoir bon gîte, bonne table, bonne hôtesse.

      Et d'Artagnan avait trouvé tout cela depuis six ans rue

      Tiquetonne, à l'enseigne de La Chevrette.

      Dans les premiers temps de son séjour dans cet hôtel, la maîtresse de la maison, belle et fraîche Flamande de vingt-cinq à vingt-six ans, s'était singulièrement éprise de lui; et après quelques amours fort traversées par un mari incommode, auquel dix fois d'Artagnan avait fait semblant de passer son épée au travers du corps, ce mari avait disparu un beau matin, désertant à tout jamais, après avoir vendu furtivement quelques pièces de vin et emporté l'argent et les bijoux. On le crut mort; sa femme surtout, qui se flattait de cette douce idée qu'elle était veuve, soutenait hardiment qu'il était trépassé. Enfin, après trois ans d'une liaison que d'Artagnan s'était bien gardé de rompre, trouvant chaque année son gîte et sa maîtresse plus agréables que jamais, car l'une faisait crédit de l'autre, la maîtresse eut l'exorbitante prétention de devenir femme, et proposa à d'Artagnan de l'épouser.

      – Ah! fi! répondit d'Artagnan. De la bigamie, ma chère! Allons donc, vous n'y pensez pas!

      – Mais il est mort, j'en suis sûre.

      – C'était un gaillard très contrariant et qui reviendrait pour nous faire pendre.

      – Eh bien, s'il revient, vous le tuerez; vous êtes si brave et si adroit!

      – Peste! ma mie! autre moyen d'être pendu.

      – Ainsi vous repoussez ma demande?

      – Comment donc! mais avec acharnement!

      La belle hôtelière fut désolée. Elle eût fait bien volontiers de M. d'Artagnan non seulement son mari, mais encore son Dieu: c'était un si bel homme et une si fière moustache!

      Vers la quatrième année de cette liaison vint l'expédition de Franche-Comté. D'Artagnan fut désigné pour en être et se prépara à partir. Ce furent de grandes douleurs, des larmes sans fin, des promesses solennelles de rester fidèle; le tout de la part de l'hôtesse, bien entendu. D'Artagnan était trop grand seigneur pour rien promettre; aussi promit-il seulement de faire ce qu'il pourrait pour ajouter encore à la gloire de son nom.

      Sous ce rapport, on connaît le courage de d'Artagnan; il paya admirablement de sa personne, et, en chargeant à la tête de sa compagnie, il reçut au travers de la poitrine une balle qui le coucha tout de son long sur le champ de bataille. On le vit tomber de son cheval, on ne le vit pas se relever, on le crut mort, et tous ceux qui avaient espoir de lui succéder dans son grade dirent à tout hasard qu'il l'était. On croit facilement ce qu'on désire; or, à l'armée depuis les généraux de division qui désirent la mort du général en chef, jusqu'aux soldats qui désirent la mort des caporaux, tout le monde désire la mort de quelqu'un.

      Mais d'Artagnan n'était pas homme à se laisser tuer comme cela. Après être resté pendant la chaleur du jour évanoui sur le champ de bataille, la fraîcheur de la nuit le fit revenir à lui; il gagna un village, alla frapper à la porte de la plus belle maison, fut reçu comme le sont partout et toujours les Français, fussent- ils blessés; il fut choyé, soigné, guéri, et, mieux portant que jamais, il reprit un beau matin le chemin de la France, une fois en France la route de Paris, et une fois à Paris la direction de la rue Tiquetonne.

      Mais d'Artagnan trouva sa chambre prise par un portemanteau d'homme complet, sauf l'épée, installé contre la muraille.

      – Il sera revenu, dit-il; tant pis et tant mieux!

      Il va sans dire que d'Artagnan songeait toujours au mari.

      Il s'informa: nouveau garçon, nouvelle servante; la maîtresse était allée à la promenade.

      – Seule! demanda d'Artagnan.

      – Avec monsieur.

      – Monsieur

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