Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau
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– Avant d’aller relever les cadavres, dit-il, je vais expédier un mot au procureur impérial de Corbeil. Dans une heure, nous aurons un juge d’instruction qui achèvera notre pénible tâche.
Ordre fut donné à un gendarme d’atteler le tilbury du comte et de partir en toute hâte.
Puis, le maire et le juge, suivis du brigadier, du valet de chambre et des deux Bertaud s’acheminèrent vers la rivière.
Le parc de Valfeuillu est très vaste; mais c’est de droite et de gauche qu’il s’étend. De la maison à la Seine, il n’y a guère plus de deux cents pas. Devant la maison verdoie une belle pelouse coupée de corbeilles de fleurs. On prend pour gagner le bord de l’eau une des deux allées qui tournent le gazon.
Mais les malfaiteurs n’avaient pas suivi les allées. Coupant au plus court, ils avaient traversé la pelouse. Leurs traces étaient parfaitement visibles. L’herbe était foulée et trépignée comme si on y eût traîné quelque lourd fardeau. Au milieu du gazon, on aperçut quelque chose de rouge que le juge de paix alla ramasser. C’était une pantoufle que le valet de chambre reconnut pour appartenir au comte. Plus loin, on trouva un foulard blanc que le domestique déclara avoir vu souvent au cou de son maître. Ce foulard était taché de sang.
Enfin, on arriva au bord de l’eau, sous ces saules dont Philippe avait voulu couper une branche et on aperçut le cadavre.
Le sable, à cette place, était profondément fouillé, labouré, pour ainsi dire, par des pieds cherchant un point d’appui solide. Là, tout l’indiquait, avait eu lieu la lutte suprême.
M. Courtois comprit toute l’importance de ces traces.
– Que personne n’avance, dit-il.
Et, suivi seul du juge de paix, il s’approcha du corps.
Bien qu’on ne pût distinguer le visage, le maire et le juge reconnurent la comtesse. Tous deux lui avaient vu cette robe grise ornée de passementeries bleues.
Maintenant comment se trouvait-elle là?
Le maire supposa qu’ayant réussi à s’échapper des mains des meurtriers, elle avait fui éperdue. On l’avait poursuivie, on l’avait atteinte là, on lui avait porté les derniers coups, et elle était tombée pour ne plus se relever.
Cette version expliquait les traces de la lutte. Ce serait alors le cadavre du comte que les assassins auraient traîné à travers la pelouse.
M. Courtois parlait avec animation, cherchant à faire pénétrer ses impressions dans l’esprit du juge de paix. Mais le père Plantat écoutait à peine, on eût pu le croire à cent lieues du Valfeuillu, il ne répondait que par monosyllabes: oui, non, peut-être.
Et le brave maire se donnait une peine infinie: il allait, venait, prenait des mesures, inspectait minutieusement le terrain.
Il n’y avait pas à cet endroit plus d’un pied d’eau.
Un banc de vase, sur lequel poussaient des touffes de glaïeuls et quelques maigres nénuphars, allait en pente douce, du bord au milieu de la rivière. L’eau était claire, le courant nul; on voyait fort bien la vase lisse et luisante.
M. Courtois en était là de ses investigations lorsqu’il parut frappé d’une idée subite.
– La Ripaille, s’écria-t-il, approchez.
Le vieux maraudeur obéit.
– Vous dites donc, interrogea le maire, que c’est de votre bateau que vous avez aperçu le corps?
– Oui, monsieur le maire.
– Où est-il, votre bateau?
– Là, amarré à la prairie.
– Eh bien, conduisez-nous y.
Pour tous les assistants, il fut visible que cet ordre impressionnait vivement le bonhomme. Il tressaillit et pâlit sous l’épaisse couche de hâle déposée sur ses joues par la pluie et le soleil. Même, on le surprit jetant à son fils un regard qui parut menaçant.
– Marchons, répondit-il enfin.
On allait regagner la maison, lorsque le valet de chambre proposa de franchir la douve.
– Ce sera bien plus vite fait, dit-il, je cours chercher une échelle, que nous mettrons en travers.
Il partit, et une minute après reparut avec sa passerelle improvisée. Mais au moment où il allait la placer:
– Arrêtez, lui cria le maire, arrêtez!..
Les empreintes laissées par les Bertaud sur les deux côtés du fossé venaient de lui sauter aux yeux.
– Qu’est ceci? dit-il; évidemment on a passé par là, et il n’y a pas longtemps, ces traces de pas sont toutes fraîches.
Et, après un examen de quelques minutes, il ordonna de placer l’échelle plus loin. Lorsqu’on fut arrivé près du bateau:
– C’est bien là, demanda le maire à La Ripaille, l’embarcation avec laquelle vous êtes allés relever vos nasses ce matin?
– Oui, monsieur.
– Alors, reprit M. Courtois, de quels ustensiles vous êtes-vous servis? Votre épervier est parfaitement sec; cette gaffe et ces rames n’ont pas été mouillées depuis plus de vingt-quatre heures.
Le trouble du père et du fils devenait de plus en plus manifeste.
– Persistez-vous dans vos dires, Bertaud?, insista le maire.
– Et vous Philippe?
– Monsieur, balbutia le jeune homme, nous avons dit la vérité.
– Vraiment! reprit M. Courtois d’un ton ironique; alors vous expliquerez à qui de droit comment vous avez pu voir quelque chose d’un bateau sur lequel vous n’êtes pas montés. Ah! dame! on ne pense pas à tout. On vous prouvera aussi que le corps est placé de telle façon qu’il est impossible, vous m’entendez, absolument impossible de l’apercevoir du milieu de la rivière. Puis, vous aurez à dire encore quelles sont ces traces que je relève, là sur l’herbe, et qui vont de votre bateau à l’endroit où le fossé a été franchi à plusieurs reprises et par plusieurs personnes.
Les deux Bertaud baissaient la tête.
– Brigadier, ordonna monsieur le maire, au nom de la loi, arrêtez ces deux hommes et empêchez toute communication entre eux.
Philippe semblait près de se trouver mal. Pour le vieux La Ripaille, il se contenta de hausser les épaules et de dire à son fils:
– Hein! tu l’as voulu, n’est-ce pas?
Puis, pendant que le brigadier emmenait les deux maraudeurs qu’il enferma séparément et sous la garde de ses hommes, le juge de paix et le maire rentraient dans le parc.
– Avec tout cela, murmurait M. Courtois, pas de traces du comte!..