Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau
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Читать онлайн книгу Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau страница 16
– Il pouvait rester beaucoup de thé dans la théière, objecta le père Plantat.
– Je le sais, répondit M. Lecoq, et c’est justement ce que j’étais en train de me dire. De telle sorte, que cette humidité ne suffit pas pour nous donner le moment précis du crime.
– Mais la pendule nous le donne, s’écria M. Courtois, et très exactement même.
– En effet, approuva M. Domini, monsieur le maire dans son procès-verbal explique fort bien que dans la chute le mouvement s’est arrêté.
– Eh bien! dit le père Plantat, c’est justement l’heure de cette pendule qui m’a frappé. Elle marque trois heures et vingt minutes et nous savons que la comtesse était complètement habillée, comme dans le milieu du jour quand on l’a frappée. Était-elle donc encore debout, prenant une tasse de thé à trois heures du matin? C’est peu probable.
– Et moi aussi, reprit l’agent de la Sûreté, j’ai été frappé de cette circonstance, et c’est pour cela que tout à l’heure je me suis écrié: «Pas si bêtes!» Au surplus, nous allons bien voir.
Aussitôt, avec des précautions infinies, il releva la pendule et la replaça sur la tablette de la cheminée s’appliquant à la poser bien d’aplomb.
Les aiguilles étaient toujours arrêtées sur trois heures vingt minutes.
– Trois heures vingt, murmurait M. Lecoq, tout en glissant une petite cale sous le socle, ce n’est pas à cette heure-là, que diable! qu’on prend le thé. C’est encore moins à cette heure-là, qu’en plein mois de juillet, au lever du jour, on assassine les gens.
Il ouvrit, non sans peine, le caisson du cadran et poussa la grande aiguille jusque sur la demie de trois heures.
La pendule sonna onze coups.
– À la bonne heure! s’écria M. Lecoq triomphant, voilà la vérité!
Et tirant de sa poche la bonbonnière à portrait, il goba un carré de guimauve et dit:
– Farceurs!..
La simplicité de ce moyen de contrôle, auquel personne n’avait songé, ne laissait pas de surprendre les spectateurs.
M. Courtois, particulièrement, était émerveillé.
– Voilà, dit-il au docteur, un drôle qui ne manque pas de moyens dans sa partie.
– Ergo, reprenait M. Lecoq, qui sait le latin, nous avons en face de nous, non plus des brutes, comme j’ai failli le croire d’abord, mais des gredins qui y voient plus loin que le bout de leur couteau. Ils ont mal calculé leur affaire, c’est une justice à leur rendre, mais enfin ils ont calculé; l’indication est précise. Ils ont eu l’intention d’égarer l’instruction en la trompant sur l’heure.
– Je ne vois pas clairement leur but, insinua M. Courtois.
– Il est cependant bien visible, répondit M. Domini. N’était-il pas de l’intérêt des assassins de faire croire que le crime a été commis après le dernier passage du train se dirigeant sur Paris? Quittant ses camarades à neuf heures, à la gare de Lyon, Guespin pouvait être ici à dix heures, assassiner ses maîtres, s’emparer de l’argent qu’il savait en la possession du comte de Trémorel et regagner Paris par le dernier train.
– Ces suppositions sont très aimables, objecta le père Plantat. Mais alors, comment Guespin n’est-il pas allé rejoindre ses camarades chez Wepler, aux Batignolles; par là, jusqu’à un certain point, il se ménageait une espèce d’alibi.
Dès le commencement de l’enquête, le docteur Gendron s’était assis sur l’unique chaise intacte de la chambre, réfléchissant au subit malaise qui avait fait pâlir le père Plantat lorsqu’on avait parlé de Robelot le rebouteux.
Les explications du juge d’instruction le tirèrent de ses méditations; il se leva.
– Il y a autre chose encore, dit-il, cette avance de l’heure très utile à Guespin peut devenir accablante pour La Ripaille, son complice.
– Mais, répondit M. Domini, il se peut fort bien que La Ripaille n’ait point été consulté. Pour ce qui est de Guespin, il avait probablement de bonnes raisons pour ne point aller à la noce. Son trouble, après un pareil forfait, lui aurait nui plus encore que son absence.
M. Lecoq, lui, ne jugea pas à propos de se prononcer encore. Comme un médecin au lit du malade, il veut être sûr de son diagnostic.
Il était retourné à la cheminée, et de nouveau faisait marcher les aiguilles de la pendule. Successivement elle sonna la demie de onze heures, puis minuit, puis minuit et demi, et une heure.
Tout en se livrant à cette occupation, il grommelait:
– Apprentis, brigands d’occasion! On est malin, à ce qu’on croit, mais on ne pense pas à tout. On donne un coup de pouce aux aiguilles, mais on ne pense pas à mettre la sonnerie d’accord. Survient alors un bonhomme de la Sûreté, un vieux singe qui connaît les grimaces et la mèche est éventée.
M. Domini et le père Plantat gardaient le silence. M. Lecoq revint vers eux.
– Monsieur le juge, dit-il, peut-être maintenant certain que le coup a été fait avant dix heures et demie.
– À moins, observa le père Plantat, que la sonnerie ne soit détraquée, ce qui arrive quelquefois.
– Ce qui arrive souvent, appuya M. Courtois, à telle enseigne, que la pendule de mon salon est dans cet état depuis je ne sais combien de temps.
M. Lecoq réfléchissait.
– Il se peut, reprit-il, que monsieur le juge de paix ait raison. J’ai pour moi la probabilité, mais la probabilité ne suffit pas au début d’une affaire, il faut la certitude. Il nous reste, par bonheur un moyen de vérification, nous avons le lit, je parie qu’il est défait.
Et s’adressant au maire:
– J’aurais besoin, monsieur, d’un domestique, pour me donner un coup de main.
– Inutile, dit le père Plantat, je vais vous aider, moi, ce sera plus vite fait.
Aussitôt, à eux deux, ils enlevèrent le ciel de lit et le déposèrent à terre, enlevant du même coup les rideaux.
– Hein? fit M. Lecoq, avais-je raison?
– C’est vrai, dit M. Domini un peu surpris, le lit est défait.
– Défait, oui, répondit l’agent de la Sûreté, mais on ne s’y est pas couché.
– Cependant, voulut objecter M. Courtois.
– Je suis sûr de ce que j’avance, interrompit l’homme de la police. On a ouvert ce lit, c’est vrai, on s’est peut-être roulé dessus, on a chiffonné les oreillers, froissé les couvertures, fripé les draps, mais on n’a pu lui donner pour un œil exercé l’apparence d’un lit dans lequel deux personnes ont dormi. Défaire un lit est aussi difficile, plus difficile peut-être que de le refaire. Pour le refaire, il n’est pas indispensable de retirer