Actes et Paroles, Volume 1. Victor Hugo

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Actes et Paroles, Volume 1 - Victor Hugo

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que la cour applaudissait Racine, que la ville applaudissait Moliere; tandis que le siecle retentissait d'un bruit de fete et de victoire; tandis que tous les yeux admiraient le grand roi et tous les esprits le grand regne, eux, ces reveurs, ces solitaires, promis a l'exil, a la captivite, a la mort obscure et lointaine, enfermes dans un cloitre devoue a la ruine et dont la charrue devait effacer les derniers vestiges, perdus dans un desert a quelques pas de ce Versailles, de ce Paris, de ce grand regne, de ce grand roi, laboureurs et penseurs, cultivant la terre, etudiant les textes, ignorant ce que faisaient la France et l'Europe, cherchant dans l'ecriture sainte les preuves de la divinite de Jesus, cherchant dans la creation la glorification du createur, l'oeil fixe uniquement sur Dieu, meditaient les livres sacres et la nature eternelle, la bible ouverte dans l'eglise et le soleil epanoui dans les cieux!

      Leur passage n'a pas ete inutile. Vous l'avez dit, monsieur, dans le livre remarquable qu'ils vous ont inspire, ils ont laisse leur trace dans la theologie, dans la philosophie, dans la langue, dans la litterature, et, aujourd'hui encore, Port-Royal est, pour ainsi dire, la lumiere interieure et secrete de quelques grands esprits. Leur maison a ete demolie, leur champ a ete ravage, leurs tombes ont ete violees, mais leur memoire est sainte, mais leurs idees sont debout, mais des choses qu'ils ont semees, beaucoup ont germe dans les ames, quelques-unes ont germe dans les coeurs. Pourquoi cette victoire a travers ces calamites? Pourquoi ce triomphe malgre cette persecution? Ce n'est pas seulement parce qu'ils etaient superieurs, c'est aussi, c'est surtout parce qu'ils etaient sinceres! C'est qu'ils croyaient, c'est qu'ils etaient convaincus, c'est qu'ils allaient a leur but pleins d'une volonte unique et d'une foi profonde. Apres avoir lu et medite leur histoire, on serait tente de s'ecrier: – Qui que vous soyez, voulez-vous avoir de grandes idees et faire de grandes choses? Croyez! ayez foi! Ayez une foi religieuse, une foi patriotique, une foi litteraire. Croyez a l'humanite, au genie, a l'avenir, a vous-memes. Sachez d'ou vous venez pour savoir ou vous allez. La foi est bonne et saine a l'esprit. Il ne suffit pas de penser, il faut croire. C'est de foi et de conviction que sont faites en morale les actions saintes et en poesie les idees sublimes.

      Nous ne sommes plus, monsieur, au temps de ces grands devouements a une pensee purement religieuse. Ce sont la de ces enthousiasmes sur lesquels Voltaire et l'ironie ont passe. Mais, disons-le bien haut, et ayons quelque fierte de ce qui nous reste, il y a place encore dans nos ames pour des croyances efficaces, et la flamme genereuse n'est pas eteinte en nous. Ce don, une conviction, constitue aujourd'hui comme autrefois l'identite meme de l'ecrivain. Le penseur, en ce siecle, peut avoir aussi sa foi sainte, sa foi utile, et croire, je le repete, a la patrie, a l'intelligence, a la poesie, a la liberte. Le sentiment national, par exemple, n'est-il pas a lui seul toute une religion? Telle heure peut sonner ou la foi au pays, le sentiment patriotique, profondement exalte, fait tout a coup, d'un jeune homme qui s'ignorait lui-meme, un Tyrtee, rallie d'innombrables ames avec le cri d'une seule, et donne a la parole d'un adolescent l'etrange puissance d'emouvoir tout un peuple.

      Et a ce propos, puisque j'y suis naturellement amene par mon sujet, permettez-moi, au moment de terminer, de rappeler, apres vous, monsieur, un souvenir.

      Il est une epoque, une epoque fatale, que n'ont pu effacer de nos memoires quinze ans de luttes pour la liberte, quinze ans de luttes pour la civilisation, trente annees d'une paix feconde. C'est le moment ou tomba celui qui etait si grand que sa chute parut etre la chute meme de la France. La catastrophe fut decisive et complete. En un jour tout fut consomme. La Rome moderne fut livree aux hommes du nord comme l'avait ete la Rome ancienne; l'armee de l'Europe entra dans la capitale du monde; les drapeaux de vingt nations flotterent deployes au milieu des fanfares sur nos places publiques; naguere ils venaient aussi chez nous, mais ils changeaient de maitres en route. Les chevaux des cosaques brouterent l'herbe des Tuileries. Voila ce que nos yeux ont vu! Ceux d'entre nous qui etaient des hommes se souviennent de leur indignation profonde; ceux d'entre nous qui etaient des enfants se souviennent de leur etonnement douloureux.

      L'humiliation etait poignante. La France courbait la tete dans le sombre silence de Niobe. Elle venait de voir tomber, a quatre journees de Paris, sur le dernier champ de bataille de l'empire, les veterans jusque-la invincibles qui rappelaient au monde ces legions romaines qu'a glorifiees Cesar et cette infanterie espagnole dont Bossuet a parle. Ils etaient morts d'une mort sublime, ces vaincus heroiques, et nul n'osait prononcer leurs noms. Tout se taisait; pas un cri de regret; pas une parole de consolation. Il semblait qu'on eut peur du courage et qu'on eut honte de la gloire.

      Tout a coup, au milieu de ce silence, une voix s'eleva, une voix inattendue, une voix inconnue, parlant a toutes les ames avec un accent sympathique, pleine de foi pour la patrie et de religion pour les heros. Cette voix honorait les vaincus, et disait:

      Parmi des tourbillons de flamme et de fumee,

      O douleur! quel spectacle a mes yeux vient s'offrir?

      Le bataillon sacre, seul devant une armee,

      S'arrete pour mourir!

      Cette voix relevait la France abattue, et disait:

      Malheureux de ses maux et fier de ses victoires,

      Je depose a ses pieds ma joie et mes douleurs;

      J'ai des chants pour toutes ses gloires,

      Des larmes pour tous ses malheurs!

      Qui pourrait dire l'inexprimable effet de ces douces et fieres paroles? Ce fut dans toutes les ames un enthousiasme electrique et puissant, dans toutes les bouches une acclamation fremissante qui saisit ces nobles strophes au passage avec je ne sais quel melange de colere et d'amour, et qui fit en un jour d'un jeune homme inconnu un poete national. La France redressa la tete, et, a dater de ce moment, en ce pays qui fait toujours marcher de front sa grandeur militaire et sa grandeur litteraire, la renommee du poete se rattacha dans la pensee de tous a la catastrophe meme, comme pour la voiler et l'amoindrir. Disons-le, parce que c'est glorieux a dire, le lendemain du jour ou la France inscrivit dans son histoire ce mot nouveau et funebre, Waterloo, elle grava dans ses fastes ce nom jeune et eclatant, Casimir Delavigne.

      Oh! que c'est la un beau souvenir pour le genereux poete, et une gloire digne d'envie! Quel homme de genie ne donnerait pas sa plus belle oeuvre pour cet insigne honneur d'avoir fait battre alors d'un mouvement de joie et d'orgueil le coeur de la France accablee et desesperee? Aujourd'hui que la belle ame du poete a disparu derriere l'horizon d'ou elle nous envoie encore tant de lumiere, rappelons-nous avec attendrissement son aube si eblouissante et si pure. Qu'une pieuse reconnaissance s'attache a jamais a cette noble poesie qui fut une noble action! Qu'elle suive Casimir Delavigne, et qu'apres avoir fait une couronne a sa vie, elle fasse une aureole a son tombeau! Envions-le et aimons-le! Heureux le fils dont on peut dire: Il a console sa mere! Heureux le poete dont on peut dire: Il a console la patrie!

       CHAMBRE DES PAIRS

      1845-1848

      I

      LA POLOGNE

      [Note: Dans la discussion du projet de loi relatif aux depenses secretes M. de Montalembert vint plaider la cause de la Pologne et adjurer le Gouvernement de sortir de sa politique egoiste. M. Guizot repondit que le gouvernement du roi persistait et persisterait dans les deux regles de conduite qu'il s'etait imposees: la non-intervention dans les affaires de Pologne; les secours, l'asile offert aux malheureux polonais. "L'opposition, disait M. Guizot, peut tenir le langage qui lui plait; elle peut, sans rien faire, sans rien proposer, donner a ses reproches toute l'amertume, a ses esperances toute la latitude qui lui conviennent. Il y a, croyez-moi, bien autant, et c'est par egard que je ne dis pas bien plus, de moralite, de dignite, de vraie charite meme envers les polonais, a ne promettre et a ne dire que ce qu'on fait reellement." – En somme, M. Guizot tenait le debat engage pour inutile et ne pensait pas que la discussion des droits de la Pologne, que l'expression du jugement de la France pussent produire aucun effet heureux pour la reconstitution de la nationalite polonaise. Le gouvernement francais, selon M. Guizot, devait remplir son devoir de neutralite

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